Le Calame : Commençons si vous le voulez bien par les concertations que le nouveau président entreprend depuis quelques temps avec les acteurs politiques de l’opposition. Dans ce cadre, vous l’avez rencontré, comme certains de vos homologues. Est-ce à dire que la page du contentieux électoral est tournée et que votre rejet des résultats proclamés par et la CENI et le Conseil Constitutionnel est lui aussi enterré ?
Mohamed Ould Maouloud : L'aspect juridique de la crise est effectivement derrière nous, puisque tranché par le Conseil Constitutionnel. Mais reste la dimension politique du problème, la crise de confiance, la persistance d'un état de confrontation potentielle entre l'opposition et le nouveau pouvoir. Seule une normalisation de la scène politique peut asseoir la légitimité de celui-ci. Ce qui, pour l'opposition, passe nécessairement par une refonte totale et consensuelle du système électoral, qui restaure et consolide les avancées réalisées par les dialogues et concertations effectués depuis 2001 et corrige la grave régression enregistrée à partir de 2009, devenue manifeste en 2013 et arrivée à son comble en 2019; en somme, dépasser la crise postélectorale, c'est adopter un nouveau système électoral consensuel qui rende l'électeur libre et l'alternance démocratique possible.
Au sortir de ces audiences avec le président Ghazwani, vous n’avez presque pas tous manqué de saluer son initiative. A-t-il fini donc de vous convaincre de l’accompagner pour apaiser la tension post électorale mais aussi celle consécutive aux dix dernières années du règne de son ami et prédécesseur, Ould Abdel Aziz ? Qu’attendez-vous concrètement du nouveau président pour commencer? Un dialogue politique ? Un gouvernement d’ouverture ?
Ce qu'attend le peuple de tout président: instaurer un climat de paix et de justice et d'État de droit, notamment en mettant fin aux persécutions des opposants (mettre un terme aux poursuites judiciaires, permettre le retour en sécurité des exilés ), lutter contre la corruption et rompre avec la gouvernance des lobbies qui avaient mis à genoux le pays et plongé la grande majorité de notre peuple, surtout les populations rurales, les jeunes et les femmes, dans la pauvreté, prendre des mesures d'urgence pour secourir les couches les plus défavorisées. Et prioritairement, engager une concertation nationale sur tous les grands dossiers (unité nationale, esclavage, enseignement, santé, chômage, insécurité, lutte contre la corruption) pour aboutir à un consensus qui assoie une stabilité et une cohésion nationale nécessaire pour préparer le pays à l'entrée dans l'âge du boom gazier et pétrolier, à la fois plein de promesses et de risques. Aussi avons-nous trouvé positive la démarche récente du Président de renouer le contact avec l'opposition et de l'écouter. Mais le plus important sera la suite qui sera donnée à ces entretiens.
Beaucoup de mauritaniens se demandent si le président Ghazwani peut gouverner différemment le pays que son alter ego de 40 ans. Partagez-vous leur scepticisme ? Avez-vous décelé chez lui des signes ou actes précurseurs vous faisant penser le contraire ?
Certains pensent qu'il est difficile de faire pire que le pouvoir précédent en matière de gestion des affaires du pays. Mais la plupart des Mauritaniens espèrent que le nouveau président soit plus sensible aux préoccupations des citoyens et aux intérêts du pays.
En allant rencontrer le président Ghazwani, aviez vous une préoccupation particulière concertant l’avenir de ce pays. Si oui laquelle, Que vous a-t-il répondu là-dessus ?
Ne pas rater pour le pays l'occasion d'un nouveau départ. Les grands défis à relever sont certes énormes. Comment limiter l'effondrement de l'économie rurale et le tsunami de l'exode vers les villes qui menace? Comment désamorcer une crise sociale explosive ? Que faire pour en finir avec les pratiques esclavagistes et rétablir les communautés négro-africaines dans leurs droits? Comment protéger le pays contre le fléau de la drogue, principal vecteur de la criminalité ? Et comment normaliser la scène politique et assurer la stabilité dans un environnement international et régional trouble ?
Mais face à ces défis, les atouts ne manquent pas pour qui veut et sait les saisir. D'abord la disponibilité de tous les acteurs politiques et sociaux pour un consensus sur toutes ces questions. Ensuite, la très forte demande de changement et de réforme par toutes les couches de notre peuple qui est à même de bousculer les résistances des partisans du statu quo. Enfin des perspectives économiques prometteuses avec une gestion transparente, juste et avisée des ressources nationales, surtout avec le démarrage de l'exploitation du gaz.
Pendant et après la présidentielle, les 4 candidats de l’opposition avaient affiché une unité face au pouvoir. Mais vous êtes allé, chacun de son côté, répondre à l’invitation du nouveau président. Est-ce à dire que cette union a fini de voler en éclats? Quel avenir prévoyez-vous pour cette opposition fortement divisée pendant la présidentielle ?
