La Mauritanie représente un point d'ancrage stratégique entre le Maroc et l'Algérie

Aqlame - La Mauritanie s'est toujours retrouvée au centre de l'équilibre régional entre le Maroc et l'Algérie, constituant un point de croisement entre l'Afrique du Nord et l'Afrique de l'Ouest, ainsi qu'un théâtre d'intérêts géopolitiques complexes. Il ne s'agit pas ici de simples interactions entre voisins, mais d'un prolongement d'une longue histoire d'alliances, de conflits et d'intérêts entrelacés. Depuis ses premières années d'indépendance, Nouakchott a tenté de mener une politique de neutralité positive, cherchant à maintenir des relations équilibrées avec ses divers voisins et à éloigner son jeune projet des dérives dans les tensions chroniques souvent marquées par un certain degré de dangerosité. 

 

La Mauritanie est consciente qu'elle se situe dans une zone troublée, regorgeant de tensions frontalières et ethniques, et de la fragilité des projets des États issus de schémas coloniaux malveillants, et qu'elle se trouve particulièrement sur une ligne de contact sensible entre le Maroc et l'Algérie, où un "conflit éternel" pour l'influence se développe, mêlant intérêts politiques, économiques et sécuritaires, au point que la probabilité d'un conflit armé entre les deux parties n'est souvent pas à écarter, voire est parfois considérée comme probable. 

 

Bien que la Mauritanie ait expérimenté les dommages pouvant découler des politiques des axes régionaux, durant des périodes connues sous le nom de conflit central : Paris - Rabat - Dakar, et Tripoli - Alger, elle a vécu de près les dangers auxquels sont confrontés les petits États lorsqu'ils se transforment en terrains de conflits géopolitiques ; la montée de la concurrence marocaine-algérienne sur des questions régionales telles que le Sahara occidental et l'influence au Sahel et en Afrique de l'Ouest, ainsi que les conséquences négatives de cette concurrence sur l'indépendance du pays, sa stabilité, la sécurité de ses citoyens et son image auprès de ceux-ci et du monde, remet à l'épreuve la capacité de la Mauritanie à maintenir sa neutralité. 

 

Ainsi, la politique des axes revient sous un nouveau jour, plaçant la Mauritanie devant des défis renouvelés, et mettant en particulier la "politique de neutralité mauritanienne" de renommée mondiale face à des choix difficiles qui l'incitent à réévaluer les gains découlant de la coopération avec les deux pays tout comme les dommages résultant de leur concurrence croissante, provocante et inquiétante, dans l'espoir de se libérer d'une marche qui s'est prolongée sur le fil aventureux tendu entre concurrence et coopération.

 

 

Dimension historique : de la tension à la coopération

 

Pour comprendre les complexités des relations mauritaniennes avec le Maroc et l'Algérie, il est nécessaire d'examiner certains aspects du parcours historique de ces relations :

 

1. Relations mauritaniennes marocaines :

 

Les relations avec le Maroc ont commencé par une période de tension profonde, où Rabat a refusé de reconnaître l'indépendance de la Mauritanie en 1960, la considérant comme une partie de son territoire. Cependant, la position marocaine a progressivement évolué avec l'arrivée au pouvoir du roi Hassan II, jusqu'à ce qu'un rapprochement se produise entre les deux pays à la fin des années 1960, notamment au début des années 1970 lorsque la Mauritanie est devenue partenaire du Maroc dans le partage du Sahara occidental après le retrait du colonialisme espagnol. Ce partenariat a entraîné la Mauritanie dans une guerre avec le Polisario soutenu par l'Algérie, ce qui a conduit à un coup d'État en 1978 et à un retrait de la Mauritanie du conflit avec une reconnaissance ultérieure de la République arabe sahraouie. 

Les relations mauritaniennes marocaines, depuis la signature de l'accord d'Alger en 1979 entre la Mauritanie et le Polisario, entreront dans une période de troubles culminant après l'accueil à Rabat de l'opposition mauritanienne et le parrainage de la tentative de coup d'État du 16 mars 1981, entraînant une rupture diplomatique entre les deux pays, qui sera progressivement surmontée à la fin des années 1980 avec la réouverture des canaux de communication, menant à un renforcement de la coopération commerciale à travers le poste frontière de Guergarate au début du millénaire. En effet, les échanges commerciaux entre les deux pays se renforceront et ce passage deviendra une artère économique reliant le Maroc à l'Afrique de l'Ouest, mais sera perçu par l'Algérie et le Polisario comme une violation de la neutralité mauritanienne puisqu'il traverse un territoire saharien.

