La police chargée des crimes économiques et financiers a convoqué le 3 novembre pour la seconde fois, Beder Ould Abdel Aziz, le fils de l’ancien président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz.
Bedr, convoqué pour être entendu la première fois 24 heures seulement après son arrivée à Nouakchott en provenance de l’étranger d’où il est rentré après plusieurs mois d’absence, sera appelé sans doute à répondre à une « batterie » de questions que les enquêteurs de la commission parlementaire et les inspecteurs en charge de l’enquête judiciaire se posaient et auxquelles ils n’avaient pas trouvé de réponses.
L’enquête parlementaire, montée d’un cran avec l’ouverture par le parquet d’une enquête judicaire préliminaire, est très compliquée. L’ancien président qui a dirigé les affaires du pays d’une autorité de fer et sans partage deux mandats successifs l’a reconnu lui-même.
En effet, c’est une affaire qui cible sans dessus dessous et pêle-mêle, des premiers ministres, des ministres, des conseillers, certains collaborateurs, des directeurs d’établissements publics ou parapublics, des hommes d’affaires (certains poids lourds de l’économie et des finances respectables et respectés et d’autres de véritables escrocs en voie de développement). Mais aussi et par ailleurs parfois elle touche cas par cas certains partenaires nationaux et internationaux.
Cela peut signifier que, même si la justice est indépendante et si cette justice est dotée de tous les pouvoirs que lui confère la loi pour faire son travail et agir sans « interférence ou ingérence » du pouvoir, certains dossiers seront certainement quand même « traités » avec prudence, parfois même avec « prudence diplomatique » comme cela semble être le cas pour Poly Hon Dong, la « chinoise » du gouvernement de Pékin qui est considérée l’une des affaires les plus opaques et les plus désastreuses pour l’économie du pays.
Si la commission d’enquête parlementaire (qui a fait quand même à la surprise générale un travail louable, remarquable, éloigné de toute complaisance et cela malgré le temps très court qui lui a été accordé), n’a pu éplucher que quelques dossiers choisis sur le tas, le volume de travail de la police judiciaire a pris des proportions inquiétantes pour certaines personnes citées dans les affaires objet de cette enquête parlementaire.
La police des crimes économiques, -certainement sur commission rogatoire du parquet- a passé au peigne fin toutes les conclusions de l’enquête parlementaire. Depuis qu’elle s’est saisie du dossier, cette police judiciaire essaie « professionnellement » et méthodiquement de combler les insuffisances constatées par le parquet dans les conclusions de l’enquête parlementaire. Ce travail nécessitait de reprendre certaines auditions et d’en ajouter d’autres et à chaque fois d’approfondir les investigations.
C’est ce travail de fourmi qui a permis aux enquêteurs de se laisser glisser par des ramifications en direction de certains délits qui s’enchevêtrent avec d’autres par liens de complicité, d’association de malfaiteurs, ou par implications directes ou indirectes dans des actes répréhensibles du point de vue crimes économiques et financiers.
La police spéciale des crimes économiques est à sa première expérience dans des enquêtes de ce genre qui ciblent de véritables niches d’actes d’accusations qui interfèrent parfois à la fois dans la corruption, l’association de malfaiteurs, le crime familial « organisé », le détournement des deniers publics, la gabegie, la fuite des capitaux, le blanchissement de l’argent sale, la mise en place de petits paradis fiscaux sous forme de banques ou institution financières de proximité, la transgression des textes de loi et enfin parfois même dans la complicité au niveau national et international.
Si la police des crimes économiques et financiers restera sur sa fin pour trouver des réponses à des questions qui nécessitent forcément l’audition de l’ancien président Ould Abdel Aziz qui refuse jusqu’ici de collaborer, de répondre aux questions, d’infirmer ou de confirmer certaines déclarations d’accusés qu’ils soient ses proches ou ses ennemis de dernière minute, elle peut en attendant se contenter de mettre sous la dent les informations qu’elle peut tirer de l’audition de Bedr Ould Abdel Aziz, le dernier des accusés que la police souhaitait entendre pour élucider certaines « énigmes ».
Les auditions de Bedr Ould Abdel Aziz, qui est le président de la Fondation de bienfaisance Humanitaire ERRAHMA vont porter évidemment en premier lieu sur les biens de sa fondation, ses sources de financements mais également les mouvements de certaines dépenses engagées. Ceci en raison du fait qu’au cours d’une perquisition qui a été menée en son absence au siège de son organisation, les enquêteurs ont découverts l’existence d’un « entrepôt fictif » de matériel et d’équipements qui, à priori n’ont rien à avoir avec les activités à but non « lucratif » de son organisation caritative.
Là est le premier problème. Le second problème serait, selon certaines fuites d’informations de l’enquête, lié à la découverte dans les coffres de la comptabilité de l’organisation de documents afférents à des transactions immobilières « notariées » qui auraient des jonctions juridiques avec l’affaire trouble des « spéculations foncières » dites « Affaires Cheikh Ridha ». Si c’est le cas, cela pourrait signifier que le démenti apporté par l’ancien président pour affirmer que sa famille est étrangère à cette affaire pourrait être « démontée » par des preuves matérielles irréfutables.
