Comme déjà évoqué, les liens entre les Maures et les Marocains sont ancestraux. Le Maroc est pour la population arabo-mauritanienne ce que le Sénégal et le Mali sont pour les Négro-Mauritaniens : ils forment le même tissu ethnique. Outre les Sanhadja qui occupaient le Maghreb et le Sahara avant le Xème siècle, les descendants de Maghil, c’est-à-dire les Banî Hassane« vivaient au début du douzième siècle dans le triangle Molouïa-Taza-Rif ». Plus précisément, en 1253, ils étaient venus dans la région du Souss à la rescousse d’Ali ben ledder, chef berbère-hintata en rébellion contre le sultan almohade.
L’enchevêtrement humain et historique entre les deux populations est si inextricable pour être raconté en quelques lignes, mais il serait utile de noter que les Almoravides avaient fondé Marrakech en 1070 ; et dans l’autre sens, du Nord vers le Sud, que les Oudaya (Banî Hassane) avaient érigé leurs émirats en Mauritanie à partir du XVIIème siècle : Émirat du Brakna, du Trarza et de l’Adrar ; en d’autres termes, des tribus venues du Maroc avaient régné sur l’espace mauritanien avant de perdre son contrôle avec la Colonisation française en 1902.
Et en 1956, le Royaume du Maroc indépendant pose la question de ses frontières « historiques et naturelles ». D’abord par le chef du parti Istiqlal. Allal El Fassi s’appuyant sur des arguments historiques, géographiques et humains sera le premier homme politique marocain à revendiquer, en 1955, la marocanité de Bilad Chinguitt ; ensuite, une année plus tard, ce fut le tour du roi Mohamed V, en visite le 25 février 1958 dans les provinces Sud de son royaume, de réitérer de manière solennelle les revendications de son pays sur la Mauritanie .
Aussitôt dit, aussitôt fait, la diplomatie chérifienne allait s’activer pour recouvrer « la partie tronquée ».
Du côté mauritanien, d’éminentes personnalités allaient sans tarder rejoindre le Maroc tel que Horma Ould Bebana, ancien député à l’assemblée française, suivi de Mohamed Vall Ould Oumeir, émir du Trarza, Dey Ould Sidi Baba, ancien ministre et Mohamed El Mohktar O. Bah, ancien ministre, entre autres. Et aucun cadre politique négro-mauritanien n’était de la partie ; preuve que la question avait une dimension raciale sous-jacente.
Au plan diplomatique, la position marocaine avait obtenu le soutien de la Guinée, du Ghana, du Mali et de l’Égypte, tout le « groupe de Casablanca».
A ce propos, les pays arabes s’étaient alignés derrière le Maroc estimant dans une résolution datant du 23 août 1960 « que la Mauritanie faisait partie intégrante du Maroc », et d’ajouter « que l’impérialisme cherche à créer une identité artificielle, sous le nom de République Islamique de Mauritanie ».
Il convient au passage de noter que la position de la Ligue des États arabes, contrairement à la propagande nationaliste poulo-toucouleur, ne portait pas sur l’arabité de la Mauritanie ou non, c’était tout le contraire, les Arabes voulaient plutôt assurer à Bilad Chinguitt et à sa population un ancrage arabe confortable parmi les Arabes, c’est-à-dire au sein du Royaume alaouite marocain.
Aux thèses du Maroc s’était ajouté aussi le soutien des pays communistes qui s’engageaient après leurs amis africains dans la même action.
Malgré tous ces succès, le désir d’indépendance de la Mauritanie prit le dessus nonobstant une dernière tentative menée par le président ghanéen Nkrumah au nom du Roi Hassan II dans le but de trouver une forme de communauté entre Le Maroc et la Mauritanie. Interrogé par Moktar sur le contenu de sa proposition, Nkrumah répondit : « Le Roi Hassan II se contenterait de former avec votre pays une fédération, même lâche, ou une confédération, ou simplement une union d’États indépendants ».Évidemment, tous ces scénarios n’étaient pas acceptables pour le président Moktar qui tenait, au grand regret du souverain alaouite, à l’indépendance pleine et entière de son pays
Le ministre Yahya Ould Menkouss, porteur d’un message du président Haidalla, quelques années après la normalisation des relations diplomatiques entre la Mauritanie et le Maroc, raconte dans son livre Un Parcours Mouvementé, qu’en le recevant le roi Hassan II n’avait pas manqué de le gratifier d’un commentaire élogieux à l’égard de ses frères mauritaniens et qu’il lui avait avoué que la phase des prétentions de son royaume sur la Mauritanie était un temps difficile pour lui ; il en avait même « bavé »disait-il, rapporte le ministre Menkouss.
Les Arabo-Mauritaniens avaient donc la possibilité, s’ils le voulaient bien, d’appartenir au ‘’Grand Maroc’’, un rêve marocain de toujours, ou bien ériger un nouvel État indépendant avec les Négro-Mauritaniens dont le leadership politique était réticent. Et c’est cette dernière option qui était celle de la France aussi qui avait été retenue. En d’autres termes, les pères fondateurs de la Mauritanie moderne, les Maures, avaient plaqué la majorité « étouffante » arabe et berbère pour que leur peuple chinguitien reste lui-même, souverain et jaloux de sa spécificité saharienne, conservateur de sa personnalité propre, pour s’associer avec la minorité négro-africaine. Les Poulo-toucouleurs, les Soninkés et les wolofs refusent toujours ce qu’ils appellent « l’assimilation culturelle » ; et à chaque fois que l’identité nationale mauritanienne est évoquée, ils exigent que toutes les composantes ethniques du pays soient citées, une manière de dire que leur pays est artificiel et que son artificialité résiste au temps.
Extrait de ‘’Mauritanie : vous avez dit vivre ensemble ?’’.