Le phénomène ethniciste poulo-toucouleur n’est pas spécifique à la Mauritanie même s’il y est des plus tenaces. D’autres pays de la sous-région ouest-africaine en ont souffert aussi, sauf que dans leurs cas le conflit opposait des ethnies noires entre elles, alors qu’en Mauritanie, il s’agit de deux races dans une situation d’antagonisme congénital rajoutant l’évocation du racisme à la question.
En Guinée, en juillet 1976, Diallo Telli, ancien ministre de la justice de Sékou Touré et ancien secrétaire général de l’Organisation de l’Unité Africaine est arrêté et avec lui cinq autres personnes, tous accusés d’avoir planifié l’assassinat du président Ahmed Sékou Touré. Conspiration réelle ou simple complot imaginaire, celui des Peuls en vue d’arracher le pouvoir des mains d’un Malinké ? Dans tous les cas, une terrible violence liée à l’ethnicisation de la vie politique guinéenne allait s’abattre sur les Peuls engendrant un « passif humanitaire » des plus lourds des années de règne de Sékou Touré.
Il va de soi que le maître de Conakry n’était pas l’enfant chéri de la France, celle-ci lui en voulait à mort pour son « non » historique à la Communauté française en Afrique noire. En représailles, De Gaulle, selon Foccart, avait donné l’ordre de tout mettre en œuvre pour éliminer le rebelle révolutionnaire.
Le complot français contre Sékou Touré aura pour nom « opération persil » : « une opération visant à provoquer un coup d’État à Conakry, et éventuellement la liquidation physique du président guinéen, est étudiée début 1959 ; elle devrait utiliser, à partir de Dakar, des opposants guinéens en exil, entraînés par des officiers et sous-officiers parachutistes détachés de la fameuse 11e demi-brigade de choc »
Les opposants guinéens impliqués dans le complot étaient dirigés par un Peul du nom de Souleymane Baldé. Après son arrestation par la police sénégalaise avant l’exécution du coup, il avoue et donne des informations sur l’implication des services secrets français.
Interrogé, après sa retraite, sur la conjuration, Jacques Foccart, « le Monsieur Afrique » de l’Elysée, dit « avoir joué un rôle dans la mise en place de cette opération » .
Bien sûr, la France avait un compte à régler avec un Sékou Touré, le « mouton noir ».
Les Peuls aussi avaient un motif de se battre contre lui, car ils estimaient, à tort ou à raison, qu’il avait marginalisé et défavorisé leur communauté ethnique. « C’est de cette frustration… qu’est née l’idée de conduire une action armée », soutenait Souleymane Baldé.
Sans chercher à innocenter Sékou Touré ou condamner Diallo Telli, en Guinée comme partout en Afrique, la colonisation française avait pour habitude d’exacerber les antagonismes ethniques pour mieux dominer. En Algérie, par exemple, elle avait créé « la crise kabyle » ; au Rwanda, elle avait dressé les Hutus contre les Tutsis ; en Mauritanie, sa main invisible agite la question linguistique, cet interminable conflit opposant Noirs francophones et Maures arabophones, etc.
La Guinée, elle, était divisée en quatre régions ethniques en perpétuelle rivalité où tous les arguments sont bons pour avoir l’avantage. L’autochtonie et la taille de la population sont les principales armes de la confrontation : « certains intellectuels radicaux joue avec l’idée d’une allochtonie des Peuls, qui n’auraient qu’à « retourner » en Somalie ou au Macina, région du Mali d’où les fondateurs de la théocratie peule du Fouta Djallon seraient originaires » ; et en réplique, d’autres Peuls, non moins fanatisés, « imaginent la Guinée, pays de la plus forte présence peule dans la sous-région, comme un bastion, un Israël des Peuls ouest-africains menacés ».
Encore, une autre crise aux relents ethniques était survenue au Sénégal entre Léopold Sédar Senghor, un Sérère, et Mamadou Dia, un Poulo-toucouleur. Cependant, contrairement à la Guinée, la France tenait beaucoup à la stabilité du Sénégal et y avait étouffé toute velléité ethniciste.
Ce conflit avait opposé en 1962 deux hommes d’État également brillants, l’un était président de la République et l’autre président du Conseil. Au-delà de la lutte pour le pouvoir et des divergences politiques, les deux rivaux n’étaient pas en phase sur une question essentielle : l’ancrage culturel du Sénégal. Mamadou Dia était un fervent musulman et un pro-arabe convaincu, et l’affermissement des relations culturelles du Sénégal avec le monde arabe était un des axes majeurs de sa politique éducative et culturelle. Son gouvernement avait envoyé plusieurs étudiants apprendre l’arabe dans les universités arabes et dans le même temps il avait renforcé l’enseignement de cette langue dans le système éducatif national.
Cette orientation arabophone ainsi que l’attachement de Dia à son identité culturelle propre étaient « perçues comme anti-françaises », voire dangereuse pour la France et pour le futur chantre de la francophonie qu’est Senghor. Ce dernier, en ce qui le concerne, était catholique et foncièrement pro-français. « Sa position dans le débat sur les langues était tout tranchée, il était intimement convaincu que la langue française était la seule à même » d’assurer l’unité « des Sénégalais pour la simple raison qu’elle n’est pas susceptible de favoriser une ethnie par rapport à une autre.
Tout compte fait, c’est le poids de la France qui avait permis de contenir la crise et d’éviter que les ethnies ne s’en mêlent. Finalement, Senghor a triomphé, les intérêts stratégiques de la France et la francophonie avec.
Extrait de Mauritanie : vous avez dit vivre ensemble ?