Investi le premier août 2019 comme président de la Mauritanie, Mohamed Ould Cheikh Ghazouani tente de se démarquer en douceur de son prédécesseur, Mohamed Ould Abdel Aziz. Sur fond de grogne des plus proches amis de ce dernier.
Une chronique de Mahamedou Dembelé
Une partie subtile de jeu d’échec politique semble engagée entre le nouveau président, Mohamed Ould Cheikh Ghazouani, et son prédécesseur, Mohamed Ould Abdelaziz (2009-2019). Sur fond d’un changement en douceur de la direction politique du pays.
Presque imperceptiblement mais avec autorité, le nouveau locataire du palais brun, à Nouakchott, prend ses distances avec son «frère», le président Aziz, qui en a fait son héritier. Malgré le soutien aux aspects « positifs» du bilan des deux derniers quinquennats, Mohamed Ould Cheikh Ghazouani ne peut ignorer qu’il hérite d’un pays profondément divisé par la gestion affairiste et clanique de l’ex-président Aziz. La confiance que lui ont exprimés lors du scrutin présidentiel la majorité de ses concitoyens serait sérieusement entamée si le nouveau président était juste un clone du précédent, ou pire son obligé.
Un chef de gouvernement indépendant
Le premier acte du changement aura été la désignation, le 4 août, d’un nouveau Premier ministre, Ismail Ould Beda Ould Cheikh Sidiya, et la formation, une semaine après, d’un nouveau gouvernement peuplé de technocrates. Ancien ministre âgé de cinquante-huit ans, le chef de gouvernement refait surface après la traversée du désert que lui a imposée, quatre ans durant, le président Mohamed Ould Abdelaziz avec lequel il n’était plus en odeur de sainteté.
Le changement est perceptible avec la nomination de nouveaux ministres choisis pour traduire le programme présidentiel mais qui ne sont pas fichés comme des activistes de l’Union Pour la République (UPR), le principal parti mauritanien et le bras politique de l’ancien président.
Par ailleurs, l’entrée au gouvernement de six ministres haratines (descendants d’esclaves affranchis), souligne la volonté de rassemblement du nouveau chef de l’Etat qui pratique une sorte tente de discrimination positive en faveur de couches sociales délaissées.
Dans ce changement opéré, subsistent quelques rares ministres de l’ancienne équipe, dont le ministre de l’industrie et des mines qui gère le dossier des réserves gazières que la Mauritanie possède avec le Sénégal.
Changement de style
Plus qu’une volonté de crise ouverte avec les équipes du passé, le choix du nouveau gouvernement procède de la recherche de consensus. Ce qui lui a déjà valu le ralliement de personnalités politiques de l’opposition farouchement opposées, à l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz. Il s’agit notamment l’ancien premier Ministre Yahya Ould Waghef, président du parti Adil, de maitre Bettah, président de la Convergence démocratique et de Mohamed Mahmoud Lemat, l’ancien numéro 2 du RFD de Ould Daddah.
Le premier examen politique du nouveau premier Ministre, Ismail Ould Beda Ould Cheikh Sidiya, est la déclaration de politique générale, le 5 septembre, devant l’Assemblée nationale. Cette chambre est largement dominée par les députés de l’UPR, le parti au pouvoir qui représente 92 élus sur 157 élus. Faut-il craindre une motion de censure contre le nouveau gouvernement? Certains évoquent une telle hypothèse. Mais l’attitude légitimiste des élus et la forte présence des députés de la région de l’Est, celle du président Ghazouani, devraient éloigner une telle perspective. Reste la grogne des inconditionnels de l’ancien président, ceux qui avaient battu campagne pour un troisième mandat de leur mentor.
A fleurets mouchetés
Mais même si cette défiance se faisait, le nouveau président pourrait convoquer de nouvelles élections législatives anticipées pour contourner l’éventuel blocage. Mais on n’en est pas encore à ce cas de figure et le groupe parlementaire UPR dit vouloir apporter son soutien au nouveau gouvernement installé par le président Ghazouani.
Le Président, de son côté, a rassuré le directoire de ce parti fondé par l’ex-président qu’il n’avait aucune intention de créer une autre formation. Mais rien n’indique que des changements ne pourraient pas y être apports en Novembre 2019 à l’occasion de son Congrès.
L’autre changement et de taille cette fois, c’est dans le fonds. Là, le président Ghazouani diverge totalement avec l’ancien président Aziz. Il a choisi le premier conseil des ministres pour recadrer l’action du gouvernement et rappeler à tous les membres que chacun devrait prendre ses responsabilités jouissant entièrement de leurs prérogatives. Le président Ghazouani a rappelé aux ministres qu’il les tiendrait responsables de la gestion de leurs départements et dans la traduction, dans la réalité, de son programme politique.
Finie donc la concentration des décisions aux mains d’une seul, fut-il le président de la République. Si ce dernier a les mains plus libres, il n’est cependant pas gâté par les circonstances. Les difficultés économiques dues au pillage du pays ces dernières années se doublent des conséquences des récentes inondations dans plusieurs villes de la vallée du Fleuve.
Avant de trancher, demain, sur les dossiers chauds, le président Ghazouani doit parer au plus urgent.
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