Le Ministre des Finances du gouvernement actuel, a déclaré jeudi soir lors de la traditionnelle conférence de presse du Conseil des Ministres que l’affaire des 950.000 euros disparus des réserves de la Banque Centrale de Mauritanie (BCM) était « prise au sérieux ».
Quelle suite on peut attendre de cette déclaration ? Que l’enquête ira jusqu’au bout ? Que des sanctions seront infligées à tous ceux qui, de loin ou de près sont impliqués, incriminées ou reconnus coupables de détournement, de complicité ou de négligence ? Que le gouvernement va tirer les conséquences de cette malversation qui a permis de sortir autant d’argent des caisses de la banque Centrale de Mauritanie ? Le nouveau de cette affaire c’est ce que révèle le ministre quand il dit : « ce détournement grève sensiblement la capacité de l’Etat à honorer ses engagements ».
Comment en est-on arrivés là ? Comment la Banque Centrale lieu de haute sécurité financière a pu laisser passer entre ses systèmes de contrôle et de sécurité la somme de 347.700.000 ouguiyas anciennes ? C’est la question que tout le monde se pose à laquelle le ministre n’a pas donné de réponse. En attendant que les enquêtes celle qui est interne à la banque et relevant de ses services de contrôle et celle qui est externe confiée au parquet aboutissent à des conclusions pour mettre au clair ce qui s’est réellement passé, c’est à dire comment, quand et par qui la chose est arrivée, quelques éléments expliquent peut être l’inexplicable.
Premiers éléments du puzzle.
L’auteure des malversations est une femme. Selon certaines informations –pas confirmées- , elle est « employée » mais pas contractuelle dans cette institution « fourre-toutes sortes de contrats » très prisée pour les avantages et intérêts matériels qu’elle accorde à ses employés. La BCM est une institution qui, comme beaucoup d’autres d’institutions financières emploie surtout des femmes pour les tenues de caisses et les tris. Recrutée par qui, pourquoi et dans l’intérêt de qui, il n’est pas important de s’étendre sur ces détails. Cependant sa responsabilité, qui la place apparemment au haut de la hiérarchie au niveau de la comptabilité explique peut être le degré de confiance qui lui était accordé. Par qui ? Pour ses compétences ? Pour le plaisir ? Pour rendre service à quelqu’un qui l’a recommandée ce qui, dans la tradition de nos relations tribales, parentérale ou amicales est une tradition à laquelle n’échappe aucune institution ?
Dans un enregistrement audio d’une conférence de presse accordée par l’ancien président de la République, – à laquelle je me réfère souvent -, en réponse à la question de savoir ce qu’il pense de la commission d’enquête parlementaire, Mohamed Ould Abdel Aziz a dit en terme clairs « Si, un jour tout au long de ces 11 années de mon pouvoir, il m’est arrivé de demander à l’un d’eux (ses ministres) de faire quoique se soit contraire à la loi pour en tirer une ouguiya à mon profit personnel ou au profit de quelqu’un d’autre quel qu’il soit, ou bien si « nous » avons sorti une ouguiya, un franc, un euro ou un dollar du trésor ou d’autre part des biens appartenant au peuple, je suis disposé à répondre de mes actes ». Dans cette déclaration le président avait évoqué les devises « euros » et « dollars ». Il avait employé le verbe « sortir » et sous entendu un lieu désigné par « quelque part » qui n’est pas le trésor. Ce qui ne veut rien dire à priori, qui n’a peut être aucun lien avec cette sordide histoire mais qui peut n’être qu’une coïncidence de mots et de verbes.
