La sortie tant attendue par les mauritaniens de l’ancien maitre du pays a finalement eu lieu dans sa demeure à Nouakchott non pas sans difficultés comme il l’a avoué. Il faut reconnaitre que dans l’ensemble, il a réussi cette sortie comme quoi « à quelque chose malheur est bon » car je doute fort qu’il aurait maitrisé son audience ailleurs.
Bref, j’ai lu et entendu avec beaucoup d’intérêt des analyses et des interprétations sur son intervention mais je pense que rares sont ceux qui ont pu réellement déchiffrer les messages et la tactique de l’ex-président. Il faut aussi le reconnaitre, il serait naïf de croire qu’il est ‘’ dupe’’ comme se plaisent à dire ses détracteurs.
Affaibli par une nuit d’attente très longue sans la moindre collation, rapporte ses collègues, un journaliste a eu quand même le réflexe de dire à l’ex-président qu’il était difficile pour l’opinion nationale d’admettre que toute cette « querelle politique » tourne autour de la notion de la « Marjihiya » de l’UPR, surtout entre deux amis et alliés qui ont surmonté tous les obstacles qui se sont dressés devant eux durant plus d’une décennie. C’est clair, il s’agit de la partie visible de l’iceberg.
En réalité, Tout a commencé bien avant l’investiture du président Ghazouani. Il faut s’en réjouir certes, quand l’ex-président, malgré la pression de son entourage, a tenu à respecter la constitution en évitant de briguer un troisième mandat. Mais, sans le cacher, il n’a pas l’intention de s’éclipser du jeu politique ce qui est tout de même rare sauf exception en Russie a la « Medvedev » ou en France avec l’ex-chef d’état français Sarkozy dont le retour à la scène politique a été un échec sur toute la ligne.
Donc, bien avant son départ et jusqu’au dernier jour de son mandat, l’ex-chef d’état AZIZ a entamé une série d’actions en modifiant la constitution (suppression du sénat) et en assurant un parlement avec une majorité confortable et « fidèle ». D’ailleurs on se demandait souvent les raisons de cet engagement aussi fort d’un président sortant. Ajoutant à cela, les nominations d’« hommes de confiance » civiles et militaires pour occuper tous les postes clés et sensibles du pays. Fin stratège, comme on a pu largement le constater lors de son règne, l’ex-président a vraisemblablement tout orchestré, instrumenté et harmonisé de manière à continuer, dans l’ombre, à tenir les arènes du pouvoir.
Convaincu du dévouement et de la fidélité de son remplaçant, au lendemain de la cérémonie d’investiture, il embarque dans un avion pour quitter le pays et ce, après une passation de service singulière, comme lui-même l’a décrite lors de sa conférence de presse (en présence du président entrant, une confirmation du Ministre des finances du solde en ouguiya et un coup de fil au Gouverneur de la BCM pour le solde en devises).
Confiant, l’ex-président se promenait imperturbablement en Europe, nous avons même eu la chance de voir certaines photos en Turquie et en Angleterre. Mais le président entrant n’a pas du tout l’intention de jouer le rôle de « Medevedev » comme le pensait la majorité des mauritaniens. Il a son propre style et ses propres convictions qui seront à la base d’un décalage, comme il l’a décrit, entre lui et son ami.
Beaucoup plus fin et moins spontané, le nouveau maitre du pays s’attelle à délacer et dénouer soigneusement les dispositions de son prédécesseur. Pour l’isoler, il maintient son équipe rapprochée mettant, ainsi, à profit l’opportunisme qui est une arme à ne pas négliger dans ce pays. L’ex-président comprend que les choses ont pris une autre tournure et il doit rentrer pour sauver son dernier bastion (l’UPR).
Il avait tout préparé pour faire de ce parti un vrai outil politique incontournable afin de garder sa main sur le jeu politique. L’UPR a une majorité confortable qui peut simplement bloquer l’action gouvernementale et même imposer des changements constitutionnels. Perdre l’UPR est une mort politique certaine pour lui.
Pour parer à toute éventualité, fidèle à ses qualités de rigueur, le président entrant réorganise sa sécurité. Pour la première fois depuis plus d’une décennie, le Bataillon de la Sécurité Présidentielle (BASEP), l’unité protégée de l’ex-président est sérieusement modulée et ses chefs écartées. C’est normal il y a un précèdent. Les « alliés » de l’ex-chef d’état en prennent un coup, c’est le désarroi, « sauve qui peut ».
Aziz qui ne connait pas la défaite, dit-il, n’a plus le choix, il a été complètement « désarmé ». Il sort de sa retraite pour un affrontement et la meilleure façon de se défendre est d’attaquer. Le message principal est sans ambiguïté pour ses adversaires : « je suis certes perdant mais toute tentative de préjudice à mon encontre n’épargnera personne y compris mon remplaçant. »
Pour ceux qui ne le savent pas, certaines questions de journalistes sont habituellement orchestrées par l’interviewé lorsqu’il veut passer un certain message, alors qu’il fait semblant d’être étonné voire surpris par la question que lui-même a programmée. A titre d’exemple, la question concernant la société turque (la pêche) et celle concernant l’inspection des forces armées en font partie.
Les messages à faire passer étaient clairs : « si j’ai emmené la fameuse société chinoise ’’ Hondong’’, mon remplaçant a quant à lui emmené la société turque ‘’Sunrise’’ », « si je suis accusé de mauvaise gestion, mon remplaçant n’était pas aussi brillant que moi lors de son passage à la tête des forces armées » et « je ne suis pas le seul responsable de ce qui s’est passé, le premier ministre et les ministres gèrent avec moi les affaires publiques ».
Par ailleurs, je ne suis de l’avis que son intervention n’était pas destinée à l’opinion internationale, il y avait bien des messages précis :
• Pour l’occident (USA/France) : « si je me bats c’est pour l’ancrage de la démocratie qui est en danger dans mon pays ».
• Pour le Golf (Axe Arabie Saoudite /Émirats Unis) : « j’ai chassé les Turcs mais mon remplaçant les a ramenés ».
Je crains que cette « querelle politique » n’ait dit son dernier mot. Le président de la république, connaissant parfaitement son prédécesseur allant jusqu’à anticiper ses réactions, a confirmé (interview avec ‘’ Le monde ‘’) qu’il fera tout pour que les choses rentrent dans l’ordre. En tout cas, nul ne pensait que nous allions vivre aussi rapidement cette situation.
Je suis convaincu que le président de la république est en train de vivre un dilemme extrêmement agaçant mais je pense que ses convictions et son éducation finiront par prendre le dessus.
Abdel KADER