 

2. Relations mauritaniennes algériennes :

 

La Mauritanie a soutenu la révolution algérienne et a refusé les tentatives de la France d'arracher une partie de son territoire dans ce qui était connu sous le nom d’Organisation des Régions Sahariennes, et lorsque l'Algérie a obtenu son indépendance, les relations entre les deux pays se sont développées positivement, notamment concernant l'obtention par la Mauritanie de sa propre monnaie et la nationalisation de l'entreprise Miferma. Cependant, le soutien de l'Algérie au Polisario dans sa guerre contre la Mauritanie pendant la période de partage du Sahara entraînera une rupture des relations pendant toute la durée du conflit, considérant que le président algérien Boumediene était l'architecte de l'idée de concentrer les opérations militaires sur la Mauritanie comme étant le maillon le plus faible. 

Les relations se sont ensuite améliorées avec le retrait de la Mauritanie du conflit et sa reconnaissance du Polisario, et la coopération durant les années 1980 a connu une autre période dorée, suivie d'une longue phase de froideur dont la chaleur ne reviendra qu'avec le président actuel Abdelmadjid Tebboune qui déclarera que la Mauritanie représente la profondeur stratégique de l'Algérie vers l'océan, et la coopération sous sa présidence connaîtra un bond qualitatif culminant avec l'ouverture du passage frontalier entre les deux pays, l'inauguration de la zone franche entre eux et le lancement des travaux de la route Tindouf-Zouérate visant à renforcer le commerce bilatéral et soutenir la volonté de l'Algérie d'accéder aux marchés africains.

 

 

Les défis actuels : marcher sur une corde raide

 

Le neutralisme mauritanien se trouve dans le collimateur de la compétition maroco-algérienne, rendant la gestion de l'équilibre entre les deux semblable à une danse sur une corde raide, car chaque geste ou déclaration de la Mauritanie est rapidement interprété par l'un des deux camps comme un signe de partialité soigneusement planifiée envers l'autre, exposant Nouakchott à des pressions doubles d'ordre économique, médiatique et diplomatique.

 

 

1. Pressions économiques croisées :

 

Des projets tels que le passage de Guergarate avec le Maroc et le passage de Tindouf avec l'Algérie illustrent comment les intérêts économiques peuvent devenir des outils de compétition politique. Alors que le Maroc s'efforce de renforcer son rôle de couloir principal pour le commerce vers l'Afrique de l'Ouest via les territoires mauritaniens, l'Algérie s'active également pour ouvrir de nouveaux marchés pour ses produits également à travers les territoires mauritaniens, plaçant la Mauritanie dans une position délicate tout en cherchant à maintenir une position équilibrée entre les 

 

 

2. Armées des réseaux sociaux et médias orientés :

 

Les médias et les plateformes de réseaux sociaux sont devenus des outils essentiels dans la rivalité entre le Maroc et l'Algérie, toute action ou inaction de la Mauritanie étant susceptible d'être amplifiée par des armées d'internautes et même par les médias traditionnels et parfois certaines forces politiques, mettant ainsi la direction mauritanienne sous pression et provoquant un impact déplacé sur l'opinion publique locale et régionale. Bien sûr, ce média, souvent guidé par des motivations populistes et démagogiques, contribue également à élargir le fossé entre les deux voisins et transforme le neutralisme mauritanien en un défi quotidien à entretenir et à supporter malgré les coûts élevés.

 

 

3. Pressions diplomatiques :

 

Dans de telles conditions, chaque visite officielle ou accord économique entre la Mauritanie et l'un des deux pays sera perçu comme un soutien explicite pour l'un contre l'autre. Ce fut récemment le cas lors de la visite du président algérien Abdelmadjid Tebboune à Nouakchott le 9 décembre 2024, pour participer à la conférence continentale sur l'éducation, l'avenir des jeunes et l'employabilité, qui a suscité l'irritation des Marocains, ainsi que lors de la visite privée du président mauritanien Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani au Maroc le 20 décembre, où il a rencontré le roi Mohammed VI, ce qui a été interprété de manière sévère en Algérie. Et comme cela se produit actuellement après l'annonce de la signature par la Mauritanie et le Maroc d'un mémorandum d'accord pour la coopération dans les secteurs de l'électricité et des énergies renouvelables, comprenant "une étude pour réaliser un projet de raccordement électrique renforçant la stabilité des réseaux et améliorant l'approvisionnement en électricité". Il est clair qu'une telle pression maintient la Mauritanie en état d'alerte diplomatique permanent pour fournir des clarifications, des excuses et des assurances afin de réajuster l'équilibre.

 

 

L'opportunité stratégique : transformer la neutralité en influence

 

 

La Mauritanie représente un point d'ancrage stratégique dans la concurrence entre le Maroc et l'Algérie, grâce à sa position géographique qui en fait une porte vitale entre l'Afrique du Nord et l'Afrique de l'Ouest. Pour le Maroc, la Mauritanie est un passage commercial clé via le poste-frontière de Guerguerat ou tout autre point d'entrée qui pourrait être créé, renforçant le lien du royaume avec les marchés d'Afrique de l'Ouest et du Sahel tout en consolidant son rôle en tant que puissance économique régionale. De plus, le Maroc considère la Mauritanie comme un partenaire potentiel pour contrer l'influence algérienne et renforcer sa position dans le conflit du Sahara occidental. 