Soit. Par contre, il est peut être intéressant de chercher à savoir ce qu’une femme (qui semble bien connaitre la caissière, qui semble proche du milieu bancaire) avait déclaré dans un audio mis en ligne sur Watsapp. Dans cet audio dont nous détenons copie, cette « watsappeuse » avait dit parlant de la caissière : « elle a été libéré tout à l’heure. Elle a déclaré à la police qu’elle reconnait les faits qui lui sont reprochés. Que pas un sou n’a été prélevé de sa caisse sans sa signature. Mais elle affirme que tous les prélèvements effectués ont été effectués sur ordre de ses directeurs hiérarchiques. En ce qui concerne sa caisse qui fait l’objet d’un trou, tous les montants manquants ont été prélevés sur ordre de l’ancien gouverneur de la Banque Centrale dont le gouverneur actuel était à l’époque l’adjoint….Les deux, explique la femme donnaient des instructions pour exécuter des instructions données par le chef de l’Etat, par des gens de son entourage ou par des gens de son clan. Cela tout le monde à la banque le sait et ce n’est un secret pour personne. La watsappeuse affirme que la caissière a dit que ses supérieurs hiérarchiques viennent, puisent dans la caisse des devises à leur convenance et selon leurs besoins sans donner aucun justificatif à qui que se soit. Quand la caissière réclame les justificatifs on lui explique que les justificatifs sont disponibles mais sont soit avec les directeurs, soit avec le gouverneur. Toujours d’après cette femme, la caissière a déclaré que ses responsables ouvrent la caisse des fois les week-ends et parfois même de nuit. Ils préviennent la caissière pour lui dire qu’ils ont ouvert la caisse pour prélever des montants qui sont enregistrés. Quand elle reprend le service et elle constate que les montants prélevés ne sont pas enregistrés sur son livre journal et elle demande à ses supérieurs les justificatifs, on lui explique que les montants ont été enregistrés et les documents sont avec le gouverneur. Cela se passait sous l’ère d’Ould Dahi. »
Ce que dit la caissière rapporté par son amie est peut être vrai. Mais en comptabilité ces affirmations ne peuvent pas être prises en compte comme justificatifs. Dans beaucoup de pays du tiers monde où le détournement et le pillage est pratiqué jusqu’au plus haut sommet de l’Etat, tout le monde le sait, au niveau des banques centrales certains montants prélevés des caisses centrales portent sur des opérations qui entrent dans le cadre du secret bancaire. Ceci est en particulier pour des opérations ordonnées par la présidence de la République. Les justificatifs de ces opérations ne sont pas pour des raisons d’état portés sur le livre-journal de la main courante des caisses mais enregistrés à un autre niveau. Néanmoins, et dans le cas qui nous préoccupe, même si la destination des montants ne peut pas être portée à la connaissance de la responsable de la caisse, responsable de ses liquidités pour des raisons de confidentialité, cela n’empêche pas de mettre à sa disposition un document justificatif précisant le montant prélevé sur la caisse dont elle est la seule et unique responsable.
Donc cet argument qui prête à diversion ne peut en aucun cas tenir. Ce qui importe normalement pour la caissière c’est d’avoir un reçu du montant prélevé sur sa caisse pour qu’elle puisse arrêter ses écritures. Si elle ne l’obtient pas, quelle qu’en soit la raison ou la cause, elle supporte l’entière responsabilité des différences sur les montants injustifiées. Parce qu’en contrôle financier bancaire, que la banque soit primaire, secondaire ou centrale les règles de procédures en matière de gestion fiduciaire sont pratiquement identiques. Les procédures applicables sont consignées dans un manuel dit « de procédure » qui définit toutes les règles à suivre pour le traitement des opérations en rapport avec le mouvement des montants qui alimentent les caisses que celles-ci soient de guichets ou d’approvisionnent.
Les caisses à hauts risques.
Le centre névralgique de toute banque est la caisse centrale. Cette caisse gère les fonds en flux généralement disponibles en monnaie locale ou en devises. C’est cette caisse (dont certaines régles de procédures autorisent un plafond d’un milliard seulement) qui alimente les guichets et autres services comptables de la banque. Dans le cas de la Banque Centrale, la Caisse principale est celle qui régule le mouvement des montants destinés à l’approvisionnement des guichets, des caisses courantes et des caisse centrales des Banques secondaires ou institutions financières en principe.
En ce qui concerne la Banque Centrale, la Caisse Centrale, celles des opérations courantes dites de routines doit arrêter selon les procédures appliquées ses opérations à 13 heures, pour permettre aux agents de faire le point des existants et leur conformité avec les écritures des différentes caisses. C’est un travail de routine qui se fait ai quotidien en fin d’heure pour arrêter les opérations comptables de la journée. En ce qui concerne les contrôles, ces contrôles se font au quotidien par une balance des chiffres, et à des périodes régulières fixées par la réglementation en vigueur. En plus de tout cela, les contrôles inopinés sont des mesures laissées à la discrétion des inspecteurs et contrôleurs applicables à tout moment.