Le troisième problème pourrait être, celui d’éclairer les enquêteurs sur la traçabilité des opérations bancaires liées aux transferts et aux mouvements des opérations fudiciaires de l’organisation. Des informations qui ont circulé sur les réseaux sociaux « accusaient » la fondation de « canal » utilisé pour blanchissement de capitaux et trafic de métaux précieux ce qui reste à prouver. C’est d’ailleurs pourquoi les enquêteurs cherchent à établir des « causes à effets » de certaines dépenses et de certaines recettes sur les activités de l’organisation, et cherchent également à établir des liens des « activités » humanitaires « lucratives » de celle-ci avec d’autres opérations connexes qui l’impliquent dans des investissements ou qui sont en rapport avec des marchés, obtenus, exécutés par personnes physiques ou morales interposées en lien avec l’organisation.
Enfin, certains pensent que Bedr pourrait être entendu également sur des accusations selon lesquelles, pour le compte de sa famille-, il aurait usé de son influence - dans la prise de certaines décisions qui relèvent de la compétence des ministres, de conseillers ou de directeurs d’établissements publics ou parapublics.
Tout cela veut dire que, Bedr Ould Abdel Aziz, est en réalité la pièce maitresse qui manquait au puzzle de la police pour dénouer certaines énigmes et pour résoudre des équations rendues compliquées par un déficit d’informations, conséquence du silence et du refus de son père de répondre aux enquêteurs sur des détails relatifs à la citation du nom de son fils (Bedr) dans des affaires pour lesquelles ont été interrogés d’autres accusés ou simples témoins.
Mais ce que beaucoup ne comprennent pas, c’est que la présence de Bedr dans les locaux de la Criminelle Economique peut changer la donne dans certaines affaires et amener la police à revoir certaines copies. C’est pourquoi, ses auditions sont importantes pour les enquêteurs. Toute fois, il ne faut pas perdre de vue que ses déclarations peuvent constituer pour certains des témoignages à charge et à décharge pour d’autres. Tout dépendra donc de sa collaboration avec les policiers, des policiers auxquels il avait fait face en d’autres circonstances et pour d’autres affaires qui n’ont rien à voir avec les raisons des auditions actuelles.
Il par ailleurs fort probable, que la présence de Bedr entre les murs du Commissariat Spécial en charge des Crimes Economiques, donne une bouffée d’oxygène à son père qui, par son silence, n’avait pas fait de révélations qui peuvent compromettre certains accusés qui l’indexent. Cette bouffée d’oxygène si elle va profiter à Ould Abdel Aziz, peut par effet d’entrainement et de conséquences, « étouffer » certains accusés qui risquent d’être confondus par des révélations de dernières minutes, que pourrait faire Bedr « par voie autorisée » ou par procuration de son père pour se venger de certains qui ont coopéré trop tôt avec la police en retournant leurs vestes.
Il est même possible que l’entrée de Bedr sur le terrain de l’enquête judicaire, délie la langue de l’ancien président qui pourrait faire plus tard des déclarations qui seront étayées par des preuves matérielles accablantes que son fils pourrait, selon certaines personnes, détenir sous formes d’enregistrements d’écrits ou de témoignages crédibles.
Il est à craindre que le temps ne devienne désormais de plus en plus sale pour les flics. C’est bien possible, si par exemple Bedr apportait des éléments nouveaux en contradiction avec certaines auditions passées, cela pourrait remettre en cause ces déclarations. Cette donne si elle a lieu, pourrait faire relancer sur des nouvelles bases certaines enquêtes qui s’enchevêtrent avec d’autres.
Quoiqu’il en soit, le retour au pays de Bedr, et sa convocation par la police va aider à combler le déficit de certaines informations incomplètes obtenues par la police. Il est possible que se soit le cas pour certaines déclarations du comptable de l’ONG, Mechri, qui ne pouvait pas donner des détails précis et des réponses à certaines questions des enquêteurs par rapport à l’existence de documents ou de matériel entreposé.
Il est évident aussi que les policiers, prendront tout le temps nécessaire pour chercher à soutirer à Bedr le maximum possible d’informations dont ils ont besoin pour les verser au dossier de certaines affaires pour lesquelles d’autres éléments de la famille de l’ancien président ont été entendus.
Si les policiers, en « cuisinant » Bedr arrivent à lui faire dire ce qu’ils cherchent à lui faire dire, cela peut permettre enfin de ficeler une bonne fois pour toute un dossier qui aura fait le plein de sa capacité de documents et de procès-verbaux. En ce moment l’affaire pourrait monter d’un autre cran pour permettre au parquet de renvoyer par voie légale l’ancien président devant une juridiction compétente pour le juger conformément au fameux « 93 » de la constitution. Cette occasion que l’ancien président Aziz attendait peut être, pour dire ce que certains n’ont aucun intérêt à entendre.
Mohamed Chighali