Depuis sa publication, le Rapport général annuel de la Cour des Comptes 2016-2017 fait couler beaucoup d’encre et de salive dans le pays. Cette année, les auditeurs ont mis à nu la gestion douteuse de nombreuses entreprises et établissements publics. Des faits croustillants (comme la facture de sept millions MRO en achats d’Omo, eau de javel et autres détergents à la mairie d’El Mina…) ont été portés à la connaissance de l’opinion.
Dans la foulée, les vérificateurs ont épinglé le Port Autonome de Nouakchott dit Port de l’Amitié (PANPA) et pointé un doigt accusateur sur la mauvaise gouvernance, le laxisme, les carences à tous les niveaux. Tout est passé au crible : conflits d’intérêts, dons et subventions irréguliers ; dépenses non autorisées par la tutelle financière. D’emblée, les vérificateurs estiment que le compte « vente au comptant » reste non soldé : « le solde du compte vente au comptant « C 410-999 » ne correspond pas à la nature du compte, il présente un solde débiteur de 244.254.412 (au 31/12/ 2016) et 141.788.308 A-UM (au 31/12/2017), alors qu’il devrait être soldé. Ce solde résulte d’un cumul de plusieurs années ». Ils indiquent également que l’inventaire d’immobilisation reste non valorisé : « Le compte immobilisations présente un solde débiteur de 7.369.941.000 MRO au 31/12/2016, (soit 63 % du total bilan) ; mais il est impossible d’apprécier sa sincérité, à défaut d’un inventaire physique codifié et valorisé ».
Au 31/12/2017, le compte d’attente actif présente, selon la Cour, un solde de 60.127.472 MRO résultant des litiges de facturation avec la société MTM qui remontent aux exercices 2007 et 2008. Le compte d’attente passif présente, toujours au 31/12/2017, un solde de 39.641.276 MRO, soit une augmentation de 21.383.133 MRO par rapport à l’exercice 2016. Il s’agit essentiellement des virements de PC Mauritania en 2009, du chèque 987268 SOGECO/SGM, du chèque 967310 ACT/BAMIS, du chèque 541744 STP et de l’avis de crédit KRICHNA IMPEX/NBM.
La Cour considère que cette situation montre un faible suivi de ce compte dont l’utilisation doit se faire de manière exceptionnelle et temporaire. Il a vocation à enregistrer certaines opérations dont l’imputation comptable n’est pas identifiable immédiatement. Il doit obligatoirement être ventilé et soldé à la clôture de l’exercice. Certains comptes présentent les mêmes soldes durant la période (1996-2014) sans que les dispositions nécessaires pour les apurer ou les rapprocher avec la réalité soient prises. La Cour recommande la constitution d’une provision pour ces comptes. Et de noter : « Ces observations sont susceptibles d’entacher la régularité et la sincérité des comptes du port ».
Carences à la pelle
Relativement aux observations sur la gestion, le Rapport souligne : la faiblesse du système de contrôle interne ; la défaillance de la direction du contrôle ; le fractionnement de commandes à travers le recours abusif à l’achat par « bon de caisse » pour du mobilier de bureau, matériel informatique et électronique, évitant ainsi le recours à la concurrence. Les griefs sont fort nombreux : insuffisance du personnel de recouvrement ; irrespect de l’organigramme et inadéquation des profils avec les postes ; défaillance du paramétrage de l’application commerciale ; non-prise en compte des avantages en nature lors de l’édition des bulletins de paie.
Concernant les dépenses, on enregistre le paiement d’avantages sans autorisation de la tutelle au directeur général du Port autonome de Nouakchott (9 722 689 MRO), et du directeur général adjoint (4 732 460 MRO). Autres griefs : la prise en charge injustifiée des créances. «Le départ de l’ex-directeur général le 22/01/2016 et du directeur général adjoint le 12/04/2018 a donné lieu à la prise en charge, par le Port, des reliquats de leurs créances, sous forme d’« indemnités de licenciement ». Ces créances s’élèvent respectivement à 2.989.488 MRO et 1.586.410 MRO, soit un total de 4.575.898 MRO. Ces dépenses ont été effectuées suivant les états de paiement respectifs n° 36/2016 du 25/1/2016 et 446/2018 du 14/4/2018 ».
La Cour considère que la prise en charge de ces créances est injustifiée car les intéressés ont été nommés et démis de leurs fonctions par décision du Conseil des ministres et que, par conséquent, les dispositions de la convention collective ne s’appliquent pas à leur cas. Et de considérer donc que ces montants doivent être restitués. On note aussi, « l’octroi d’avantages indus aux membres des organes délibérants. Le Président et les membres du Conseil d’administration ont bénéficié annuellement d’une dotation de pèlerinage de 2.000.000 MRO, soit un montant total de 4.000.000 MRO, pour la période sous revue ».