Sécurité bancaire défaillante ?
En matière de gestion fiduciaire il n’y pas de confiance. Le mouvement de l’argent ne peut et ne doit se justifier que par des documents d’ordonnancement authentiques, légalement signés par qui de droit et habilité à le faire. L’indication de l’objet de la dépense ou sa destination n’est pas un élément déterminant. L’argent de la Banque Centrale est déposé dans des caveaux, véritables forteresses dont l’accès n’est possible que pour le caissier central, le contrôleur général, le caissier principal et le contrôle principal qui ont chacun sa propre clé dont la serrure est différente des autres. Les accès aux caveaux ne sont possibles que par les quatre groupés. Généralement l’ouverture de ces caveaux ne se justifie que pour l’approvisionnement des caisses principales ou les dépôts de stocks de billets de banque en en monnaie locale, (pièces ou billets) ou en devises étrangères. Tout le reste de l’argent oxygène pour les banques secondaires, tertiaires et les agences financières de la place passe par la caisse centrale de la Banque dans un flux de mouvement que ce mouvement soit des versements ou des retraits.
Alors comment en étions arrivés là ?
Dans un communiqué distribué dimanche dernier, la Banque Centrale de Mauritanie donnait sa version officielle à propos du détournement intervenu au sein de son institution.
Dans son communiqué la banque affirme que les premiers éléments de l’enquête font supporter l’entière responsabilité du détournement à la responsable directe de la caisse qui a reconnu explicitement les faits. Ce qui rejoint la version de l’audio que nous avons évoqué. Toujours selon ce communiqué le pot aux roses a été découvert le 2 juillet lors d’une inspection inopinée de l’une des caisses. Quand l’équipe d’inspection interne de la banque a découvert un manquant dans l’une des caisses. En terme bancaire, on désigne par manquant quand, l’existant c’est-à-dire le montant physique diffère des chiffres portés sur le livre journal de la caisse c’est-à-dire celui de la main courante.
La BCM indique dans son communiqué que le délit aussitôt constaté, l’institution a immédiatement porté plainte pour détournement, abus de confiance et falsification. Qu’elle a transmis le dossier au parquet qui a ouvert une enquête pour faire toute la lumière sur cette affaire, sur ses tenants et ses aboutissants. En attendant que cette enquête aboutisse, il y’a des éléments dans cette affaire troublants :
- Comment en est on arrivé là ?
- Comment cette caissière soumise en principe à des vérifications strictes journalières, hebdomadaires et mensuelles, pouvant être renforcées par des contrôles inopinés a pu soustraire de sa caisse un montant si important ?
- Quand l’argent a disparu ?
- Comment a-t-il pu quitter l’enceinte de la banque ?
Retour aux faits.
On n’a pas les chiffres reconnus par l’intéressée comme portant sur la malversation. Mais elle persiste et signe pour dire que ses responsables, donc ses supérieurs hiérarchiques qui ont aussi -selon elle- accès aux caisses, puisent en son absence les jours non ouvrables, les jours fériés et parfois même de nuits sur les montants liquides existants c’est à dire donc les montants physiquement disponibles dans sa caisse.
Elle reconnait que dans de tels cas, elle est toujours informée des prélèvements effectués. Elle affirme par ailleurs que certains de ces justificatifs ne lui sont pas remis finalement parce que, dit-elle, (toujours selon le vocal), ces procédures obéissent à des instructions données par le gouverneur, Ould Dahi qu’elle désigne nommément. Toujours selon ses dires, rapportés par son ami (il faut le préciser encore une fois) lorsqu’elle n’obtient pas les justificatifs, on lui fait comprendre que ce sont des opérations effectuées pour le compte de « très » proches du président.
Si l’on sait, le goût très prononcé de l’ancien président pour les devises fortes et si l’on sait que Ould Dahi l’ancien gouverneur, ministre dans l’actuel gouvernement n’a pas le profil du responsable capable de refuser d’obéir à des instructions qui lui parviennent par des couloirs « autorisés » ou par des intermédiaires fondés de « crédibilité » du « clan » du palais, ce que dit la petite caissière est plausible. Dans cette logique le Chef de l’Etat envoie des « intermédiaires agrées » chargés de missions spéciales de prélèvement de fonds qui présentent « leurs lettres de créances » au gouverneur de la Banque Centrale. Ce dernier pour ne pas laisser ses empreintes personnelles utilise des gants c’est à dire son adjoint pour faire exécuter les ordres. Le gouverneur adjoint fait engager la procédure par la hiérarchie compétente pour disponibiliser le montant par la caissière principale ou effectue lui-même le prélèvement sur la caisse courante et si l’opération est «confidentielle » Il procède lui-même au décaissement en absence de la caissière pour la flouer sur la destination du montant prélevé sur la caisse courante.
