La Cour des Comptes a finalisé en 2017 ses rapports sur les projets de règlement des exercices budgétaires 2013-2014-2015, ainsi que son rapport général annuel public pour la même période. Les conclusions démontrent de graves dysfonctionnements et déplorables pratiques gestionnaires en quasiment tous les départements ministériels. Le compromettant rapport s’articule autour de quatre axes principaux : les conditions générales d’exécution des lois de finances de l’exercice ; ses résultats et l’évolution de sa trésorerie ; la constatation et les propositions relatives aux opérations financières de l’État, des collectivités locales et des établissements publics, de la gestion des entreprises publics ; et des suites réservées aux communications de la Cour, notamment l’application des mesures annoncées par les ministres et autres autorités responsables. Dans ce rapport très détaillé de 193 pages, agrémenté de tableaux illustratifs des données, les limiers de la Cour des Comptes ont passé au peigne fin les procédures de gestion en plusieurs institutions et les ont confrontées aux dispositions et à la réglementation prévues par les mécanismes légaux visant à assurer une excellente gestion des ressources. Les conclusions sont loin d’être satisfaisantes. De nombreuses constatations mettent à nu les graves dépassements qui ont engendré beaucoup de fautes clairement signalées dans le texte du rapport.
Ministère du développement rural : entre régie d’avance et compte de dépôt
Pour ce département, le rapport évoque un « cantonnement systématique et fréquent des procédures normales d’exécution de la dépense publique ». Ce cantonnement, parfois pure et simple violation des procédures, ne peut se faire qu’avec l’accord ou la complicité du ministère des Finances qui doit garantir le respect des procédures, et s’est manifesté sous deux formes : Les régies d’avance, qui sont des procédures dérogatoires, et par voie de comptes de dépôt au Trésor public, une pratique interdite aux ordonnateurs en vertu de l’article 111 du Règlement général de la comptabilité publique. Plusieurs régies d’avance – 117-MF-2011 du 6-6-2011, 266-MF-2011, puis 1834-MF-2011 du 7-9-2011, respectivement pour un montant de plus de 121 millions destiné à la lutte contre les ennemis des cultures ; 900 millions pour une campagne agricole et 1 milliard 264 millions pour une soi-disant insertion des diplômés chômeurs aux objectifs flous – ont été engagées au cours de l’année 2011. Pour les comptes de dépôts déclinés en termes de « programme blé », « programme barbelé », conseil agricole ou opération de dénichage, un montant global d’environ 468 millions a été engagé, entre Décembre 2011 et Avril 2012. Dans son rapport, la Cour dresse plusieurs constats dont, entre autres, une insuffisance dans la traçabilité des dépenses du ministère, qui se manifeste par une absence de contrôle financier préalable, ce qui constitue une violation du principe de la spécialisation des crédits prévus par la loi organique relative aux lois de finances. Puis la difficulté de prouver le caractère libératoire de certaines dépenses ; le cantonnement du seuil de paiement en monnaie scripturale que prévoit le décret 2000-02 en date du 15-1-2002, et l’absence de mentions légales obligatoires sur certaines factures, surtout dans le cadre des programmes Solidarité et programme Blé. La cour note aussi l’octroi d’indemnités indues et irrégulières sur les régies d’avances et les comptes de dépôts. Des avantage complètement contraires à l’esprit et à la lettre de l’arrêté 165 du 12-12-1993 qui ne prévoit qu’une indemnité annuelle de responsabilité de 20.000 MRO accordée uniquement au régisseur lorsque le montant de la régie d’avance dépasse cinq millions. Or des indemnités ont été accordées illégalement aux administrateurs et au personnel impliqué dans la gestion des régies d’avance et des comptes de dépôts, suivant un barème indiquant l’allocation de 300.000 MRO au secrétaire général, 200.000 MRO au régisseur (dix fois plus que son droit) et 50.000 MRO au chef du service comptabilité. D’autres dépassements ont été décelés, notamment des surfacturations sur les dépenses d’entretien des véhicules de la Direction de l’agriculture. Des produits très en usage dont les prix sont connus, comme les cartouches à huile, le gasoil ou certaines pièces de rechange ont été très surfacturés. À titre d’exemple, le montant total d’entretien d’un véhicule peut atteindre annuellement 2.500.000 MRO ou plus.
Ministère des Pêches et de l’économie maritime : Irrégularités….
