La France est-elle allée à Canossa ? Le froid algérien d’une réconciliation quasi-impossible

Ce dimanche, sur le tarmac de l’aéroport d’Alger, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a découvert ce que signifie un protocole en mode mineur. Pas de tapis rouge, pas d’Ahmed Attaf au tarmac, à peine une poignée de main expédiée devant le portail austère de la présidence. Sans oublier l’audience accordée par le président Tebboune, qui rappelait, trait pour trait, l’accueil réservé à Emmanuel Macron par Vladimir Poutine au début de la guerre en Ukraine : mêmes distances calculées, mêmes sourires de circonstance.

 

Le chef de la diplomatie française a annoncé une « nouvelle phase » dans les relations entre Paris et Alger, suite à son audience avec le président algérien Abdelmadjid Tebboune. Toutefois, l’essentiel ne réside pas là pour moi, mais plutôt dans une lecture visuelle de ce que nous avons pu observer lors de ce voyage : une scène qui en dit long sur l’état des relations entre les deux capitales.

Canossa, ou l’art algérien de la revanche symbolique

En 1077, l’empereur Henri IV s’humiliait devant le pape Grégoire VII pour lever son excommunication. En 2022, le président algérien reprenait la métaphore, refusant toute soumission à Paris. Un an plus tard, le ministre français débarque à Alger, contraint de jouer le rôle du pénitent. Ironie de l’histoire : c’est un échelon subalterne qui l’accueille, sans entretien formel avec son homologue algérien. Juste un bref échange devant le portail présidentiel, comme pour signifier que la France n’a plus accès aux salons du pouvoir.

Ce traitement n’est pas un incident protocolaire, mais un message. Alger rappelle à Paris que le temps des relations asymétriques est révolu. « En diplomatie, les tapis rouges se méritent », me confiait il y a des années un diplomate algérien. La leçon est cruelle pour l’ex-puissance coloniale, réduite à négocier debout, sous le soleil brûlant d’une cour présidentielle.

 

 

Macron-Poutine, Tebboune-Barrot : même grammaire de la morgue

 

Les images ont frappé : comme Poutine recevant Macron en 2022 autour d’une table interminable, symbole de l’isolement européen, Tebboune a mis des mètres entre lui et son invité. Une mise en scène calculée. « Le protocole est une arme de dissuasion morale », m’expliquait un spécialiste du Maghreb. « En traitant la France comme un partenaire ordinaire, Alger lui signifie qu’elle n’a plus le monopole de l’influence. »

Pourtant, les réalités économiques contredisent cette froideur. Si je ne me trompe pas, la France reste le premier partenaire commercial de l’Algérie (13,4 milliards d’échanges en 2022), et Paris a besoin d’Alger pour contrer l’avancée russe et chinoise en Afrique. Mais Tebboune, en leader habile, joue sur deux tableaux : il affiche une intransigeance de façade pour l’opinion publique, tout en laissant ouvert un canal discret.

J’ai longtemps observé feu Bouteflika, et je continue de suivre Aâmi Tebboune. Si Bouteflika avait le verbe facile, Tebboune, quant à lui, ne parle jamais à la légère. C’est un président incollable, qui ne se laisse jamais surprendre par un détail. Un chef d’État parfaitement maître de ses dossiers, surtout en matière d’affaires étrangères.

 

 

La réconciliation en pointillé

 

Reste la question centrale : cette visite était-elle un Canossa ou une « Sansal » ? Si l’on en croit les archives diplomatiques, la France a multiplié les gestes d’apaisement : restitution d’archives, reconnaissance des « crimes inexcusables » de la colonisation. Mais pour Alger, ces concessions ressemblent à « des pièces de monnaie jetées à un mendiant », selon les mots d’un éditorialiste du Quotidien d’Oran. La véritable rançon, des excuses officielles pour la colonisation, Paris refuse encore de la payer.

Tebboune l’a compris. En humiliant protocolairement la France, il répond à une attente intérieure tout en testant les limites de Paris. « Canossa n’est pas une fin, c’est un rapport de force », m’a confié un diplomate Mauritanien qui fut, un moment, en poste en Alger. Et je vois personnellement un rapport de force où personne ne gagne, mais où chacun campe sur ses blessures.

En 1077, Henri IV partit à Canossa pour sauver son trône. En 2025, la France est venue à Alger pour sauver ses intérêts. Mais entre les deux, un fossé demeure : l’Algérie exige des actes, la France propose des mots. Dans les couloirs de la présidence algérienne, le froid protocolaire a rappelé une évidence : on ne tourne pas la page de l’histoire avec des symboles.

