L’article de Mohamed Askia Touré paru dans Le Calame du 3 février 2021 sur l’amitié, jadis inextinguible, de son oncle maternel, Kane Elimane et Mohamed Ould Cheikh, est, à mon avis, le meilleur écrit de la rentrée, le plus émouvant, le plus équilibré aussi, et même le plus intelligent et le plus facile à lire. Peut-être, parce que moi aussi, je connaissais les défunts, que j’ai parcouru, avec avidité, ces passages de l’auteur, les concernant, sans jamais m’arrêter. C’est un résumé du courage politique de ces deux hommes, plein d’images, de souvenirs et d’émotions.
Elimane Kane m’avait enseigné au collège Xavier Coppolani de Rosso en 1960. C’était un professeur émérite. Mohamed Ould Cheikh, Ministre secrétaire général à la défense nationale, était mon correspondant au Lycée National de Nouakchott, avec feu Yedali Ould Cheikh, son jeune frère. Nous préparions la fin de nos études secondaires à partir du milieu des années 60.
De vives intelligences, Mohamed Ould Cheikh et Elimane Kane avaient une passion pour le droit, surtout des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ils ne manquaient pas non plus d’humour. Je dirai même que c’étaient des hommes d’exception.
La photo du journal m’a beaucoup ému. La voix rauque d’Elimane Kane et son éternel jean, ainsi que l’humour génial de Mohamed Ould Cheikh m’avaient marqué par leur simplicité et leur originalité. Ministres au sein du gouvernement du Président Mokhtar Ould Daddah, Ils avaient la même étrange obstination de réformateurs qui prêchaient la liberté de penser dans la légalité. Après leur disgrâce, suite aux troubles politiques de 1966, une rumeur de tentative de putsch avait circulé dans les coulisses du pouvoir de l’époque.
Un complot factice
Ce coup de force serait conduit par le commandant du bataillon des paras de Jreida (ex-Coppolani) Soueidat Ould Weddad et initié par le groupe de Mohamed Ould Cheikh. Après, quand on demandait à ce dernier si le complot était réel, il répondait en raillant l’accusation, qu’effectivement lui et les siens complotaient contre un plat de couscous. Ensuite, lorsqu’on le questionnait sur les raisons de leur destitution, il disait aussi, avec ironie que Mokhtar cherchait des compétents, et« comme lui et ses amis, n’étaient ni cons, ni pétants, alors ils n’étaient pas compétents »
En réalité, Mohamed Ould Cheikh et Elimane Kane étaient à l’avant-garde du premier cercle restreint de l’intelligentsia mauritanienne qu’ils ont marquée par leurs brillantes analyses au cours de débats houleux, nourris et enrichis par leur soin dans les congrès, conférences, séminaires et conseils de ministre. Ce terrible duo de la compétence brillait par son intégrité morale et sa sobriété matérielle. Il plaidait pour les alliances tiers-mondistes et criait haro sur les ex-puissances coloniales.
Seulement, les milieux conservateurs frappés par l’obscurantisme religieux de leur temps stigmatisaient la vocation, supposée, antireligieuse, de toute doctrine qui privilégie les valeurs matérielles, comme le matérialisme dialectique dont sont imbus nos deux intellectuels.
Ils sont pourtant les deux, originaires de contrées où l’islam a droit de cité depuis des siècles. L’un était le petit fils maternel du grand marabout, Cheikh Sidiya Baba El Kebir, connu pour son immense rayonnement spirituel et ses Fatwas sans appel, et l’autre était issu de l’une des plus grandes familles Tidjania de Mauritanie. Cette famille a toujours été d’ailleurs un ciment (si l’on peut dire ainsi) qui unit, non seulement les éléments de sa propre communauté, mais aussi les membres des autres composantes de notre société, qu’ils soient maures, soninkés ou autres.
Je saisis cette occasion pour présenter à la famille Kane de Dar El Barka, mes condoléances les plus attristées à la suite du décès de mon frère et ami Kane Tidjane. Nous avions passé ensemble plus de 35 ans à la BCM.
Quant à Mohamed Askia, je suppose qu’il est le fils de la défunte Aissata Kane (qu’Allah l’accueille dans son saint Paradis). Il doit être probablement promotionnaire à Abdel Weddoud Ould Cheikh. La promotion qui est venue après nous : feu Yedali O. Cheikh et moi.
Mais pourquoi dis-tu Askia Mohamed, comme dirait tristement Dante, que cette période est radicalement révolue ? Non, « un souvenir heureux est peut-être sur terre plus vrai que le bonheur », disait un certain poète.
A la fin, Askia Mohamed en appelle au devoir du souvenir et à l’obligation morale de transmettre le symbole de cette amitié extraordinaire à la mémoire des générations futures.
Pour ma part, je trouve une autre dimension à cette amitié, naguère indéfectible de ces deux hommes. Il est de notre responsabilité morale de combattre les discours de haine, qui sont dans le déni du bel héritage que nous ont légué nos pionniers et premiers précurseurs de la Mauritanie naissante. La haine envieuse de ces extrémistes de tous bords, incitant à la division et à la désunion des mauritaniens est vouée à l’échec.
Il est vrai cependant, que le fossé de la discorde entre les différentes composantes de notre société n’a jamais été aussi exacerbé par les harangues de ces spécialistes de l’intolérance et de la haine raciale.
Mais ne généralisons pas. Ces champions du mensonge et du chaos social ne représentent pas, Dieu merci, nos populations, du moins dans leur intégralité. Des voix, on ne peut plus patriotes, plus honnêtes et plus courageuses comme la communication en question, de Mohamed Askia, se sont toujours élevées pour arrêter cette course insensée vers l’abime dans lequel veulent nous précipiter ces adeptes de la discorde nationale.
A la mémoire d’Elimane Kane et de Mohamed Ould Cheikh, nous prions Allah, le clément et miséricordieux desauver la Mauritanie, comme il l’a déjà maintes fois sauvée de ces incitateurs de tous bords aux mobiles obscures et porteurs de danger.