Des contrats de publicité complaisants
En 2016, révèle le rapport, Le port a dépensé 10.941.200 MRO à titre de publicité, propagande et publication. Après analyse, il a été constaté qu’un montant de 2.364.000 A-UM correspondant à certains contrats signés en 2015 avec des sites électroniques a été dépensé. L’objet de ces contrats, comme stipulé à l’article 1er est « l’insertion de spots publicitaires du PANPA de façon permanente sur une fenêtre dédiée de la page d’accueil et à la demande du PANPA pour des spots à diffusion temporaire ». Mais, déplore le rapport, « les états de paiement ne contiennent pas de pièces justifiant l’insertion de ces spots par lesdits sites ».
Autres tares, des avances irrégulières consenties au Président du Conseil d’Administration (PCA). Au cours de la période sous revue, celui-ci a bénéficié, indique le Rapport, d’avances sur les jetons de présence, des prêts et des avances de son indemnité. Son solde est débiteur de 6 907 581 A-UM à la date du 20/03/2018. A cela s’ajoute des avances accordées et non remboursées par monsieur Sidi Mohamed ould Mohamed Mahmoud, ex-PCA (période 2009-2014, pour un montant de 3.915.232 MRO) et par monsieur Ahmedou ould Addahi Khteira, ex-membre du conseil d’administration (période 2009-2014, pour un montant de 576.000 MRO).
La vérification des prêts et avances a révélé qu’un montant de 6.477.118 A-UM n’a pas été déduit des droits de certains employés et reste toujours impayé. La Cour observe le laxisme dans la gestion de l’ex-directeur général, monsieur Ahmed ould Mohamed ould Moctar.
Charité bien ordonnée…
Le Rapport indexe aussi les « les dons et subventions accordés au cours des exercices 2016 et 2017 qui se sont élevés respectivement à 4.185.625 MRO et 3 202 084 MRO. Il s’agit normalement d’aides accordées à des personnes nécessiteuses ou de subventions destinées à des ONG, madaris, mosquées, etc. Il a été constaté les faits anormaux suivants : une subvention de 1.200.000 MRO a été accordée en 2016 au PCA et à l’ex-directeur général adjoint (Etat de paiement n°0656) ; des subventions ont été accordées à certaines associations et organismes payées en espèces, au lieu de virement à leur compte, pour assurer une meilleure traçabilité ». Concernant les recettes, le Rapport pointe la fixation d’un nouveau tarif sans passer par la voie règlementaire et la mauvaise facturation de certaines prestations de services. Aussi la Cour demande-t-elle à la Direction Générale du port de prendre les mesures nécessaires pour refacturer et recouvrer ces montants.
Pertes énormes
Le Rapport fait état de pertes importantes de droits sur marchandises. « Les investigations de la mission ont permis de constater que les marchandises en question sont sorties sans remplir les conditions réglementaires du port, ce qui est de nature à engendrer un préjudice financier pour le port ». La Cour attire l’attention des autorités publiques sur la gravité de ce phénomène qui remonte à une date lointaine et continue de nos jours, résultat de la complicité des différents intervenants : commerciaux, agents de sécurité et consignataires. Elle demande à toutes les parties concernées de prendre les mesures appropriées pour mettre fin à cette pratique.
En outre, le Rapport a constaté un cumul important de créances échues et non recouvrées. L’irrespect de ces procédures de paiement a permis d’atteindre ce niveau élevé d’arriérés, ce qui pourrait se traduire par des impayés considérables », déplore-t-il. La Cour observe donc une violation de dispositions de l’arrêté conjoint n°919 du 17 Octobre 2016, et demande à la Direction Générale du PANPA de cesser immédiatement la facturation à terme, sauf pour les droits sur la consignation et la manutention, et à prendre les diligences nécessaires pour recouvrer ces créances.
Il est fait également cas de l’absence de cautions, pour la plupart des occupants des domaines publics. La Cour considère que cette absence expose le port à un risque financier majeur lié au non recouvrement des créances et invite la Direction Générale du PANPA à exiger la délivrance de telles cautions. Elle juge également que cette même absence expose le port aux risques opérationnels liés à la non couverture contre les dommages occasionnés par les navires.
Enfin et par rapport aux performances d’une manière générale, le Cour fait état des contraintes suivantes limitant l’exploitation normale du port : capacité d’accueil de navires d’hydrocarbures limitée ; faible tirant d’eau des postes du quai ; canal d’accès étroit ; manque d’un terminal- conteneur ; mauvaise gestion de l'espace portuaire ; mesures insuffisantes contre les risques d’incendie ; précautions insuffisantes contre les matières dangereuses ; durée trop élevée de séjour des conteneurs au port.
Synthèse Thiam Mamadou
Le Calame