Le sujet est d’actualité et mobilise toute l’opinion publique. Sur les réseaux sociaux, les Maures, noirs et blancs, ne parlent que de ça. Dans les salons huppés de Tevragh Zeïna et du Ksar, ceux qui vivent dans le luxe insolent en discutent tout autant. Sirotant leur thé de pause à l’ombre des remorques, les manœuvres l’évoquent de même, spéculant sur la suite. Tout un chacun dans les transports en commun, les vendeuses de légumes du marché marocain, les voisines au pas même de leurs portes, en débattent avec passion. L’un après l’autre, les journaux en font leur « Une ». Des éditorialistes de renommée nationale et internationale changent plusieurs fois de plume pour en parler. Je veux parler bien sûr de la fameuse enquête sur la décennie d’Ould Abdel Aziz.
Que le pays se retrouve en telle situation après les deux mandats que celui-là a passés au pouvoir ne doit surprendre personne. Ça ne doit en tout cas pas surprendre les politiques, de quelque bord soient-ils. Pas plus les activistes de la Société civile ni même les partenaires au développement, donateurs, représentants des institutions financières ou organisations internationales… Car, avant même d’achever son premier mandat, Ould Abdel Aziz avait déjà largement donné le ton de « sa musique » : après son putsch médiocre, maladroit, nul et non avenu, il n’était revenu au pouvoir que pour se remplir les poches. Nous avons donc tous assisté incapables de réagir, à la remise en trône de cet expert en malversations opaques, de ce chef d’orchestre du pillage en bande organisée, de cette arme de destruction massive de l’économie nationale.
Décennie catastrophique
Ce que je dis ici peut être retenu contre moi, j’en assume l’entière responsabilité. J’accuse, formellement devant Dieu Le Tout Puissant et devant tous les pauvres de ce pays qui vivent sous le plus bas seuil de la pauvreté, Ould El Ghazwani, Ould Maham et Mohamed ould Bouamatou d’avoir solidairement imposé de 2008 à 209, l’homme le plus cruel à ce pauvre pays dont les citoyens, noirs et blancs, ne se sont partagés équitablement, depuis son l’indépendance, que les souffrances de la plus catastrophique décennie de son histoire. Ces trois hommes, le premier par son poids militaire, le second par son poids politique et le troisième par son poids financier, ont été – consciemment ou non – les complices d’un établissement au forceps d’un homme pour lequel le Larousse et tous les lexiques de la langue française n’ont de qualificatif collant vraiment à son profil.
Denis Sassou Ngueso, président (à l’essai puis à vie) et son clan ont pillé le Congo de long en large. Edouardo Dos Santos, les membres de sa famille, ses proches et son clan ont vandalisé l’économie de l’Angola. Kabila junior et son cercle en circuit fermé de voleurs à la sauvette politique ont bradé toutes les valeurs morales du grand Congo Kinshasa de Lumumba. Jacob Zuma a commencé en grand chef d’État et fini en pauvre type, lié de connivence à un gang pour de mesquins détournements. Nés dans un environnement favorable à la corruption, Théodore Obiang Nguéma et ses enfants ont transvasé les biens de leur pays vers l’Europe et les États-Unis. Étranglé par le mensonge, Paul Biya, le vieux rapace du Cameroun, n’a laissé aucune place où la main ne passe ou repasse par son pillage, « légalisé » par une Constitution taillée à son costume de voleur en col blanc. Il a sauvé de la faillite des banques suisses, en y injectant l’argent de camerounais maintenant réfugiés en notre pays, vivotant à donner des cours en nos écoles privées. Comme « l’éléphant qui tient la tête et dont le corps est un tronc d’arbre que le temps ronge et mine », Abdoulaye Wade, le vieux révolutionnaire démocrate, délivra un laisser-aller à son fils Karim pour accéder à toutes les zones de pillage par air, terre et mer. Chacun de ces chefs d’État apposa son label personnel sur la liquidation des ressources de son pays. Mais ce qui s’est passé en Mauritanie, en seulement onze ans, dépasse l’entendement et l’imagination. Sûrement un cas d’école à enseigner dans les grandes Polytechniques formant les chefs d’État désireux de brader les richesses de leur pays et de s’enrichir très rapidement.
