Habib Ould Mahfoudh avait au fil des ans créé une sorte de club au journal Al-Bayane d’abord puis au Calame. C’est en fait, en plus de ses amis, des connaissances, des visiteurs étrangers de passage… Tout un beau monde que réunissait autour d’un thé toujours « relancé » un penchant pour la culture et une foi dans la démocratie. C’est cette « salle de rédaction informelle » qui inspirait parfois les « Mauritanides ». Abdoulaye Ciré Ba (Ablaye pour les amis) a rejoint ce club dès 1988 comme il le relate dans son mémorable hommage à Habib. Ce dernier avait décrété qu’Ablaye, qui, selon lui, n’était qu’un ancien mahdarien de l’Iguidi souffrant d’amnésie, s’appellerait désormais Mohamed Abdellah !
Après la disparition de Habib, ce club continua bon an mal an à se réunir dans les bureaux du nouveau directeur Moussa ould Hamed qui reprendra cette tradition avec le journal Biladi après sa brève incursion à l’AMI.
Ablaye deviendra alors l’un des plus assidus du club avec un poste officieux de « conseiller à la rédaction ». C’est en cette période, que j’aurais la chance de le rencontrer plus longuement. Je découvre ainsi une personnalité d’une culture encyclopédique et un homme de lettres émérite qui est certainement l’un des derniers mauritaniens à manier la langue française avec un talent inégalé.
Durant nos rares conversations, j’ai trouvé chez cet homme affable, courtois mais droit et franc, des perles rares. J’ai ainsi pu apprendre tant de choses passionnantes sur la tradition musicale malinké et l’épopée mandingue qu’elle véhicule. Il m’a aussi entretenu longuement de la mystification de la « cause juive » et m’a par ailleurs révélé les circonstances de l’avènement du MND.
A propos du MND et de son rapport à la politique, Ablaye était, si l’on peut dire, un militant convaincu mais auquel la culture et l’esprit d’ouverture interdisaient tout dogmatisme. Il donnait souvent l’exemple en nous faisant faire l’apprentissage d’une discussion organisée et tolérante ce qui nous causait beaucoup de mal et de désagréments habitués que nous sommes à la loi de « celui qui crie le plus fort ». Ablaye était aussi l’un de ces Mauritaniens de la vallée qui cultivaient beaucoup d’affection à l‘égard des Maures tout en exprimant la grande ambigüité qui entoure les comportements de cette race. Il aimait aussi à raconter l’histoire de cet élève Pular de Boghé ou de Bababé qui, étant menacé par un élève Soninké, trouva le soutien dans son duel auprès de ses camarades maures du Brakna.
Lors de la publication du second volume des Mauritanides, on devait choisir une personne pour écrire la préface or seul Ablaye réunissait les 2 conditions idéales : la maitrise de la langue et la fidélité à l’esprit de Habib.
Avec la disparition d’Abdoulaye Ciré Ba, la Mauritanie a perdu l’un de ses plus talentueux journalistes mais aussi l’un de ses plus grands patriotes et défenseurs de l’unité nationale à un moment très agité de sa vie politique.
Adieu Doyen Adyaramaa.
Elemine Ould Mohamed Baba