Le projet que le président Moktar Ould Daddah et ses compagnons avaient défendu « contre vents et marées » se maintient toujours malgré tant d’événements malheureux provoqués par les ingénieurs de la crispation nationale.
Le particularisme négro-mauritanien est toujours inapaisé, la création de la Mauritanie n’avait pas été calibrée en fonction de son projet, c’était pour lui un « crime » imputable aux pères fondateurs qui avaient associé arabité et négritude en un seul lieu, oubliant d’instituer un État binational garant de la paix civile et de la stabilité nationale.
De crise en crise, sur fond de frictions interraciales, la Mauritanie n’arrive toujours pas à retrouver une paix durable.
Sans pour autant constituer une menace sérieuse, la coalition poulo-toucouleur dite « vivre ensemble », comptant sur son cheval de Troie, IRA, parle à présent de la refondation de l’État ou de l’autonomie du Sud ou de sa sécession.
Et en attendant, un dénouement favorable, les communautaristes noirs exigent l’institution des quotas ethniques au niveau de l’appareil de l’État ; et pour l’intercompréhension entre les composantes nationales, ils réclament une force d’interposition linguistique, c’est-à-dire des casques bleus de la traduction et de l’interprétation, qui ne peuvent être que des Maures, car les Arabo-Mauritaniens sont, en général, de bons bilingues arabe-français contrairement à leurs compatriotes poulo-toucouleurs, soninkés et wolofs qui sont de véritables monolingues militants. Et si les Maures refusaient d’assurer ce service, l’entente entre les fils de la Patrie ne serait plus possible faute de langue commune, du minimum requis pour un début de cohésion nationale.
Pourtant, les pouvoirs publics avaient, par le passé, essayé à coup de réformes du système éducatif de produire un enseignement équilibré permettant de résorber l’épineuse question des langues, mais à chaque fois rien de racialement satisfaisant n’était obtenu : les cadres ressortissants de la vallée rejettent majoritairement la langue arabe, et les Arabes, eux, récusent l’arbitrage du français, c’est donc la confusion générale jusqu’à nouvel ordre, un nouveau consensus national, difficile à obtenir car les positions sont figées .
Une telle œuvre de consentement si elle devrait voir le jour, elle nécessitera des concessions mutuelles sous-tendues par la recherche franche et responsable de l’intérêt du peuple mauritanien, loin de tout particularisme.
Et si le patriotisme ne prend pas le dessus sur l’ethnocentrisme, la cohésion nationale mauritanienne sera compromise aussi longtemps que durera le nombrilisme communautaire tueur de l’esprit républicain, de l’espoir d’une Mauritanie intégrée et résolument tournée vers l’avenir.
Malheureusement, détruire est beaucoup plus facile que construire. Et chaque composante nationale possède un potentiel maléfique redoutable, un démon à ne pas réveiller,
Alors, continuer à répéter « on est condamné à vivre ensemble » est un fatalisme contreproductif. C’est le pire des raisonnements politiques, car les exemples de déchirures interethniques ne manquent pas et des États avaient disparu en Afrique et ailleurs.
Enfin, où veulent-ils en venir, les Négro-communautaristes ?
Depuis la fin de la colonisation, les États n’épousent plus les contours de l’ethnographie africaine. Les pères fondateurs de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) avaient arrêté à cet effet un principe d’une considérable portée pour la paix et la stabilité des pays africains multiethniques. Ils avaient engagé les États membres à « ne pas changer les frontières, pourtant héritées de la colonisation. Cet impératif concerne d’une part, toute revendication territoriale venant d’un autre État, et, d’autre part, tout mouvement sécessionniste venant de l’intérieur de nature à mettre en cause les frontières issues des indépendances »
En tout cas, avant de forcer le destin, il serait bien de rappeler à ces militants de la race qu’ils n’offrent rien à leurs compatriotes maures que ces derniers ne leur offrent pas dans le cadre de la Mauritanie unifiée, et que la région de la vallée ne pourvoit rien en termes de richesses et de profondeur stratégique que le reste du territoire national ne pourvoie pas.
Et si c’est seulement pour fuir une hypothétique arabisation forcée, il serait également utile de leur dire que la création d’un État peul exclusif est refusée par tous les pays de la sous-région à commencer par le Sénégal et la Guinée, et que ce micro-État si, d’aventure, il venait à exister, il serait inévitablement francophone, parce que des États négro-africains plus anciens et plus puissants, berceau de la négritude, n’avaient pas pu franchir le Rubicon, préférant, au grand dam de l’égyptologue Cheikh Anta Diop et de tous les panafricanistes, adopter « des ancêtres gaulois ».
Il ne reste plus aux Négro-communautaristes que la question de la prépondérance des Maures. Eh bien ! Celle-ci n’est pas irréversible. Dans le cadre de la République, quand le communautarisme n’aura plus pignon sur rue, on pourra mettre en marche l’ascenseur national de manière positive, constructive et démocratique pour que le rapport de force interethnique, s’il le faut, change sur la durée, sans frottement et sans grincement.
Au demeurant, si l’on enterre le présent projet d’une République démocratique et sociale et à sa place le séparatisme est décidé, à l’amiable ou non : c’est-à-dire un pays pour les Arabo-Mauritaniens et un autre pour les Négro-Mauritaniens. Le premier sera viable, il a l’avantage de la cohésion linguistique et culturelle. Le deuxième ne résistera pas longtemps, il volera en éclats à cause du sectarisme ethnique. En effet, le terme générique « négro-mauritanien » cache une diversité culturelle antagonique ; les Wolofs et les Soninkés ne sont pas des Halpulaars, donc un autre démembrement se mettra en marche juste après l’euphorie de la dislocation.
Mauritanie : vous avez dit vivre ensemble ?