D'un autre côté, l'Algérie voit en la Mauritanie une extension stratégique de sa sécurité nationale et un accès aux marchés africains au sud du Sahara, en tant que partenaire dans la lutte contre des défis de sécurité communs tels que le terrorisme dans la région du Sahel. Elle cherche également à maintenir la Mauritanie dans sa position actuelle concernant la question saharienne, loin de répondre aux efforts marocains visant à l'attirer de son côté. À travers des projets tels que la zone franche frontalière et la route Tindouf-Zouérat, l'Algérie essaie de renforcer sa présence commerciale et économique en Mauritanie et en Afrique de l'Ouest. 

Alors que la Mauritanie devient un champ de compétition géopolitique majeur entre les deux voisins, transformer la neutralité mauritanienne en un outil d'influence régionale n'est plus une simple option, mais une nécessité stratégique. 

 

En effet, la position géographique dont il a été question, lorsqu’elle est associée à son histoire politique et à ses expériences douloureuses avec ses deux voisins, permet à la diplomatie d'exploiter la neutralité de l'État pour réaliser des gains significatifs en rapport avec les lourdeurs imposées par un conflit dont les données géographiques et politiques montrent qu'il ne se terminera pas prochainement. Le renforcement de cette influence pourrait passer, dans sa première phase, par les points suivants :

 

 

1.   Exploiter la position géographique pour renforcer l'influence économique :

 

La position stratégique de la Mauritanie en tant que pont entre l'Afrique du Nord et l'Afrique de l'Ouest pourrait se transformer en un atout puissant si elle est bien exploitée dans des initiatives économiques qui tirent parti de la concurrence marocaine-algérienne, telles que des projets de liaison transfrontalière qui font du pays un passage commercial principal. Cependant, au-delà de cela, elle peut être exploitée pour aller au-delà d'un simple corridor commercial ou d'une plateforme de transit de projets, en transformant le pays en un centre majeur d'intégration économique régionale, à travers des projets communs avec ses voisins dans différentes directions.

 

 

 2. La médiation diplomatique comme outil d'influence :

 

Grâce à son histoire de médiation sur le continent africain et au-delà, la Mauritanie peut retrouver son rôle de médiateur crédible entre le Maroc et l'Algérie. En organisant des rencontres informelles ou en proposant des initiatives régionales communes portant sur des questions de sécurité, de commerce, d'énergie ou des questions humanitaires, Nouakchott peut se présenter comme une partie fiable aidant les deux pays à reconstruire des ponts de coopération et donnant espoir aux citoyens maghrébins quant à la possibilité de renforcer la coopération entre les pays du Maghreb.

 

 

3. Investir dans les médias :

 

Dans le contexte actuel, la Mauritanie a un besoin pressant de renforcer son discours médiatique officiel afin de garantir la clarification de ses politiques et de ses positions. 

 

En construisant et en gérant un récit équilibré et convaincant et en sécurisant les canaux et les moyens appropriés pour le transmettre, Nouakchott peut réduire l'impact négatif des armées des réseaux sociaux au Maroc et en Algérie. De plus, le développement d'une stratégie de communication visant à promouvoir la neutralité de la Mauritanie peut contribuer à apaiser l'escalade médiatique.

 

4. Initiatives de "pôles de coopération commune" :

 

Plutôt que de se résigner à son rôle perçu comme le parti le plus faible dans l'équation de la concurrence, la Mauritanie peut adopter une stratégie offensive basée sur la création de pôles de coopération commune incluant ses voisines. Des initiatives d'importance régionale telles que des projets d'énergie renouvelable ou l'établissement de plateformes d'échanges culturels et éducatifs peuvent transformer la concurrence en coopération au service des intérêts communs de tous, dissipant les doutes et reconstruisant la confiance. La neutralité de la Mauritanie ne doit donc pas rester une position défensive dans le cadre d'une stratégie visant à assurer sa survie, mais il se pourrait que le moment soit venu de faire évoluer la politique de neutralité en une stratégie efficace pour renforcer le statut du pays en tant qu'acteur clé de la région. En tirant parti de sa situation géographique et en renforçant les initiatives de médiation tout en utilisant les médias pour gérer son image, la Mauritanie peut réaliser des gains économiques et diplomatiques proportionnels à son importance géopolitique. En retrouvant son rôle de médiateur crédible et en renforçant ses projets régionaux communs, la Mauritanie peut passer d'un statut de réceptrice et de soumise aux pressions à celui d'un acteur contribuant à la stabilité et au développement de la région. 

 

Une politique de neutralité, si elle est gérée avec sagesse, pourrait devenir le pont manquant entre les deux puissances concurrentes et l'outil capable de transformer la Mauritanie en un centre de stabilité et d'influence régionale durable.

 

ثلاثاء, 25/02/2025 - 09:32