Le Congrès d’Aleg de mai 1958 était la toute première occasion politique offerte aux représentants du Fouta mauritanien d’exposer leur conception du futur État décolonisé : ils avaient exigé en plus d’un État binational le français comme langue officielle. Position réitérée quelques années plus tard lors de la constitution du Parti du Peuple Mauritanien (PPM) dorénavant l’unique formation nationale avec l’intégration en son sein de tous les autres partis, notamment le Parti du Rassemblement Mauritanien (PRM), l’Union Nationale Mauritanienne (UNM) et le parti Nahda.
La « Conférence de la table ronde » avait tenu sa réunion du 20 au 22 mai 1961 dans la crispation à cause du « problème culturel », c’est-à-dire la question de « la généralisation de l’enseignement arabe dans les établissements publics ».
Yahya Ould Abdi, membre fondateur du Parti Nahda et ancien directeur de la sûreté nationale sous Moktar Ould Daddah, qui avait pris part aux travaux du congrès qui entrera dans les annales de l’histoire comme congrès de l’unité nationale, a confirmé, dans ses Mémoires rédigés en arabe, que la rencontre avait failli échouer à cause de la position radicale des représentants de la communauté noire sur la question de l’officialisation de la langue arabe, et que Moktar avait été mandaté pour les ramener à la table des discussions, ce qu’il fit avec succès sans avoir révélé aux congressistes les termes de l’accord qu’il avait conclu avec les frondeurs sudistes. C’était certainement par souci d’efficacité : le président Moktar avait à cœur l’unité nationale et s’était hissé au-dessus des contingences pour amener tous les Mauritaniens à bord. Par rapport à ses convictions sur la question, il reconnaissait, contrairement au reproche d’Ould Abdi, l’impératif pour le peuple mauritanien de recouvrer sa personnalité culturelle propre « considérablement étouffée par la colonisation ».
A cet effet, l’année d’après « la conférence de la table ronde », la direction politique du nouveau PPM va charger une commission ad hoc d’apporter des propositions concernant « l’officialisation de la langue arabe et des garanties demandées, en échange, par la minorité » noire.
« On ne nous imposera jamais l’arabe » :
En vérité, la langue arabe, contrairement à ce que véhicule la propagande des FLAM, n’a jamais été imposée et n’a jamais était utilisée comme moyen de domination ou d’exclusion d’une partie de la population mauritanienne. Tout autrement, l’arabe était depuis le Moyen-Âge aussi bien la langue savante de Bilad Chinguitt que celle du Fouta.
Au IXème siècle, à l’époque almoravide, ce territoire était déjà bien arrosé de culture arabo-islamique par des érudits venant d’Al Ifriqiya et d’Hadramaout dont les plus illustres sont Aljasouli, Alhadrami, Ibrahim l’Omeyade, Arrakaz…
Avec l’arrivée des Banî Hassane vers le XVème siècles, c’est-à-dire cinq siècles à peu près avant l’entrée en scène timide de la langue du corse Coppolani, l’arabe était devenu la langue véhiculaire de la sous-région ouest-africaine et sa version populaire l’hassanya, la langue vernaculaire de de tout l’espace maure.
En outre, c’est grâce au rayonnement culturel des Chinguittiens que des hommes comme Cheikh Oumar Alfouti, Cheikh Souleymane Bal, Cheikh Abdel Kader Kane et Cheikh Ahmedou Bamba (il serait originaire de Bababé et avait fait ses études islamiques à Boutilimitt) étaient devenus de brillants érudits.
À présent, dans le cadre de l’État moderne, la grande majorité du peuple mauritanien a décidé que la langue arabe soit celle de la République aux termes de l’article 6 de la constitution du 20 juillet 1991, votée par référendum qui est la forme supérieure de décision et la plus démocratique aussi. Si l’officialisation du français, par exemple, avait été décrétée par le même moyen, les Nationalistes noirs n’allaient jamais s’offusquer et dire que cette langue leur avait été imposée car la mise à l’écart de l’arabe et son remplacement par le français était l’objectif qu’ils visaient et visent toujours.
Pour ce qui est de la période d’avant la démocratie, du temps du parti unique, c’était la loi n° 65. O26 du 30 janvier 1965 matérialisant « la doctrine du parti, parti de l’État » qui légitima l’officialisation de l’arabe.
Pour rappel, la langue du colonisateur fit son entrée en pays maure vers la fin XIXème siècle, et en 1960 la Mauritanie accéda à la souveraineté nationale. Une cinquantaine d’années, c’est trop court pour l’enracinement définitif d’une langue étrangère. Tout compte fait, au départ des Français, rares étaient ceux qui parlaient leur idiome, il n’y avait que quelques dizaines interprètes-traducteurs, plus interprètes que traducteurs, en plus de quelques centaines de fonctionnaires subalternes dont une bonne part venait de l’A. O.F.
Le président Moktar, quant à lui, était parmi les premiers bacheliers et l’un des premiers cadres de niveau universitaire du pays.
Au vu de ce bilan, il serait juste de dire que l’officialisation du français fut un choix strictement politique, fait selon la volonté de quelques-uns contre la volonté de la majorité. Et nos chefs d’État qui prononçaient leurs discours en français ne s’adressaient jamais à la Nation mais à l’administration et aux élèves du secondaire.
La production intellectuelle, elle aussi, n’était pas mieux lotie. Il n’y avait ni littérature mauritanienne d’expression française ni création culturelle produite en français de quelle que nature que ce soit. Un tel bilan était tout à fait normal compte tenu du caractère superficiel de l’implantation coloniale française qui s’était limitée, en tout et pour tout, à quelques rares postes administratifs plantés au sein des chefs-lieux régionaux, en plus de la faible couverture scolaire qui ne touchait que quelques rares élèves, essentiellement des fils de notables et dans quelques rares écoles éparpillées sur l’étendue du territoire national.
