Paroles d’un diplomate

L’économiste sénégalais Fewine Sarr a écrit que « plus que d’un déficit d’image, c’est de celui d’une pensée et d’une production de ses propres métaphores du futur que souffre le continent africain » (‘’Afrotopia’’). Saluons donc le fait que de plus en plus de mauritaniens, anciens ministres, ambassadeurs, directeurs de grandes sociétés, prennent la plume pour raconter leur expérience, dire leur part de vérité.

Et ce, à l’instar de Mohamed Aly Chérif (‘’Regards du sud’’), Mohamed Saleck ould Mohamed Lémine (‘’Mauritanie : l’espérance déçue’’), Ahmedou Ould Abdallah (‘’Plutôt mourir que faillir’’), Abdallah Sidya Ebnou (« Quarante au service de l’Etat mauritanien »), Yahya Ould Menkouss (‘’Un parcours mouvementé’’), Ahmed Salem Ould Moctar dit Cheddad (‘’Ce que je pense’’). Pour ne citer que ces quelques titres en français. Sans oublier évidemment les mémoires du Président Mokhtar Ould Daddah (‘’Contre vents et marées’’), traduits en arabe.

Ahmed Ould Teguedi ajoute une pierre importante à cette construction d’un récit post indépendance, un peu plus national et un peu moins excentré, en posant un « regard sur 34 ans de diplomatie mauritanienne », titre du livre qu’il vient de publier aux éditions l’harmattan.

 

’Diplomate du déserté’

Diplomate aux Etats-Unis, au Maroc, au Yémen, ambassadeur en Israël, puis aux Nations Unies, ministre des Affaires étrangères, Ould Teguedi s’est retrouvé, tout au long de sa carrière, au cœur d’évènements majeurs de la diplomatie mauritanienne. Il ne se contenta pas alors d’être un simple fonctionnaire exécutant les instructions. L’homme, qui est tout sauf banal, avait une profonde conviction que chacun de ses actes professionnels devait être utile à son pays. Il n’hésitera pas, comme il le raconte, à prendre des initiatives, à bousculer sa hiérarchie, à forcer la porte des responsables étrangers, quand cela pouvait servir l’intérêt de la Mauritanie.

Dans sa préface au livre, Moratinos, ancien ministre espagnol des affaires étrangères, émet l’hypothèse que « les rapports d’Ahmed Teguedi avec sa ville natale Chinguetti ont été toujours présents dans son travail de diplomate ». Il le désigne comme le « diplomate du désert »

L’auteur rappelle que la mission du diplomate est « la défense des intérêts de son pays », soulignant que, « être diplomate, c’est représenter singulièrement un pays, donc un chef d’Etat. C’est une lourde responsabilité »


 

1986 première affectation à l’ambassade de Mauritanie à Washington. Dès son arrivée il se rend au département d’Etat, où le responsable du bureau (desk) Mauritanie lui confie n’avoir jamais reçu la visite d’un diplomate mauritanien. Nous suivons le jeune diplomate, déjà à l’initiative, dans ses différents contacts auprès de l’administration et des élus états-uniens, du FMI, etc.

1988, il est muté en Egypte, avec laquelle la Mauritanie vient de renouer, après des années de rupture des relations diplomatiques, consécutive aux accords de Camp David avec Israël. Il ne sait pas qu’il va vivre, à partir de ce poste, deux crises majeures, qui vont fortement impacter la politique extérieure (et intérieure) mauritanienne.

1989, un an après son arrivée, il se retrouve dans la mêlée diplomatique du conflit Mauritanie-Sénégal. L’Union africaine désigne l’Egypte pour mener une médiation qui échouera du fait de divergences entre, d’une part le conseiller diplomatique et le directeur de cabinet de Moubarak, favorables à la Mauritanie et d’autre part Boutros Ghali, son secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, proche de la position du Sénégal. La Mauritanie fait face à un moment délicat, comme lors de la réunion des ministres des affaires étrangères de la conférence islamique au cours de laquelle certains dirigeants arabes (et non des moindres) se mettent à distance de Nouakchott
 