Et si la France veut tourner la page, qu’elle commence par lire le livre », avait-il asséné en 2022 le Président Tebboune.

 

 

au Sahel ? L’impossible repentir

 

Si le voyage à Canossa de la diplomatie française s’est joué ce dimanche à Alger, une question se pose : devra-t-elle le répéter au Sahel ? La Confédération des États du Sahel, Burkina Faso, Mali et Niger, incarne désormais l’échec le plus cuisant de Paris en Afrique depuis des décennies. Ces trois pays, qui ont fait de la France le premier fournisseur d’énergie en Europe et la quatrième réserve d’or mondial, ont tour à tour rompu avec l’ancienne puissance coloniale.

Mais contrairement à l’Algérie, où Tebbouneexige des actes symboliques, les régimes du Sahel veulent des ruptures concrètes : départ des troupes, renégociation des accords miniers, fin de la tutelle économique. « À Bamako ou Niamey, il ne s’agit plus de protocole ou de métaphores historiques, mais de souveraineté brute », m’expliquait un conseiller malien. La France pourrait-elle, comme à Alger, tenter une humiliation protocolaire calculée pour sauver ses intérêts ? Rien n’est moins sûr.

Tout a commencé au Mali en 2021, avec l’arrivée au pouvoir du général Assimi Goïta, exigeant le départ immédiat de l’armée française. Emmanuel Macron crut à une blague, il ignorait que le mouvement gagnerait le Burkina Faso en 2022 (où le capitaine Ibrahim Traoré expulsa à son tour les troupes françaises), puis le Niger en 2023 avec le général Tiani. En l’espace de trois ans, Paris a perdu le contrôle de cette région riche en ressources, ne conservant qu’une influence fragile en Mauritanie, où le président Ghazouani qui avait à son tour perdu le G5 Sahel, reste sous double influence émiratie et saoudienne et joue un rôle ambigu.

« Ghazouani ne nous a pas coûté cher », m’a glissé un confrère occidental, spécialiste de l’Afrique, en marge du sommet de la Francophonie, octobre dernier à Paris. « Il suffit de l’inviter à Bruxelles et lui donner la parole au siège de l’OTAN, de lui accorder un statut fictif de partenaire avancé, pour que la Mauritanie vote comme nous avons voulu au Conseil de sécurité contre la Russie. » Une realpolitik qui contraste avec l’intransigeance algérienne.

 

 

Le Sahel et l’ombre marocaine

 

Si pour les spécialistes de la région, Rabat donne du fil à retordre à Alger via le Mali, Macron, quant à lui, cherche désormais une porte d’entrée. Son récent voyage au Maroc, présenté comme une simple visite économique, avait en réalité une dimension politico-diplomatique cruciale. Rabat, habilement, s’est imposé comme un intermédiaire incontournable pour les pays du Sahel, leur vendant une utopie « corridor transatlantique », un rêve pour l’instant, mais un levier d’influence bien réel. Même le Tchad, traditionnel allié de la France, semble désormais pencher vers le royaume chérifien.

Pour Macron, le Maroc pourrait être une nouvelle porte d’entrée vers ces pays du Sahel qui l’ont chassé. Mais cette stratégie a un prix : l’Algérie. Déjà perdue en 1962, elle risque de s’éloigner définitivement, surtout après le soutien français au Maroc sur le dossier du Sahara occidental. Avec ce nouveau voyage au Maroc, une chose est dorénavant claire et je suis convaincu que, vu la désormais position de Paris sur le dossier du Sahara Occidental, les relations entre Paris et Alger vont continuer à se dégrader malgré ce ‘CANOSSA’

 

 

Une danse de dupes

 

« À Alger, la diplomatie française a marché sur des œufs… posés sur un tapis qui a lui-même brûlé. » La métaphore est cruelle, mais juste. La réconciliation franco-algérienne ressemble désormais à une danse de dupes, où chacun feint de ne pas voir que l’autre a oublié les pas.

Entre le Sahel perdu, le Maroc courtisé et l’Algérie humiliante, la France joue une partition de plus en plus difficile. Reste à savoir si elle saura s’adapter, ou si elle continuera à errer, comme Henri IV à Canossa, dans le froid d’une histoire qui refuse de passer.

 

Moulaye Najim Moulaye Zeine

Points Chauds

ثلاثاء, 08/04/2025 - 10:56