Il y avait de l’électricité dans l’air, sinon comment un incident frontalier ordinaire entre des Peuls mauritaniens et des Soninkés sénégalais pouvait déclencher une crise interétatique de l’intensité de celle survenue en 1989 entre la Mauritanie et le Sénégal ?
Tout s’explique. Il n’y a pas un Peul ou un Toucouleur mauritanien qui n’ait de la famille du coté sénégalais et vice versa, un enchevêtrement tel que quand ça tousse à Nouakchott, c’est Dakar qui s’enrhume et parfois méchamment.
Suite donc au putsch manqué de 1987, les FLAM ont eu pignon sur rue à Dakar et le bashing anti « naar » commença dans la presse et dans les salons partout au Sénégal.
Le fuel est prêt, il ne manque plus qu’une étincelle, l’incident de Diawara le sera.
La crise économique aiguë que vivaient les Sénégalais et la pression de l’opposition sur le pouvoir d’Abdou Diouf vont faire le reste.
En plein Ramadan, ce qui devrait arriver arriva. On oublie l’Islam, la parenté, le voisinage, les liens historiques, les intérêts et les relations économiques : OMVS, CEDEAO, les accords de défense : ANAD ; la haine raciale prend le dessus : saccages, massacres, viols… l’horreur gagne les rues des grandes villes de part et d’autre.
Les Poulo-Toucouleurs sénégalais notamment Amath Ba et Aly Bocar Kane sont en colère, ils veulent que les armées s’affrontent pour infliger la plus sévère des corrections aux « Naar Guenar », les squatteurs du pays des Noirs, celui des héritiers de l’Empire des Tekrours. Le président Abdou Diouf raconte dans ses Mémoires ce qui suit :
« Certains ressortissants de la vallée, qui étaient d’ailleurs mes amis, m’ont traîné dans la boue au cours de meetings, en disant que si je voulais la paix, c’est tout simplement parce que j’étais lâche. Je pense en particulier à deux personnes pour lesquelles j’avais pourtant la plus grande estime, le docteur Amath Ba, qui était mon aîné, et qui m’a critiqué dans tous les meetings où il eut à intervenir. Il n’était pas seul à agir de la sorte, puisque parmi mes détracteurs d’alors, je comptai aussi Aly Bocar Kane que j’admirais beaucoup lorsque j’étais jeune lycéen, et membre du Conseil de la Jeunesse du Sénégal, lui étant Président du Conseil de la Jeunesse de l’AOF. Tous les deux, gagnés par la passion qui avait pris le dessus sur la raison, m’avaient vraiment traîné dans la boue. Ils n’étaient cependant pas les seuls va-t-en-guerre, dans ce contexte de crise. On en comptait même beaucoup ».
Sans surprise la France se range du côté sénégalais. Elle et le Sénégal n’avaient pas tenu en échec le Maroc qui voulait phagocyter la Mauritanie pour que celle-ci les nargue par la suite, même trois décennies plus tard.
Le principal soutien arabe de la Mauritanie était l’Irak. En effet, le président Saddam Hussein ne s’était pas limité aux simples déclarations de soutien fraternel, joignant l’acte à la parole, son engagement en faveur de ses frères mauritaniens était sans limite : soutien diplomatique et assistance financière et militaire. L’armée mauritanienne a eu les moyens de défendre l’intégrité territoriale de son pays. Le président Diouf l’admet : « Les Forces armées mauritaniennes étaient beaucoup plus armées que les militaires sénégalais. Saddam Hussein les avait équipées en missiles, et selon leur plan, ils devaient détruire Saint-Louis, et ensuite Dakar, si le Sénégal bougeait. J’ai eu la confirmation du soutien de l’Irak à la Mauritanie de l’Ambassadeur du Sénégal Massamba Sarré, qui lui-même a eu l’information de l’Ambassadeur d’Irak à Paris. »
Rupture des relations diplomatiques entre la Mauritanie et le Sénégal, affrontements sanglants occasionnant des dizaines de morts, rapatriements des ressortissants des deux pays, tel était le bilan catastrophique de la crise de 1989.
La paix entre Mauritaniens et Sénégalais était revenue peu après mais « la campagne internationale de dénonciation du régime mauritanien orchestrée depuis le Sénégal et la France auprès des journaux et organismes internationaux » vacontinuer sans interruption.
Du côté du Sénégal, la boucle fut bouclée tandis qu’au contraire du côté de la Mauritanie, un nouveau dossier fut monté et baptisé en termes comptables « le passif humanitaire », un fourre-tout où la question des réfugiés et celle du massacre des militaires négro-mauritaniens survenu en 1990 dans le sillage du conflit sénégalo-mauritanien sont insérés.
Malgré les efforts des autorités mauritaniennes afin de réparer les dégâts, rien n’y fait, des marchands de malheurs connus sur la scène nationale et internationale refusent et en font un cheval de bataille.
Mauritanie : vous avez dit vivre ensemble ?