Rappelons d'abord que lesdits candidats sont les premiers à préconiser le dialogue au lendemain de la crise postélectorale. Ensuite ils avaient préféré depuis le début laisser à chacun son autonomie tout en coordonnant au besoin. Enfin l'invitation n'étant pas collective, chacun ne pouvait y répondre qu'individuellement. L'essentiel est que le discours tenu au Président à été le même pour l'essentiel.
Quant aux partis d'opposition, reconnaissons qu'ils ont commis une lourde erreur et déçu leurs militants et tout le peuple lorsqu'ils ont échoué à s'entendre au moment crucial sur un candidat unique et se sont dispersés à tout vent. C'est d'autant plus regrettable qu'ils avaient réussi à tenir tête au pouvoir despotique et à ses manœuvres pendant une décennie, et mis en échec son référendum et sa tentative pour un troisième mandat. Cette débandade a coûté cher à l'opposition, qui, politiquement, a beaucoup perdu en termes de crédibilité dans l'opinion. Electoralement, la division a aussi permis au pouvoir d'en profiter pour faire machine arrière dans la négociation qui était en cours pour intégrer l'opposition à la Ceni.
Actuellement, au niveau des partis de la Coalition des forces du Chargement (Rfd, Ufp, Unad), qui avaient soutenu ma candidature, la coordination est au beau fixe. Au niveau des autres partis, le rétablissement de l'unité de l'opposition est à nouveau à l'ordre du jour, et des contacts sont en cours dans ce sens. Mais il s'imposera, bien sûr auparavant, de tirer les leçons du passé, pour ne pas tomber dans les mêmes travers.
La question de l’unité nationale a été au cœur des programmes de campagne des différents candidats à la présidentielle. Avez-vous trouvé chez le président Ghazwani une réelle volonté politique d’apporter des solutions définitives à cette question ? En la matière, par quel bout commencer suite aux affrontements et répression que le pays a connus au lendemain du 22 juin dernier ?
L'unité des composantes de notre peuple est notre ceinture de sécurité dans un environnement international et régional trouble et c'est aussi la clé indispensable pour rétablir chacun dans ses droits. Mais l'unité nationale est une construction permanente, elle n'a pas de solution définitive et doit être constamment défendue contre les facteurs de destruction. Périodiquement, elle se pose en des termes différents qui commandent à nouveau le dialogue et le consensus. En Belgique, pays très en avance en la matière, on n'en finit pas de dépasser les querelles entre Wallons et Flamands et de renouveler les consensus mais toujours de façon démocratique et pacifique. Aujourd'hui, à mon avis, la priorité doit être de renouer avec les conclusions et la feuille de route adoptée par les Journées de Concertation Nationales d'octobre 2007, processus malheureusement interrompu puis dévoyé par le pouvoir sortant.
Il s'agit de façon prioritaire de réaliser un nouveau consensus entre tous les acteurs nationaux sur les principales questions conjoncturelles (passif humanitaire, réfugiés etc.) et de fond (système éducatif, présence dans les administrations et pouvoirs d'État, question foncière etc.) aux travers de nouvelles rencontres nationales.
La cohésion sociale touche aussi à l'unité nationale, elle en est l'assise indispensable. Or les catégories sociales de la société traditionnelle perdurent et se recyclent avec pour les uns des privilèges et pour les autres la marginalisation. Il s'agit d'extirper les pratiques esclavagistes, de remplacer la discrimination négative de la société traditionnelle à l'endroit des castes dominées, Haratines, artisans, griots, etc. par une discrimination positive qui accélère leur promotion et leur intégration sociale. Voilà une autre dimension du problème qui nécessite un consensus national, non sur le principe, ce qui est largement partagé au niveau de l'élite politique, mais sur l'approche, les mesures et la feuille de route.
Revenons à ce qui se passe au sein de votre parti, l’UFP resté jusqu’ici à l’abri des turbulences voire des scissions qu’ont connues nombre de nos partis politiques. Le faible score que vous avez réalisé lors de la dernière présidentielle est venu accentuer une crise qui couve depuis 2013/2014. En écoutant les deux camps qui s’affrontent et au vu des sanctions administrées à certains responsables du parti, on a du mal à comprendre comment ce parti en est arrivé là aujourd’hui.
Que se passe-t-il au sein de ce parti de gauche dont les prises de positions ont été appréciées par l’opinion mauritanienne ? Le congrès annoncé pourrait-il prononcer des exclusions contre ceux qui sont frappés de sanctions ?
Normalement je n'ai pas à vous parler de nos problèmes internes. Mais comme certains les ont étalés sur la place publique, je voudrais seulement lever quelques confusions.
