Pour rappel, la langue du colonisateur fit son entrée en pays maure vers la fin XIXème siècle, et en 1960 la Mauritanie accéda à la souveraineté nationale. Une cinquantaine d’années, c’est trop court pour l’enracinement définitif d’une langue étrangère. Tout compte fait, au départ des Français, rares étaient ceux qui parlaient leur idiome, il n’y avait que quelques dizaines interprètes-traducteurs, plus interprètes que traducteurs, en plus de quelques centaines de fonctionnaires subalternes dont une bonne part venait de l’A. O.F.
Le président Moktar, quant à lui, était parmi les premiers bacheliers et l’un des premiers cadres de niveau universitaire du pays.
Au vu de ce bilan, il serait juste de dire que l’officialisation du français fut un choix strictement politique, fait selon la volonté de quelques-uns contre la volonté de la majorité. Et nos chefs d’État qui prononçaient leurs discours en français ne s’adressaient jamais à la Nation mais à l’administration et aux élèves du secondaire.
La production intellectuelle, elle aussi, n’était pas mieux lotie. Il n’y avait ni littérature mauritanienne d’expression française ni création culturelle produite en français de quelle que nature que ce soit. Un tel bilan était tout à fait normal compte tenu du caractère superficiel de l’implantation coloniale française qui s’était limitée, en tout et pour tout, à quelques rares postes administratifs plantés au sein des chefs-lieux régionaux, en plus de la faible couverture scolaire qui ne touchait que quelques rares élèves, essentiellement des fils de notables et dans quelques rares écoles éparpillées sur l’étendue du territoire national.
Au sujet de l’arabisation forcée dont parlent sans cesse les FLAM, c’est tout simplement une manière de semer la confusion dans les esprits en confondant volontairement usage de la langue, l’arabe, et l’ethnicité. Ils donnent, d’une part, l’impression que l’arabe est une langue étrangère nouvelle, enseignée depuis juste les années soixante, alors que l’arabe était la langue véhiculaire des peuples de ce territoire, y compris les Négro-Mauritaniens, depuis au moins la présence de l’Islam qui date du Xème siècle, à l’époque almoravide ; d’autre part, ils introduisent par la même l’idée selon laquelle celui qui apprend l’arabe devient automatiquement un Arabe. Dans ce cas, si l’on suit leur logique, celui qui apprend le français serait machinalement un Français, un assimilé. Par conséquent, la francophonie serait, suivant le même raisonnement, une nouvelle identité africaine à la place des identités culturelles négro-africaines.
C’était donc tout l’inverse, la Mauritanie était devenue francophone par la volonté de sa composante noire : les fonctionnaires négro-mauritaniens formés à l’école coloniale entendaient conserver leur avantage par la francisation exclusive de l’administration. Déjà pendant la période coloniale et jusqu’aux années quatre-vingt-dix, à cause « du retard de la scolarisation – en français – en Mauritanie hassanophone par rapport à la vallée… l’administration française était obligée de recruter le plus grand nombre de ses fonctionnaires et agents locaux dans le Sud mauritanien ».
Les raisons du bras de fer permanent entre les tenants de l’exclusivité francophone de l’administration et de l’enseignement, d’une part, et les partisans de l’arabe ou plus exactement du bilinguisme franco-arabe dans ces deux domaines, d’autre part, trouvent ainsi une de leurs explications. D’autres s’y ajoutent comme celui du combat contre l’assimilation présumée véhiculée par les arabo-phobes. Les pourfendeurs de « l’arabisation forcée » et choristes de la « francisation forcée » soutiennent que si les ethnies négro-mauritaniennes apprenaient l’arabe, elles cesseraient d’exister en tant que réalité ethnoculturelle.
Pourtant l’Afrique noire enseigne les langues européennes et les utilise pour les besoins de l’administration. Peut-on objectivement dire qu’elle est aliénée ?
Pas du tout, les pays négro-africains conservent toujours leurs spécificités linguistiques et culturelles et la carte ethnographique africaine est toujours au complet et l’ouverture sur l’autre n’a tué aucune ethnie.
Une deuxième thèse, non moins fallacieuse, avancée par les mêmes militants anti-Arabes prétend que si les élèves et les étudiants noirs recevaient un enseignement en langue arabe en même temps que leurs compatriotes arabes, l’avantage en connaissances serait automatiquement en faveur des derniers au détriment des premiers. Là encore, le raisonnement est tiré par les cheveux. L’aspect phonétique, c’est-à-dire la prononciation des sons que etnicistes poulo-toucouleurs présentent comme longueur d’avance et atout majeur au bénéfice des petits Maures est en vérité loin d’être un élément déterminant, et « selon les spécialistes, ce qui importe essentiellement, c’est l’intelligence et le travail de l’enfant, abstraction faite de son origine ethnique ».
C’est exact, les Africains et les Arabes parlent le français avec accent et roulent les ’r’, et ce n’est pas un handicap scolaire. Cette prétendue incapacité n’a pas empêché le Sénégalais Léopold Sédar Senghor et le Libanais Amin Maalouf de faire leur entrée à l’Académie française.
Extrait de ‘’ Mauritanie : vous avez dit vivre ensemble ?’’.