Nous sortons de l’archipel de Bir pour affronter l’immensité plate qui s’étale vers le sud... Nul point de repère sinon quelques rares balises-auto. Nous la quittons bientôt pour suivre la ligne la plus courte. Où longtemps nous devons progresser à pieds, tenant nos montures par le r’zam. L’échelon lourd - trois chameaux conduits par le goumier - suit, loin derrière.
Vers 10 heures, nous montons tous... Le Lieutenant Désiré, ses mains appuyées sur la célèbre croix d’Agadès qui donne prestance à sa selle touareg, ressemble, avec sa barbe noire taillée en pointe, à un véritable mousquetaire saharien. J'enfourche ma « rahala » maure – selle plus stable, mais dont le « garbous » n’a ni l’élégance ni le confort de la croix des selles touaregs.
La rencontre avec un maigre pâturage d’askaf – qui attire néanmoins l’attention de nos montures- nous donne l’occasion, à nous également, d’une halte casse-croûte. Nous comptions sur l’arrivée du jeune goumier qui avait mission de nous apporter un pain de la première fournée du Poste militaire de Bir... Ce fut un thé non accompagné, car ce n’est que deux jours plus tard que nous devions retrouver, au « carré » à Irikim, le goumier... qui était passé sans nous voir à cause d’un vent de sable inopiné. Le « goumier-bagages », quant à lui, finit par nous rejoindre avec ses trois chameaux et... Une gazelle rencontrée sur son chemin et qui allait améliorer notre repas du soir...
Tout l’après-midi nous poursuivons notre route vers Tourassine, à 60 de Bir. La plupart du temps à pieds pour ménager nos montures, à travers un rag désespérément plat... Cinq heures, le goumier s’arrête : c’est l’heure de la prière et nous apercevons déjà les rochers de Toutassine. Donc bivouac alors que la nuit est proche. Nous nous abritons sur le versant sud d’une petite dune afin de nous mettre à l’abri du vent froid de la nuit... Nous déchargeons les bagages rangés à fer à cheval et orientés vers le sud-ouest. Les chameaux sont conduits sur une petite parcelle d’askaf : de quoi mastiquer un peu. Ils sont entravés court des deux pattes antérieures, ce qui les oblige à demeurer dans la voisinage. Entre les bagages nous creusons « le tombeau ». Les rahalas sont placés contre le vent et le « faro » au fond du trou.
Il est temps de dîner frugalement : poignées d‘arachides et de dattes, thé, un peu de viande séchée et pour terminer le « tichtar », un morceau de la « gazelle - surprise »... Dernier thé à la menthe avec les pipes que l’on a allumé tandis que doucement s’éteint le feu de camp, dont quelques escarbilles filent dans le ciel léger et pur pour y rejoindre les immenses étoiles qui semblent bien indifférentes.
A l’aube je consulte mon thermomètre de poche : brr... brr .. Il pointe à - 1. Dans le désert, on ne s’habille pas le matin, mais on se dépouille progressivement de ses vêtements entre six et neuf heures. Nous arrivons au puits de Tourassine… En petits boubous courts, après une dizaine de km de marche à pieds. Nous complétons notre provision d’eau dans ce puits qui est un immense entonnoir de 20 mètres d’ouverture s’enfonçant à une dizaine de mètres.
A quelques encablures nous retrouvons l’emplacement du « carré » occupé l’été dernier par le goum du Lieutenant Désiré. Les trous individuels sont à peine ensablés... Désiré me dit combien cet été sans orage, dans une région dépourvue d’ombre fut pénible... Les températures dépassant les 70°... Je consulte alors mon thermomètre... Dans ma sacoche, il indique 31°. Au soleil, il marque bientôt 43 : soit un saut de 44°depuis la nuit ! Ce ne fut toutefois pas la chaleur qui avait obligé le goum à quitter Tourassine, mais les nombreuses vipères à cornes qui exigeaient des battues quotidiennes.
Notre halte est courte, faute de pâturage. Nous décidons alors de faire le maximum de chemin l’après-midi afin d’arriver pour la nuit au bord de la sebkha, qu’il faudra franchir des très bonne heure pour éviter le coup de bambou de la méridienne, sur une immensité éblouissante de sel gemme, d’une superficie dépassant celle du lac de Genève. Cela représente six heures de guech guech, que nos montures paraissent supporter avec une parfaite indifférence …
Par Franck Gaston