La crise irakienne 

1990, de nouveau une crise majeure, l’invasion du Koweït par l’Irak le 2 aout. Dans le lobby de l’hôtel Sémiramis, où il a rejoint le ministre des affaires étrangères qui se trouve au Caire, Ould Tegueddi observe « les ministres des pays du Golfe » dont « certains semblent même suffoquer ». Le diplomate est désigné pour prendre part, avec le représentant permanent de la Mauritanie auprès de la ligue arabe, à une réunion de crise convoquée en urgence par l’Egypte. Il précise que, dans ses instructions, Louleid Ould Wedad, le directeur de cabinet du président Maaouya, tout en « faisant allusion à notre relation avec l’Irak » va réitérer « la nécessité de respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Etat du Koweït ». La position de la Mauritanie « ne consistait pas [donc] en un soutien aveugle à l’Irak ». D’ailleurs le président Ould Taya enverra un émissaire à l’émir du Koweit, alors exilé en Arabie Saoudite, « pour lui clarifier la position nuancée de la Mauritanie ».  

On est loin des analyses simplistes sur « la Mauritanie alignée sur Saddam Hussein ».

Nous suivons également par le menu les premiers jours, voire les premières heures de cette crise, les faiblesses de certains leaders arabes, les frasques d’autres, l’incurie politique de plusieurs.           

1991, envoyé au Yémen, « pour ouvrir une nouvelle ambassade », dans un pays qui vit encore dans l’euphorie de sa réunification, le diplomate « n’accroche » pas vraiment. Il n’y reste qu’un an et demi.

1993, il est nommé à Rabat. A ce moment-là, « les relations entre la Mauritanie et le Maroc ne sont pas bonnes du tout », du fait notamment de la délicate question du Sahara. Il contribuera aux efforts qui sont faits pour améliorer ces rapports.

Autre sujet tout aussi important, sur lequel le témoignage d’Ahmed Ould Tegueddi était attendu, la décision de la Mauritanie d’établir des relations diplomatiques avec Israël. Le diplomate, qui a été au cœur de ce dossier, rappelle que la décision est survenue à la « demande pressante » de Yasser Arafat « venu à Nouakchott le 15 septembre 1993, exclusivement pour l’exprimer au Président Maaouya OuldSid’Ahmed Taya. Et ce, dans le but de contribuer à l’établissement de relations de confiance mutuelle entre palestiniens et israéliens ». La même demande a été faite à d’autres pays arabes.

L’auteur écrit que le Président Ould Taya hésitera longuement avant de prendre sa décision. Ces précisions contredisent la thèse, répandue encore aujourd’hui, selon laquelle le Président Ould Taya a noué des relations diplomatiques avec Israël pour sauver son régime. 

A la veille de son départ pour Israël, Ould Tegueddi est reçu par le Président Ould Taya qui lui dit en substance que,« premièrement la Mauritanie ne demande absolument rien aux Israéliens. Deuxièmement, il faut tout faire pour appuyer la position de nos frères palestiniens afin qu’ils retrouvent leur liberté, leur dignité, et leurs droits dans le cadre d’une paix durable avec les Israéliens ».

 

’Nous ne demandons rien à Israël’’

Mai 1996, arrivée en Israël, où il sera rejoint par ses collègues de Tunisie et d’Oman. En 1999, un accord, signé à Washington entre les ministres des affaires étrangères mauritanien et israélien en présence de leur homologue américaine, rehausse les relations diplomatiques entre les deux pays. Les sections d’intérêt deviennent des ambassades et Ahmed Ould Tegueddi le nouvel ambassadeur de la Mauritanie en Israël. Il y passera au total près de treize ans.

Même si, comme il tient à le préciser, la Mauritanie ne demande rien, Israël va l’aider « à intégrer aussi bien le processus de Barcelone et le dialogue 5+5 et aussi à avoir un partenariat avec l’Otan ».    

La Mauritanie reste très attentive au sort des Palestiniens. En 2002, Israël a établi un blocus autour du siège d’Arafat. Le Président Ould Taya appelle l’ambassadeur 

pour lui dire que cette situation est inacceptable et qu’il doit demander aux israéliens de lever ce blocus. A la suite de la démarche mauritanienne, les chars israéliens évacuent la zone.

