La transition en douceur de Mohamed Ould Ghazouani

Investi à la tête de l’État le 1er août, Mohamed Ould Ghazouani pose les premiers jalons de son programme, reçoit les représentants de la classe politique et rompt progressivement avec le style de son mentor et prédécesseur.

Bientôt trois mois que Mohamed Ould Ghazouani a accédé à la présidence de la République, et l’atmosphère politique a incontestablement changé en Mauritanie. Sommé, dès son investiture, par l’opposition et par certains médias de rompre avec son « frère » et prédécesseur Mohamed Ould Abdelaziz, il n’en a évidemment rien fait. En revanche, par petites touches, il imprime sa marque, avec la lenteur qui convient à un fils de marabout.

Le désir de changement était si fort que l’on pouvait craindre que l’impatience populaire ne s’exprime rudement, comme après le 22 juin et son élection au premier tour. Mais il a fini par faire admettre son rythme en posant des actes qui sont autant de promesses pour la suite de son mandat et qui ont apaisé un théâtre politique polarisé, voire hystérique, depuis dix ans.

« Ouvert à tout le spectre politique »
L’opposition a compris que le changement de style était réel. Certes, aucun membre des partis de l’opposition dite radicale ne siège dans le gouvernement nommé le 8 août. Mais le président met un point d’honneur à recevoir un à un les chefs de ces partis et ses adversaires à la présidentielle, respectant à la lettre son discours d’investiture du 1er août, dans lequel il déclarait : « Je resterai ouvert à tout le spectre politique, tout au long de mon mandat, sachant que la Mauritanie a besoin de tous, majorité et opposition. »

Pour la première fois depuis des années, on a donc vu à la présidence l’opposant historique Ahmed Ould Daddah (RFD), l’homme de gauche Mohamed Ould Maouloud (UFP), le tonitruant Biram Dah Abeid (IRA), arrivé ­deuxième à l’élection.

LES SIGNES DONNÉS PAR LE GOUVERNEMENT REFLÈTENT QU’IL PEUT ÊTRE SÉRIEUX. IL FAUT LUI DONNER DU TEMPS

Ont aussi été reçus, entre autres, l’ancien Premier ministre Sidi Mohamed Ould Boubacar, troisième du scrutin, le président de l’opposition démocratique, Brahim Ould Bekay (Tawassoul), Messaoud Ould Boulkheir (APP), Mohamed Ould Moine (AND) et Abdessalam Horma (Sawab). Tous sont sortis de cette rencontre en louant la capacité d’écoute du chef de l’État, qui a entendu leurs revendications, parmi lesquelles le retour d’exilés politiques, comme l’homme d’affaires Mohamed Ould Bouamatou, ou la fin des discriminations ethniques.

Il y a de la recomposition politique dans l’air. Biram, qui rugissait naguère, se montre doux comme un agneau quand il déclare : « Je suis disposé à soutenir Ghazouani et à l’aider, à condition de ne pas oublier les questions posées au cours de notre discussion. » Quant à Mohamed Jemil Ould Mansour, l’un des fondateurs du parti d’inspiration islamique Tawassoul, il affirme à titre personnel « que le positif est plus évident que le négatif, car il y a une ouverture graduelle sur l’opposition. Les signes donnés par le gouvernement reflètent qu’il peut être sérieux. Il faut lui donner du temps ».

Urgences sociales
À l’évidence, le nouveau pouvoir privilégie le social. Dans tous ses discours, Mohamed Ould Ghazouani souligne la nécessité de corriger les inégalités au sein de la société mauritanienne, parlant même de la nécessité d’une « discrimination positive ». Mais il n’a jamais cité le nom d’une catégorie sociale ou d’une ethnie, préférant user du terme « composantes de notre cher peuple ».

Le discours-programme prononcé le 5 septembre devant le Parlement par le Premier ministre, Ismaïl Ould Bedda Ould Cheikh Sidiya, a été critiqué pour le chiffrage peu précis de ses projets, sauf dans le domaine social : 20 milliards d’ouguiyas (plus de 483 millions d’euros) seront affectés aux différents programmes de solidarité (Cheyla, Dari, Tekavoul) qui aideront 200 000 familles défavorisées grâce à des versements trimestriels passant de 1 500 à 3 500 ouguiyas (soit d’environ 36 euros à près de 85 euros).

Comme la cause première de la pauvreté et du maintien des déséquilibres résultant de l’esclavage est la médiocrité du système scolaire (moins de 8 % de réussite au bac en juin 2019), dont sont victimes surtout les communautés négro-africaines (Peuls, Soninkés, Wolofs), mais aussi les Haratines (descendants d’esclaves), le budget de l’Éducation nationale augmentera pour atteindre 20 % du budget de l’État. Le recrutement de 5 030 enseignants est en cours. La remise à niveau de l’école publique est enclenchée.

Conflit peu vraisemblable avec Aziz
Le premier déplacement hors des frontières de Ghazouani a été consacré aux sommets de l’Uemoa et de la Cedeao, le 13 et le 14 septembre, à Ouagadougou, au Burkina Faso. Là encore, la continuité a prévalu. De nombreux observateurs estimaient que la force conjointe du G5 Sahel, regroupant les bataillons du Burkina Faso, du Mali, de la Mauritanie, du Niger et du Tchad, n’était pas efficace contre le terrorisme et qu’il fallait y remédier en intégrant le G5 Sahel dans la Cedeao, qui compte quinze pays membres et dont beaucoup sont menacés par le jihadisme.

IL FAUT RECONNAÎTRE QUE L’OMBRE DE L’EX-PRÉSIDENT OULD ABDELAZIZ CONTINUE DE PLANER

Tel n’a pas été le cas. Pourquoi ? « Nous avons désormais posé les fondations d’une force qui n’existait pas il y a un an, explique le ministre de la Défense, le général Hanena Ould Sidi, qui l’a commandée de l’été 2018 à l’été 2019. Chaque pays doit se défendre lui-même, car ses soldats sont les meilleurs connaisseurs du terrain, mais il faut que nous arrivions à mutualiser nos moyens. »

Il faut reconnaître que l’ombre de l’ex-président Ould Abdelaziz continue de planer. Il est parti en Turquie puis en Europe au lendemain de la fin de son mandat. Tout le monde se demande quelle posture il adoptera à son retour. L’opposition rêve de le traduire en justice pour la gabegie dont elle l’accuse. Exclu.

Une partie de la majorité se sent orpheline et souhaiterait qu’il prenne la tête du parti majoritaire, l’Union pour la République (UPR), ce qui semble tout aussi exclu. Nombreux sont ceux qui supputent les embarras que l’ancien président pourrait causer au nouveau en se mêlant des affaires politiques et économiques du pays ou en défendant les intérêts de son clan. Leur longue amitié rend un tel conflit peu vraisemblable. Surtout, comme le disait Jean Bodin, théoricien politique français (1530-1596), « le pouvoir ne se partage pas plus que le point en géométrie ».

jeune Afrique

أربعاء, 23/10/2019 - 09:04