
L'incident de fuite de gaz survenu dans l'un des puits du champ de Tortue, situé dans les eaux mauritaniennes, s'est produit moins de deux mois après le début de la production dans ce champ. Cet événement a considérablement renforcé la crédibilité des critiques formulées
en 2018 par un groupe d'experts concernant l'étude d'impact environnemental réalisée par la société BP, qui n’avait pas pris en compte ces avertissements avec le sérieux requis.
L'équipe d'experts en environnement marin, comprenant des spécialistes renommés tels que l'Américain Richard Steiner et la Néerlandaise Sandra Kolff, a mis en évidence des erreurs graves et des sous-estimations dans l'étude d'évaluation de l'impact environnemental des opérations d'exploration et d'extraction dans le champ de gaz commun entre la Mauritanie et le Sénégal. Ils ont exprimé de vives inquiétudes concernant les risques dévastateurs auxquels la riche biodiversité marine des eaux mauritaniennes sera exposée en raison de la construction de plateformes offshore pour l'extraction de gaz dans le champ GTA, en l'absence d'une réévaluation appropriée de l'étude d'impact environnemental par bp.
Le groupe d'experts, composé de dix chercheurs originaires des États-Unis, d'Espagne, Pays-Bas et d'Allemagne, a déclaré dans un communiqué adressé à British Petroleum qu'il dispose de preuves solides démontrant que l'écosystème fragile de la région risque de s'effondrer à cause de l'évaluation erronée adoptée par la société. Ils soulignent l'urgence d'une correction de cette évaluation.
Les experts ont également indiqué que BP a mal interprété les données collectées concernant la zone du pipeline et la zone de futur flux. Cette interprétation erronée représente une menace véritable pour les récifs coralliens de l'espèce Lophelia, essentielle au développement durable des communautés d'Afrique de l'Ouest, les eaux mauritaniennes étant le foyer des plus grands récifs coralliens des eaux froides au monde.
Les écologistes ont regretté la faible analyse de l'écosystème de surface sur laquelle British Petroleum s'est fondée pour évaluer l'impact environnemental et social. Par exemple, l'emplacement sélectionné pour la construction de la plateforme flottante de production, de stockage et de déchargement, ainsi que celui du pipeline, se situe dans une zone marine cruciale pour la survie des espèces menacées. Cette zone constitue un halage hivernal essentiel pour des populations importantes d'oiseaux côtiers et marins ; en cas de fuite, ces oiseaux marins se retrouveraient en péril, car 30 % des cormorans (Morus bassanus) migrent des îles britanniques vers les côtes mauritaniennes en hiver. Des recherches récentes ont également révélé que cette zone abrite d'importantes populations d'oiseaux en provenance de la zone subarctique, qui utilisent les promontoires sur le plateau continental mauritanien comme sites de nourrissage saisonnier.
Les experts ont recommandé aux autorités mauritaniennes et sénégalaises de refuser d'envisager tout projet proposé par les entreprises pétrolières tant qu'elles n'auront pas rétracté l'évaluation de l'impact environnemental et social et n'auront pas réétudié le dossier conformément aux normes et aux connaissances scientifiques actuelles.
Indifférence de la partie mauritanienne
En réponse aux vives critiques formulées par les experts en environnement, le gouvernement sénégalais a exigé une étude indépendante sur l'efficacité de l'évaluation de l'impact environnemental et social des opérations d'extraction de gaz. Cette étude doit porter sur les risques que ces opérations posent pour les ressources maritimes et la pollution des poissons dans ses eaux territoriales.
Le 28 septembre 2018, le ministère de l'Environnement sénégalais a adressé une lettre à la commission néerlandaise d'évaluation environnementale, sollicité un avis indépendant sur l'efficacité de la stratégie environnementale soumise par un consortium d'entreprises pétrolières dirigé par British Petroleum, ainsi que sur son évaluation des risques liés à l'extraction de gaz et les plans de protection et de réponse proposés par la société.
De son côté, en Mauritanie, British Petroleum a soumis son étude d'impact environnemental à la Direction de la surveillance environnementale du ministère de l'Environnement pour approbation. Cependant, cette dernière n’a pas jugé nécessaire d’annoncer le sujet pour discussion publique ni de solliciter l'avis de bureaux d'expertise internationaux.
S. Ahmed El Hady