Le ministère de la Pêche et de l’économie maritime est investi, en vertu de l’article 2 du décret 079/2009 du 28/4/2009, de la conception générale, la coordination, la promotion et l’assurance du suivi de la mise en œuvre de la politique du gouvernement dans le domaine des pêches, de l’océanographie, de la marine marchande et de la formation maritime. Il est notamment chargé de l’aménagement et de l’exploitation des ressources biologiques maritimes des eaux saumâtres et continentales, de la conservation et de la valorisation de ces ressources et assure, à ce titre, la tutelle techniques des sociétés et établissements publics opérant dans le secteur, comme l’IMROP, CCSM, ONISPA, PAN, EPBR, SMCP ou MNP. Dans son dernier rapport, la Cour des Comptes signale plusieurs faits. En un, le contrat passé par procédure directe simplifiée irrégulière, suivant signature le 20/6/2012 du MPEM avec le bureau TOTAL LOGISTICS SERVICES, pour un montant de 312.500 euros (quelque 125 millions d’UM) pour la réalisation d’une étude de faisabilité d’une société de distribution de poisson. Selon l’examen de la Cour, cela est contraire aux principes du nouveau Code des marchés publics, en ce que le ministère a recouru à la procédure dérogatoire directe simplifiée pour procéder au choix du contractant, au lieu de la procédure normale, aboutissant à désigner un prestataire étranger, alors que les prestations demandées pouvaient être obtenues sur le marché local. On note également l’absence de documents relatifs à l’exécution et au suivi des travaux et de la situation des paiements prévus par le bureau en question. Le rapport signale plusieurs autres irrégularités, comme l’absence d’un cadre juridique organisant la tarification de l’accès à la ressource ou l’irrégulière perception des taxes et redevances dues au titre des opérations de pêche par arrêtés et circulaires du ministère, en violation flagrante des dispositions de l’alinéa 2 de l’article 4 de la loi 78/011 du 19/01/1978. On constate encore que le TAC (tonnage admissible de capture) n’est pas déterminé dans les licences de pêche, alors que l’article 13 de la loi 2000/025 du 24/01/2000 portant code des pêches dispose que les navires étrangers peuvent être autorisés à pêcher dans les eaux sous juridiction mauritanienne dans le cadre des accords internationaux ou autres arrangements conclus entre la RIM et la partie étrangère. Or, en examinant la base de données relatives aux navires de pêche industrielle, la Cour a constaté l’absence, pour toutes les catégories de licence, de la détermination des quantités autorisées à être pêchées, et de documents suivis, par les services compétents, relatifs aux journaux des navires, documents de débarquement et informations relatives aux bateaux exerçant dans le domaine de la pêche industrielle. À tout cela s’ajoute la faiblesse du suivi de la procédure de mauritanisation des navires et l’absence de redynamisation de la politique de renouvellement de la flotte nationale, pourtant prévue dans la stratégie qui devait immatriculer neuf cents navires au profit de la flotte nationale. La cour a constaté que la liste des licences de pêche accordées aux navires mauritaniens n’a pas dépassé 108 navires au cours des trois dernières années. Enfin, il a été aussi constaté une grande faiblesse dans la réalisation des infrastructures que la stratégie du département prévoyait le long de 750 kilomètres de côtes qui souffrent toujours d’un manque crucial d’équipements et de constructions.
…et chinoiseries
En 2010, l’État mauritanien a signé avec une société chinoise une convention de pêche sur vingt-cinq ans. Cet accord suscita une très grande polémique en raison de son établissement dans la plus grande opacité. C’est pourquoi les rumeurs les plus folles ont circulé à son sujet. La dernière en date prétend que la durée de la convention est de cinquante ans et non pas vingt-cinq. Examinant cette Convention de partenariat et de coopération et le protocole d’accord signés le 07 juin 2010 entre la Mauritanie et la société chinoise Poly Hondong, la Cour des Comptes cite de très nombreuses et dangereuses irrégularités. Selon les termes de la convention, la société chinoise devrait réaliser des projets de développement et d’investissement, à l’instar, notamment, d’un programme d’investissement d’un montant de 100 millions de dollars destinés à la construction d’une usine de transformation des produits de pêche d’une capacité de traitement comprise entre 25.000 et 40.000 tonnes et des unités de production artisanales et industrielles. Les produits de cette usine devraient être commercialisés vers les marchés d’Europe, de Chine, d’Asie et d’Orient. L’article 1 de la convention stipulait que l’usine et ses annexes devraient être construites sur une surface de 6000 mètres carrés. La convention prévoyait encore 1000 à 2500 emplois nouveaux, l’aménagement d’un quai et d’un trottoir pour le débarquement des navires d’approvisionnement, le montage d’un atelier de construction et de réparation des embarcations de pêche et des sessions de formation aux Mauritaniens. Premier grief, la Cour n’a pu trouver, au cours de la période sous revue, aucun document relatif au suivi des engagements de la société Poly Hondong stipulés dans les termes de la convention et du protocole d’accord. La Cour n’a pas non plus constaté la moindre production de rapports ou de correspondances relatifs à la réalisation de ce projet, surtout en ce qui concerne la liste des navires chinois de cette société, l’étape de finalisation des unités de production de froid ou de fabrication de glace, la liste de la main d’œuvre nationale dans ce projet, les montants investis dans la Zone Franche par la société chinoise, le nombre de licences octroyées à la société et les quantités pêchées depuis la mise en vigueur de la convention. Cette situation démontre clairement l’absence de suivi des services compétents du ministère des Pêches et de l’économie maritime, notamment le secrétariat général, la Direction de la marine marchande, la Délégation maritime dont le rôle est, en général, le suivi des ressources nationales et l’assurance de leur exploitation maximale. Tout comme il incombe à ces structures le suivi du respect de toutes les dispositions contenues dans la convention de pêche liant la République Islamique de Mauritanie à la société chinoise Hondong. Pourquoi ces institutions n’ont-elles pas convenablement rempli leurs missions, comme semble l’indiquer les compromettantes observations du rapport de la Cour des comptes ? Chacun y va de son explication…
El Kory Sneiba