L’Afrique noire parle plus de deux mille langues. On dénombre 520 langues codifiées au Nigeria, une vingtaine au Sénégal, autant au Mali et en Guinée contre quatre en Mauritanie, le pays d’Afrique où il y a le moins d’ethnies et de langues. Selon une étude réalisée par Radio France Internationale, le pulaar ne figure pas parmi les langues les plus parlées d’Afrique et l’arabe se trouve en tête de liste :
« Plus de 2 000 langues sont dénombrées en Afrique, dont une centaine serait maîtrisée par plus d’un million de locuteurs. Les langues les plus parlées seraient, selon des sources très variables et parfois divergentes, dans cet ordre : l’arabe (plus de 150 millions de locuteurs), le kiswahili (plus de 100 millions), l’amharique (entre 28 et 50 millions), le haoussa (entre 18 et 50 millions), le yorouba (30 millions), l’oromo (25 millions) et l’ibo (24 millions), avant le lingala (entre 2 et 25 millions, selon les sources) puis le kinyarwanda et le kirundi (entre 15 et 20 millions), deux langues cousines qui partagent avec l’isizoulou et l’isixhosa (respectivement, 10 et 8 millions de locuteurs) leur appartenance au grand sous-groupe des langues bantoues ».
Certains panafricanistes comme Senghor, l’inventeur du concept de la négritude, Modibo Keïta, Sékou Touré, Nkrumah et Nyerere, et d’autres, ne perdaient pas de vue que sans autonomie en matière de langue, l’indépendance de l’Afrique restera inachevée. Dans le fond, ils avaient raison, mais sur le terrain pratique cette question était un véritable casse-tête chinois. Que peut-on faire avec plus de deux mille langues répertoriées, toutes encore au stade de l’oralité ou presque ?
D’autres avaient proposé pour pallier l’émiettement linguistique de réduire toutes les langues africaines au nombre de cinq correspondant au cinq grandes familles de langues du continent ; d’autres préconisèrent plutôt de laisser les langues africaines les plus dynamiques s’imposer d’elles-mêmes.
En Tanzanie, le président Nyerere dit Mualimou a fait de son pays une des rares exceptions sur le continent. Il comprit vite que dans un pays où l’on parle une centaine de langues, l’urgence était l’institution d’une langue commune : le swahili, une langue bantoue parente de la langue arabe (de l’arabe fortement créolisé). Lui-même est zanaki, une ethnie minoritaire, mais au moment de l’indépendance, il proclama le swahili comme langue officielle à côté de l’anglais. Aujourd’hui, le swahili prédomine en Tanzanie et devient la langue la plus parlée d’Afrique subsaharienne.
Ainsi, Nyerere avait fait mieux que Nelson Mandela et Paul Kagamé.
Mandela a fait tomber l’apartheid mais l’anglais continue toujours sa marche triomphale en Afrique du Sud. Kagamé, pour sa part, a enregistré d’énormes progrès dans tous les domaines de la vie au Rwanda à l’exception de la renaissance linguistique. Le kinyarwanda, une autre langue bantoue, est relégué au second plan au profit de la langue anglaise.
Nos deux hommes d’exception, ci-haut, au patriotisme singulier, avaient-ils réellement le choix ?
Certaines Nations africaines avaient décidé l’adoption d’une langue africaine commune : le bambara au Mali et le wolof au Sénégal tout en choisissant le français pour le niveau officiel et pour l’enseignement.
En Mauritanie avec quatre langues nationales, l’arabe littéral ou l’hassanya populaire n’arrivent pas à fédérer la population à cause des rivalités interethniques. Le Nationaliste négo-mauritanien, à la question est-ce que la Mauritanie est un pays francophone, il répond, avec le sourire, oui bien évidemment ; et est-ce qu’elle est arabophone, sa réponse, c’est oui mais, il y a aussi le pulaar, le soninké et le wolof, en d’autres termes, ou toutes les langues nationales à la fois ou le français en solo !
Et pour se donner bonne conscience, le Négro-nationaliste proclame à tout vent que le français est sa langue-refuge – de quoi se réfugie-t-il et qui le poursuit ! – ; qu’elle est sa langue-arbitre – y a-t-il match ? – ; sa langue d’ouverture, l’arabe n’est-il pas la quatrième ou la cinquième langue la plus parlée dans le monde ?, etc.
Si par hypothèse, on admettait que les langues nationales mauritaniennes étaient suffisamment développées pour être langues d’enseignement et langues administratives, et que l’État ait accédé à cette revendication, ne serait-il pas à ce moment-là légitime que le cursus scolaire et universitaire soit effectué dans ces mêmes langues au profit des élèves et étudiants de leurs communautés linguistiques respectives. Et une fois diplômés, ne serait-il pas tout aussi légitime que l’État les insère dans la vie professionnelle ?
La question qui s’impose ici, c’est comment tous ces cadres pourraient-ils se comprendre et comment l’administration pourrait-t-elle fonctionner dans la cacophonie ?
Le plurilinguisme est logiquement synonyme de confusion linguistique dans la mesure où chacun parle sa langue maternelle et ignore celle de l’autre.
Au niveau populaire le choix est libre et une langue de communication commune finira par s’imposer, cependant au niveau public, l’État doit réguler et trancher.
Il doit décider l’une des options suivantes et pas toutes à la fois :
– Le monolinguisme officiel arabe ; les Nationalistes noirs refusent cette option ; pour eux, utiliser l’arabe équivaudrait à reconnaître l’arabité exclusive du territoire de leurs ancêtres, spolié par les Sanhadja depuis un millénaire. À cet égard, ils considèrent l’article 6 de la constitution officialisant la langue arabe comme discriminatoire, les reléguant au statut de citoyens de seconde zone, parce que leurs langues maternelles ne sont pas officialisées. Qui en fait en Afrique ?
Aucun ou presque !
– Le bilinguisme arabo-français, c’est un échec patent, les Noirs choisissent le français et les Arabes s’accrochent à la langue de leurs ancêtres ;
– l’institution d’une langue commune neutre, en l’occurrence le français, c’est exclure la majorité culturelle, les Arabophones, qui ne voudrait pas être l’illustration vivante de Gribouille qui se jette dans la rivière par crainte de se mouiller : par excès d’orgueil ethnique conduisant au blocage sur la question linguistique, il serait absurde d’écarter toutes les langues du pays pour se jeter dans les bras d’une langue étrangère, celle de l’ancienne puissance coloniale.
Ely Ould Sneiba. ‘’Mauritanie : vous avez dit vivre ensemble ?’’