Les aiguilleurs des hautes fonctions : Ébola de notre sous-développement

Inconnus du grand public, ils travaillent dans l’ombre et ne se font jamais connaître. Leur travail est basé sur la discrétion absolue. Ce sont les « aiguilleurs des hautes fonctions publiques ». Chuchoteurs dans les oreilles des chefs d’État, leur rôle est invariablement le même : « dénicher » des responsables pour les proposer à des postes-clés : Premier ministre, ou directeur général de société nationale. Considérés par certains comme des valets du système, ce sont souvent d’anciens ministres remerciés puis convertis en conseillers à la présidence de la République. Tout président parvenu au pouvoir est obligé de composer avec eux. Si cela semble se passer ainsi toujours et partout, en tout cas, chez nous, c’est certain. Notre pays a ses propres « aiguilleurs de fonctions » atypiques. À défaut d’être nommés, ils nomment des taillés à leur mesure.

Issus le plus souvent de l’aristocratie des hauts de gammes tribaux – malheureusement pour nous – ce sont aussi parfois des « repris de justice » multirécidivistes ou « graciés », en tout cas épinglés pour des détournements ou pillages de ressources. Le choix que dicte à ces « aiguilleurs » leur décision de propulser tel ou tel responsable à telle ou telle fonction est malheureusement tributaire de critères le plus souvent dépourvus de toute aucune logique. Véritables « orfèvres » dans l’élévation de personnalités publiques à partir de rien, ils utilisent une sorte « d’intelligence artificielle » qui leur permet de forger de toutes pièces des individus à cervelle taillée sur leur propre intérêt, celui du président de la République ou du système auquel ils appartiennent.

 

Forgerons de la magouille

Le boulot de ces « aiguilleurs » est un travail artisanal qui demande une connaissance approfondie des régions, des wilayas, des tribus, des chefferies traditionnelles et religieuses, des personnalités publiques politiques ou autres. Dans certains pays comme la Mauritanie, ils ont obligation, lorsque les présidents sont décriés, de mettre en place des hommes répondant aux aspirations des « grands » électeurs, vieilles loques aristocrates rescapées des partis au pouvoir durant les premières années post-coloniales. En quelque sorte un héritage historique qui se lègue de pères en fils, de cousin à cousin, de neveu à neveu, attribuant les faveurs par descendance généalogique et privilégiant les classes sociales dominantes sur le plan tribal ou religieux.

 

Maaouiya, assassin des Noirs et de la bonne gouvernance

En Mauritanie, notamment de 1984 à 2005 sous le règne de Maaouiya ould Sid’Ahmed Taya, les « aiguilleurs de fonctions » nommèrent quelques fois et à la surprise générale, des personnalités « hors cadre » à la tête de ministère ou de société d’État. Sur quelle base ? Arrangement tribal ? Équilibre géopolitique ou régional ? Poudre aux yeux pour les minorités de couleur ? Impossible de répondre à ces questions. Mais il est clair qu’à l’époque d’Ould Taya, on aura tout vu.  Dans les gouvernements qui se sont succédés sous son règne, ses conseillers lui ont fait nommer « n’importe qui » et « n’importe quoi » à des portefeuilles ministériels.

Depuis 1960, on a comme l’impression qu’on tourne en rond dans le choix des responsables. Dès qu’une personne est appelée à diriger un ministère, elle devient une charge obligatoire pour l’État qui ne peut plus s’en débarrasser et il revient systématiquement aux « aiguilleurs de fonctions » de la « recycler » ou caser. S’ils ne sont pas appelés à une fonction symbolique de « conseillers » bien rémunérés auprès du Président, les voilà placés à la tête de « juteuses » sociétés nationales où le détournement et le pillage sont érigés en règle.

Des exemples parmi d’autres prouvent la permanence de cette vieille « tradition » laissée en héritage par Moctar ould Daddah : « reprendre les mêmes et recommencer » ; avec cette impossibilité tenace de comprendre le pourquoi de certains choix pour certaines fonctions. Seuls les aiguilleurs de fonctions en connaissent les ficelles et les méandres…

 

Bons et mauvais départements ministériels, distribution au plus offrant ?

Même dans la distribution des portefeuilles d’un gouvernement, ceux-là jouent un rôle important. Ils évitent à certains les postes qui n’ouvrent pas la « boîte à Pandore », offrant, a contrario, certains portefeuilles « bien garnis » à des « béni-oui-oui » aveugles et muets. En fait, il s’agit de protéger leur intérêt personnel et celui d’hommes d’affaires ou de parents proches du Palais, peu importe qui occupe celui-ci.

Mais lorsque les « aiguilleurs » veulent qu’un ministre se « casse la gueule », ils lui confient un portefeuille « maudit ». Car il existe, dans ce pays, des départements ministériels damnés : Enseignement supérieur, Santé, Équipement et Hydraulique… et des ministères bénis : Intérieur, Finances, Affaires étrangères et Défense.

 

Qui en voulait à Amal mint Maouloud et à Ould Ely ould El Vérick ?

Dans la formation du tout dernier gouvernement d’Ould Diay, on choisit ainsi d’envoyer en enfer Amal mint Maouloud en lui confiant l’Hydraulique, un département « raclé jusqu’au dernier sou » par divers proches des présidents qui se sont succédés au pouvoir. Certains qu’Amal allait trébucher – et avec cette probable idée de la remplacer en suivant par quelqu’un en « liste d’attente » – les aiguilleurs se sont cependant trompés dans leurs calculs : la benjamine du gouvernement a finalement réussi là ou tous ses prédécesseurs avaient échoué, établissant en bien peu de temps la distribution de l’eau potable dans des quartiers auparavant infestés par les charretiers avides de racketter les consommateurs.

Dans la constitution de ce même gouvernement, les aiguilleurs envoyèrent Ely ould Vérik en « mission périlleuse » à l’Équipement, un département en lambeaux, tant sur le plan financier que logistique, où pas moins de soixante-quatre ministres se seront succédés à tenter de faire face à une mafia d’entrepreneurs plus voraces les uns que les autres et parmi lesquels certains ne sont visibles qu’au moment de percevoir les premières avances pour démarrer les chantiers.

Ceux des aiguilleurs qui se sont « sucrés » sur tous les grands marchés publics cherchaient peut-être à sacrifier le sudiste sahélien pour cacher leur complicité avec lesdits hommes d’affaires.  Malheureusement pour eux, Ely est sorti indemne de leur « Chipéco », se montrant à la hauteur de la mission que lui avait confiée le président de la République, malgré tous les risques qu’il prenait en cherchant à transformer en concret les réalisations virtuelles de ses prédécesseurs.

Il n’en reste pas moins que ceux qui travaillent dans l’ombre du Palais ou dans les couloirs de la Primature sont la cause de tous les malheurs de notre pays. Ne visant que leur propre intérêt, celui d’un chef de tribu, d’un chef de parti politique, sinon d’un descendant d’une aristocratie vieille de mille ans, ils ont participé, de près ou de loin mais toujours en bande organisée, à tous les « braquages de nos moyens et de nos maigres ressources » perpétrés ces trente dernières années.

 

Mohamed ould Chighali

Journaliste indépendant

خميس, 20/02/2025 - 18:33