Ces combines routinières même opaques ne posent pas de problèmes de vérifications. Au cas par cas, les images de vidéo surveillance correspondantes aux dates de ces opérations sont des preuves matérielles qui disculpent la caissière puisque dans les faits elle n’est pas responsable des agissements de ces supérieurs en son absence. Mais aussi ces faits n’inculpent pas ses responsables directes qui sont habilités à effectuer des opérations en l’absence de la caissière et peu importe pourquoi et au profit de qui.
Mais des petits détails qui ont leur importance méritent notre attention. Même si de fait, les opérations effectuées par ses supérieurs à son absence, c’est-à-dire par le caissier principal et le contrôleur principal qui sont juxtaposés pour les procédures des opérations de caisse sont régulières et justifiées peu importe pourquoi, la caissière ne peut pas être tenue responsable des conséquences des actes qui découlent de ces agissements. C’est l’audit interne de la banque qui en est mesure de prouver la légalité de leur acte.
Donc de ce point de vue le problème ne se pose pas. Le problème qui se pose c’est celui qui a fait découvrir lors de ce contrôle de routine du 2 juillet que la caisse de la jeune femme accusait un différent entre l’existant, le physique est les écritures. Maintenant la question qui se pose est de savoir pourquoi le communiqué de la Banque Centrale rendu public justement ce 2 juillet 2020, avait annoncé en termes de chiffres, le détournement de 935.000 euros et de 558.000 dollars américains de ses caisses. Et pourquoi, le ministre dans sa déclaration au cours du point de presse (8 jours plus tard) n’a pas fait cas des 558.000 dollars portés à la connaissance du public par le communiqué officiel de la BCM repris par un journal de la place ?
La BCM s’est elle trompée dans ses vérifications ou n’avait elle pas tenu compte des montants prélevés en l’absence de la caissière pour lesquels elle ne détenait pas les justificatifs comme elle l’affirmait ce qui dans ce cas lui donne raison ? Des zones d’ombre qui ne le sont peut-être pas mais qui méritent d’être mises au clair. L’enquête dira. Avant les conclusions de cette enquête la BCM a promis d’agir rapidement, fermement et dans la transparence requise pour identifier les personnes éventuellement incriminées dans ce détournement afin d’’appliquer les sanctions et les mesures disciplinaires qui s’imposent contre tous ceux dont la culpabilité, la complicité ou la négligence sera attestée. En tous cas la Banque Centrale dans son communiqué reconnait des manquements dans son système de contrôle interne qui peut être a permit de tels agissements. Elle promet d’élever le niveau de veille de surveillance et de contrôle afin de surmonter les lacunes constatées.
Mais ce scandale qui éclabousse la Banque Centrale de Mauritanie n’a pas que des conséquences désastreuses sur les rouages de la BCM, l’économie et les finances du pays. Il entraînera évidemment d’autres ramifications. La Banque Centrale a découvert que la somme détournée qui se chiffre à 935.000 euros a été remplacée par un montant équivalent en faux billets de banque d’une même coupure. D’où viennent ces faux euros ? Comment ont-ils pu être introduits dans le pays ? Comment on –t-ils pu être entrés dans une banque dont le système de surveillance et de contrôle doit être normalement l’un des plus sures actuellement utilisés par les banques centrales ? Voila des questions qui racontent une autre histoire qui ne fait que commencer. Le crime organisé et transfrontalier qui s’active dans la circulation des faux billets de banque a t-il frappé à la porte blindée des caisses de la Banque Centrale de Mauritanie ? les faux monnayeurs ont-ils des complices « infiltrés » dans les rouages de la Banque Centrale de Mauritanie ? C’est ce qu’on va essayer de savoir, comme d’ailleurs vont essayer de savoir les chasseurs des criminels transfrontaliers.
Mohamed Chighali
A suivre….
Points Chauds