L’ambassadeur nous fait part de ses observations sur un certain nombre de crises qui interviennent durant son séjour israélien. D’abord, le conflit israélo-libanais de 2006.  « La guerre contre le Hezbollah (………) bouleversa profondément Israël », dont l’armée avait été obligée d’évacuer le Liban. En 2007, « la guerre de Gaza contre le Hamas a été d’une certaine manière une thérapie psychologique pour rehausser le moral de l’armée israélienne ». 

Il quittera Israël en 2009 avec le regret de ne pas avoir vu la paix se réaliser, ce qui était, écrit-il, la raison majeure de sa présence dans ce pays.

Lorsqu’il est nommé ambassadeur auprès des Nations Unies, il a comme objectif d’apporter « une plus-value diplomatique » à la Mauritanie. C’est ainsi que durant son séjour onusien, il va signer des accords pour des relations diplomatiques avec l’Equateur, la Moldavie, le Paraguay, Tuvalu, le Népal, le Sri Lanka, le Laos.    

Ahmed Ould Tegueddi ne cache pas sa satisfaction d’être au cœur de la diplomatie multilatérale. Il participe à l’élaboration de « plusieurs résolutions concernant les crises aussi bien dans le monde arabe qu’en Afrique, Libye, Syrie, etc. ». Dans le cadre de ses fonctions, il se rend en Australie, en Géorgie, en Arabie Saoudite. Avec sa mentalité proactive, il propose au Président Ould Abdel Aziz d’envoyer des jeunes diplomates à New-York, pour une « mise à niveau dans le domaine multilatéral ». A son actif également, la participation de la Mauritanie aux opérations de maintien de la paix des Nations-Unies, Syrie, Cote d’Ivoire, Centrafrique, etc. 

 

Dans les coulisses de la diplomatie 

2013, consécration d’une belle carrière diplomatique, Ahmed Ould Tegueddi est nommé ministre des Affaires étrangères. Le secrétaire général des Nations Unies lui téléphone pour le féliciter, non sans préciser qu’il le fait « vu les affinités et les rapports amicaux » qu’il a noué avec le diplomate mauritanien.

Un des premiers dossiers que traitera le nouveau ministre est relatif à deux mauritaniens incarcérés à Guantanamo, OuldSellahi et Ould Abdel Aziz. Il le traitera avec le conseiller juridique de la maison blanche. Au niveau du ministère, une seule personne est impliquée dans la gestion du dossier, la secrétaire générale du ministère, El Alia Mint Menkouss. Les deux prisonniers seront libérés et tiendront à remercier personnellement l’auteur qui, entre-temps, avait quitté le ministère.

Crise dite du Sahel avec la création du G5 Sahel, présidence de l’Union africaine, sommet Afrique-Monde arabe, médiations entre l’Espagne et la Guinée Equatoriale, sommet Afrique-Turquie, tentative de relance de l’UMA, présidence de la ligue arabe, sur tous ces sujets, y compris au niveau des relations bilatérales, l’auteur nous fait entrer dans les coulisses de la diplomatie mauritanienne. 

Au détour d’un évènement, il nous offre des petits clins d’œil. Ainsi, après le le coup d’état en Egypte du Président Al Sissi, qui entraine la suspension de ce pays de l’Union africaine, la Mauritanie déploie des efforts et obtient la levée de cette suspension. Face aux louanges de l’Egypte sur ce résultat, l’auteur écrit que la Mauritanie a « pris sa revanche » sur toutes les vilénies émises contre elle par le Caire, dans le passé.

Pour notre plus grande satisfaction de lecteurs, Ould Tegueddi nous livre un témoignage riche sur des évènements majeurs de notre pays, notamment des années 1990-2010. C’est pourquoi, on ne peut que regretter une écriture trop rapide, parfois un peu confuse, qui peut brouiller l’exposé.

A cette réserve près, il faut lire et faire lire à tous ceux qui, au-delà des clichés et des jugements superficiels, s’intéressent à la Mauritanie, ces « réflexions sur 34 années de diplomatie mauritanienne ».

خميس, 29/12/2022 - 08:46