Les mauvais résultats ne sont pas le problème puisque personne au départ ne se faisait grande illusion vu le nombre de facteurs négatifs (retard de la décision, manque de moyens, processus électoral entre les mains de l'adversaire, division de l'opposition). D'ailleurs la divergence au sein des instances dirigeantes du Parti opposait la minorité qui préconisait d'éviter les mauvais résultats prévisibles en se contentant de soutenir un candidat indépendant et la grande majorité qui pensait qu'il valait mieux pour l'opposition démocratique prendre le risque de mauvais résultats et se présenter sous ses propres couleurs et son propre projet politique plutôt que disparaître de la scène nationale.
Au lendemain de l'élection présidentielle, certains de ces camarades dirigeants très minoritaires dans le parti se sont malheureusement donné le droit d'engager une campagne hostile contre leur parti sans prétexte logique, sans revendications et sans propositions. Et cela des semaines durant. Le Bureau Exécutif, après l'échec de démarches effectuées en leur direction pour résoudre cette étonnante crise, s'est vu contraint de décider d'appliquer les dispositions prévues par les textes en la matière. Des sanctions ont été prises pour les cas les plus graves, mais à un degré minimal en guise de mise en garde. Espérons qu'ils se raviseront. Dans tous les cas, le parti a décidé d'ouvrir le débat en interne sur toutes les questions dans la perspective du congrès prévu en fin décembre prochain. Pour celui qui veut réellement contribuer à corriger des erreurs ou à mieux orienter la politique du parti, la voie est ouverte. Mais si son objectif est autre, rien ne l'empêche de le poursuivre, mais pourquoi alors s'obstine-t-il à chercher à nuire à un parti dont il ne voudrait plus. Voilà ce que je peux dire sur cette question.
Au lendemain du départ d’Ould Abdel Aziz, votre parti aura été l’un des premiers à réclamer l’audit général de ses dix ans de mandat. D’abord, sur quoi fondez-vous cette requête ? Ensuite, ne pensez-vous pas qu’elle risque fort de tomber dans l’oreille d’un sourd dans la mesure où le président actuel est non seulement ami du président sortant mais aussi et surtout qu’il participe, depuis 2008, d’une certaine manière, à sa gestion des affaires du pays ?
Je n'ai pas besoin de donner les raisons qui justifient la réclamation d'audit des comptes de l'Etat et des principales entreprises publiques. C'est de notoriété publique. La faillite et la liquidation des unes (Ener, Sonimex etc.) et les graves difficultés d'autres, les multiples scandales économiques, entre autres, qui ont émaillé la décennie écoulée, donne droit au peuple de réclamer un état des lieux, et de faire toute la lumière sur les biens publics spoliés ou dilapidés. Et c'est au nouveau pouvoir de prendre ses responsabilités au risque d'endosser le bilan catastrophique du prédécesseur.
Vous êtes dirigeant d’un parti politique mais aussi docteur en histoire et professeur d’université. Que vous inspire cette sortie du président de la République, le 7 octobre pour donner le coup d’envoi de la rentrée scolaire 2019/20 ? Diriez-vous un folklore ou un slogan de plus après toute une année consacrée à l’éducation, il y a quelques années? A votre avis, de quoi souffre notre système éducatif ?
Attendons de voir quelle suite le nouveau pouvoir donnerait à ses déclarations et gestes pour le redressement du secteur de l'enseignement.
Le mal est très profond. Les effets d'annonce sans lendemain du pouvoir sortant sont de triste mémoire. Par exemple cette proclamation de l'année 2015 "année de l'enseignement", avec pour seuls résultats de prétendus "états généraux de l'enseignement" aux conclusions aussitôt enterrées, la vente d'écoles publiques et un taux de réussite au baccalauréat catastrophique ( moins de 10%).
Malheureusement la déconfiture du système d'enseignement impose une véritable opération de sauvetage, l'état de notre école préfigurant le visage de la Mauritanie de demain. Durant la campagne électorale, j'ai préconisé l'organisation de véritables états généraux de l'enseignement qui impliqueraient tous les acteurs (enseignants, parents d'élèves, chercheurs, autorités, etc.) pour établir un diagnostic et préconiser les réformes nécessaires. Il faut surtout éviter les improvisations et se méfier des idées reçues. Telle cette doctrine officielle en vogue depuis deux décennies qui préconise, pour réduire les coûts pour l'Etat, le regroupement des ruraux comme condition d'accès à l'école. Au risque d'abandonner des milliers d'enfants ou de couper des populations de leurs activités économiques et d'en faire des candidats à l'exode vers les grandes villes. L'habitat rural est par définition dispersé en raison de la nature des activités agricoles et pastorales. C'est aux services publics de suivre l'habitat, lequel dépend de l'activité économique, et non l'inverse. Durant la colonisation, l'école sous tente suivait les pérégrinations des campements nomades. C'est donc à l'Etat d'adapter ses services à cette réalité et non d'imposer, pour des préoccupations comptables, à des populations de rompre avec leur mode de vie.
Propos recueillis par AOC