Un pays brisé
J’ai honte de moi. Mais j’ai surtout honte pour tous ceux qui, comme moi, ont joué de près ou de loin aux « forgerons » pour inventer Ould Abdel Aziz, cette arme de destruction massive de l’économie. Le président sortant a fait saigner la Mauritanie. Des larmes de sang coulent encore de nos yeux qui regardent notre pays rendu méconnaissable par un marchand ambulant de la gabegie sous toutes ses formes. Je n’ai pas de mots pour exprimer les sentiments que je ressens, ceux-là même de la multitude de mes compatriotes qui suivirent le « Messie », volontairement ou involontairement, par intérêt ou par erreur.
Au nom de tous les Mauritaniens, ceux des adwabas qui cultivent encore, au 21ème siècle, des champs appartenant à ceux qui étaient leurs maîtres, il n’y a pas si longtemps ; au nom de ceux qui vivent le long de la Vallée, dépossédés de leurs terres bradées à de peu connues multinationales, pour quelques millions de dollars maintenant sécurisés off-shore en de fiscaux paradis ; au nom de toutes ces femmes qui vendent tous les soirs aux coins de rue quelques kilos de couscous pour nourrir leurs enfants abandonnés par leurs pères ; au nom, enfin, de tous ceux qui depuis 2009, date mémorielle de l’hécatombe politique qui a frappé le pays, je demande au président Ould Cheikh El Ghazwani de rendre deux services à ce pays… s’il l’aime vraiment.
Premièrement, ordonner à la commission d’enquête parlementaire de tout arrêter. Nous avons suffisamment compris combien la blessure occasionnée par le coup de couteau d’Ould Abdel Aziz sur l’économie du pays est profonde. On remercie les parlementaires d’avoir, ne serait-ce que pour la postérité, décidé, osé et réussi. À ce stade de la procédure, la seule punition que mérite, à mon avis, ce « chef », grand au départ et petit à l’arrivée, après avoir remodelé le pays et la Nation sur une trahison frappant de plein fouet la souveraineté nationale, c’est de l’envoyer devant une Haute Cour de justice qui lui proposera l’alternative suivante : soit purger une peine de travaux forcés de soixante années incompressibles pour reconstruire des écoles à l’identique de celles du Marché, de Khayar et de la Justice ; soit lui retirer sa nationalité mauritanienne et le forcer à l’exil, comme il l’a fait pour d’autres. En ce second cas, je demande à Ould Ghazwani de lui affréter un avion gros porteur pour l’éjecter du pays à destination de son choix, avec tous les membres de sa famille, une fois subis, comme pour tout « étranger » les contrôles de police, douane et autres vérifications de chiens renifleurs. Qu’on en « finisse une bonne fois pour toutes ! », comme il l’a dit lui-même lors de la conférence de presse-« diversion » accordée à nos confrères, et qu’on permettre ainsi à son successeur de « commencer à travailler sérieusement pour recoller les morceaux d’une Mauritanie brisée en mille morceaux et défigurée par ses agissements ». Qu’il aille vivre avec les siens au Maroc d’où il a aspiré, par de multiples conduites secrètes, d’énormes capitaux blanchis en patrimoine immobilier. Qu’il aille, s’il préfère, vivre au Sénégal où il expérimenta, dès son jeune âge, les petites arnaques devenues, depuis 2009, de plus en plus monumentales. Ou encore au Swaziland, à côté de son « ami et frère » le roi d’Eswatini, Mswati III, devant lequel défilent, chaque année, des milliers de jeunes vierges à demi nues, un spectacle qui ne devrait pas manquer « d’intérêt » pour lui. Sinon finir ses jours en Turquie, sur un matelas en mousse de billets de dollars emportés dans ses malles. « On s’en fout ! », disait le chanteur Burkinabé du coupé-décalé. Pourvu qu’il nous laisse veiller en paix au chevet de notre pays agonisant. Il n’a cessé de montrer, depuis 2009, qu’il n’était pas mauritanien. Par les résultats de l’enquête parlementaire devant laquelle il s’est dérobé, il a nous a donné, lui, la preuve que ce qu’il aimait ici, ce n‘est de toute évidence pas la Mauritanie mais seulement les biens de celle-ci. Nous, chacun à sa manière et pour ses propres raisons, nous l’avons aimé en sa fonction de guide de la Nation. Mais il a plus que failli et nous avons changé d’« avis » : c’est notre droit. Nous l’avons fait dans l’espoir de nous voir définitivement débarrassés de celui qui causa la plus grande catastrophe survenue en ce pays depuis 1960.
Mohamed Chighali