Au sujet de l’arabisation forcée dont parlent sans cesse les FLAM, c’est tout simplement une manière de semer la confusion dans les esprits en confondant volontairement usage de la langue, l’arabe, et l’ethnicité. Ils donnent, d’une part, l’impression que l’arabe est une langue étrangère nouvelle, enseignée depuis juste les années soixante, alors que l’arabe était la langue véhiculaire des peuples de ce territoire, y compris les Négro-Mauritaniens, depuis au moins la présence de l’Islam qui date du Xème siècle, à l’époque almoravide ; d’autre part, ils introduisent par la même l’idée selon laquelle celui qui apprend l’arabe devient automatiquement un Arabe. Dans ce cas, si l’on suit leur logique, celui qui apprend le français serait machinalement un Français, un assimilé. Par conséquent, la francophonie serait, suivant le même raisonnement, une nouvelle identité africaine à la place des identités culturelles négro-africaines.
C’était donc tout l’inverse, la Mauritanie était devenue francophone par la volonté de sa composante noire : les fonctionnaires négro-mauritaniens formés à l’école coloniale entendaient conserver leur avantage par la francisation exclusive de l’administration. Déjà pendant la période coloniale et jusqu’aux années quatre-vingt-dix, à cause « du retard de la scolarisation – en français – en Mauritanie hassanophone par rapport à la vallée… l’administration française était obligée de recruter le plus grand nombre de ses fonctionnaires et agents locaux dans le Sud mauritanien » .
Les raisons du bras de fer permanent entre les tenants de l’exclusivité francophone de l’administration et de l’enseignement, d’une part, et les partisans de l’arabe ou plus exactement du bilinguisme franco-arabe dans ces deux domaines, d’autre part, trouvent ainsi une de leurs explications. D’autres s’y ajoutent comme celui du combat contre l’assimilation présumée véhiculée par les arabo-phobes. Les pourfendeurs de « l’arabisation forcée » et choristes de la « francisation forcée » soutiennent que si les ethnies négro-mauritaniennes apprenaient l’arabe, elles cesseraient d’exister en tant que réalité ethnoculturelle.
Pourtant l’Afrique noire enseigne les langues européennes et les utilise pour les besoins de l’administration. Peut-on objectivement dire qu’elle est aliénée ?
Pas du tout, les pays négro-africains conservent toujours leurs spécificités linguistiques et culturelles et la carte ethnographique africaine est toujours au complet et l’ouverture sur l’autre n’a tué aucune ethnie.
Une deuxième thèse, non moins fallacieuse, avancée par les mêmes militants anti-Arabes prétend que si les élèves et les étudiants noirs recevaient un enseignement en langue arabe en même temps que leurs compatriotes arabes, l’avantage en connaissances serait automatiquement en faveur des derniers au détriment des premiers. Là encore, le raisonnement est tiré par les cheveux. L’aspect phonétique, c’est-à-dire la prononciation des sons que etnicistes poulo-toucouleurs présentent comme longueur d’avance et atout majeur au bénéfice des petits Maures est en vérité loin d’être un élément déterminant, et « selon les spécialistes, ce qui importe essentiellement, c’est l’intelligence et le travail de l’enfant, abstraction faite de son origine ethnique ».
C’est exact, les Africains et les Arabes parlent le français avec accent et roulent les ’r’, et ce n’est pas un handicap scolaire. Cette prétendue incapacité n’a pas empêché le Sénégalais Léopold Sédar Senghor et le Libanais Amin Maalouf de faire leur entrée à l’Académie française.
Les Peuls et les Toucouleurs ne connaissent pas le pulaar.
Les Flamistes exagèrent. Ils font croire aux autres que tous les Pulaars ont une parfaite connaissance du peul, parce que c’est leur langue maternelle ; un peu comme si tous les Arabes prétendaient être des Al-Khalil ibn Ahmad al-Farahidi ou Sibawayh.
Certes, la langue maternelle est celle que l’enfant comprend avant d’aller à l’école sans efforts et sans intervention pédagogique, mais elle ne lui enseigne pas la lecture et l’écriture, et encore moins, les connaissances livresques. Pour connaître et éventuellement avoir une bonne maîtrise d’une langue, il faut l’étudier, ce qui n’est pas le cas des locuteurs des langues orales qui demandent d’abord d’être codifiées avant de pouvoir passer à la phase suivante, celle de langues d’enseignement.
En Mauritanie seuls quelques rares chercheurs en linguistique et en didactique des langues ayant planché sur l’étude théorique du pulaar comprennent son fonctionnement ; tout le reste des locuteurs du parler peul est encore au niveau du langage, encore très loin de sa bonne maîtrise, car la langue même gestuelle est un système de signes bien élaboré qu’il faut apprendre du moment que la mère ne le transmet pas. Pour illustrer ce propos, l’anecdote suivante nous semble édifiante : lors de la cérémonie funéraire organisée pour rendre un dernier hommage à Nelson Mandala, un jeune homme se présenta au podium à l’improviste, sans être sollicité, afin d’assurer l’interprétation en langage des signes des discours prononcés à cette occasion. Dès ses premiers gestes, les sourds-muets présents comprirent vite que l’homme était incompétent et demandèrent à ce qu’il soit remplacé. Un expert sollicité pour analyser la contre-performance conclut que l’homme était un imposteur, il parlait sans grammaire et répétait des gestes insensés et parfois choquants à l’adresse de l’honorable audience, des insanités du genre : « vous êtes des cons (les chefs d’État et le public) » …
C’est dire en toute simplicité qu’une langue ça s’apprend sinon on n’y connait rien !