Sénégal-Mauritanie : Les jeux sont faits et rien ne va plus

Le dimanche 1er Décembre 2024, le président mauritanien Mohamed ould Cheikh El Ghazouani se rendit à Dakar, pour faire l’honneur au Sénégal en assistant aux cérémonies marquant le 80ème anniversaire du massacre des tirailleurs sénégalais par l’armée coloniale française à Thiaroye. Il y assistait en sa qualité de président d’un pays-frère, voisin et ami et du Sénégal. Mais, au-delà même de cette qualité diplomatique, il y était venu revêtu de la casquette de président en exercice de l’Union Africaine.

La commémoration du massacre des tirailleurs sénégalais en 1944 ne peut laisser les Mauritaniens indifférents. Parce que simplement leurs soldats engagés aux côtés des troupes françaises étaient aussi des tirailleurs sénégalais, appellation donnée à tous les soldats venus de la capitale de l’AOF qui était, à cette date, également capitale de la Mauritanie. Malheureusement le président mauritanien Ghazouani a été très mal accueilli à ladite cérémonie à laquelle quatre chefs d’État avaient répondu présents : Umarou Sissokho Emaballo de Guinée-Bissau, Adama Barrow de Gambie, Brice Clotaire Oligui NGuéma du Gabon et Azali Assoumani des Comores.

Alors que la plupart de ceux-ci ont été reçus par le président Diomaye Faye en personne, leur homologue mauritanien et président en exercice de l’OUA a dû se contenter de l’accueil par Ousmane Sonko, Premier ministre du Sénégal, appelé à cette haute fonction après des démêlées interminables avec la justice sénégalaise pour une affaire de « sex party » dans une cabine de « Sweet beauty », un salon huppé de massage de la capitale sénégalaise. Rien n’explique vraiment pourquoi la diplomatie sénégalaise, dans sa version importée de la rue, s’est lancée dans cette maladresse. Une bévue cependant impardonnable, au regard des relations qu’entretiennent les deux pays-frères, amis et voisins riches d’un passé historique commun de plus de cent ans, de relations politiques et économiques de plus de cinquante-cinq ans, et d’un vivre ensemble qui a su toujours fait face aux divers « accrochages » politiques de ces dernières années.

 

Sonko, un Premier ministre moulé dans les sarcophages de la rue

 

En décidant d’accueillir lui-même certains de ses invités et pas le président mauritanien, Diomaye Faye, un chef d’État considéré comme de plus en plus téléguidé par des conseils provocateurs et par son Premier ministre savait parfaitement bien que le « coup fourré » n’allait pas être accepté de cœur joie par les Mauritaniens. Même si la sagesse d’Ould Ghazouani, descendant d‘une famille spirituelle vénérée de Mauritanie, a en définitive opté pour se présenter à la cérémonie, tout pouvait pourtant justifier un retour immédiat dans son pays, en signe de mécontentement. Bref, si l’histoire est passée comme si de rien n’était, cet incident diplomatique entre les deux pays va coûter très cher au Sénégal. Sur plusieurs plans.

Bernés par leur empressement à se débarrasser au plus vite et à tout prix de Macky Sall, les Sénégalais avaient certes déjà commis l’irréparable : celui de confier leur pays à un Président et un Premier ministre véritables amateurs politiques portés tous les deux au pouvoir par la rue, au prix de la vie de jeunes sacrifiés par Sonko dans son propre intérêt. Plus on avance dans le temps, plus on se rend compte que le couple Diomaye-Sonko qui ne comprend rien à rien joue avec le feu, en s’attardant sur l’esprit de vengeance du second obnubilé par des règlements de comptes. 

Ce qui se passe au Sénégal ne regarde évidemment pas les Mauritaniens. Mais, en ce qui concerne la conduite de sa diplomatie, telle qu’elle nous apparaît maintenant, nous ne pouvons que dire « ina lillahi oua ina  Ileyhi raji’oune ». Parce que nous autres Mauritaniens, même si nous ne sommes,  aux yeux de certains sénégalais,  que des bédouins et rien que des bédouins,  nous pouvons quand même lire, dans ce qui est arrivé à Dakar le 1er  Décembre 2024, que le Sénégal, un pays dont pourtant la diplomatie, cousue au fil du temps par de grands diplomates comme Doudou Thiam, Aliou Badara M’Bengue, Assane Seck, Moustapha Niass, Djibo Leyti Ka, Cheikh Tidjiane Gadio, Madické Niang ou Aïssata Tall Sall, était  la plus murie, la plus expérimentée et la plus sage du Continent, est en train de battre de l’aile. Malheureusement forcés à se traîner dans les commérages des marchés de Tilène, Colobane ou Sandaga, le Sénégal, sa diplomatie, ses relations de bon voisinage sont-ils en perdition depuis l’arrivée au pouvoir de Diomaye et de Sonko ?  Beaucoup de sénégalais le pensent sérieusement aujourd’hui.

Dans les débats d’intellectuels dans la presse indépendante de notre cher voisin, nombre de journalistes, cadres et politiciens de l’opposition – et même de la majorité au pouvoir ! – ne cachent plus leur inquiétude quant à l’avenir de ce pays dont la démocratie, réputée des plus avancées en Afrique, est  maintenant polluée par les caprices personnels d’un Premier ministre, qui ne s’illustre, lui, ni par son comportement, ni par sa clairvoyance, ni par ses compétences.

 

 

Le maudit gaz, un conflit d‘intérêts personnels entre dirigeants ?

 

Dans un article intitulé : « Lancement projet gazier (GTA) : « pourquoi Diomaye a-t-il refusé de partager la scène avec Ghazouani et dit non à l’inauguration officielle du projet ? », « Points Chauds », le célèbre journal en ligne référencié par Google, a accompli un survol de ce qui semble être la pomme de discorde entre Nouakchott et Dakar. Largement relayées par la presse des deux pays, ces tensions semblent s’être accentuées ces derniers jours, révélant de graves fissures dans leur coopération bilatérale. Selon des sources bien informées, elles pourraient être liées à des désaccords persistants sur la gestion des ressources gazières, notamment la répartition des revenus et la transparence des contrats signés.

Les divergences portent à la fois sur la forme et les modalités de coopération en matière de lutte contre la corruption relative au GTA, avec des visions contrastées quant à l’avenir de la coopération énergétique entre le Sénégal et la Mauritanie. Ces révélations jettent une lumière crue sur les coulisses d’un partenariat qui, malgré son potentiel économique, semble fragilisé par des fortes divergences. Les constats dressés par le Journal « Points chauds » ne sont, de fait, que « le visible » d’un problème beaucoup plus profond. À regarder de plus près ce qui préoccupe le pouvoir de Dakar, on peut se rendre compte que les dessous de cartes de cette affaire sont peut-être plutôt les retombées financières des accords de partenariats signés avec les entreprises et multinationales partenaires du GTA. Pour beaucoup de mauritaniens et de sénégalais, il est évident que les deux cousins, Macky Sall et Boy Nar ould Abdel Aziz, (ce « sénégalais » de Louga, la capitale du plaisir et de la danse), ont abordé au moins une fois, au cours de tel ou tel de leurs nombreux entretiens, la question de ce qu’ils pourraient tirer tous deux des accords conclus sous leurs mandats respectifs.

Je ne connais pas personnellement Macky Sall. Mais il est difficile pour moi de croire qu’il ne se soit pas « sucré », voire « beaucoup sucré », des négociations qui ont abouti à la signature des accords entre la Mauritanie, le Sénégal et leurs partenaires. Ce qui est certain c‘est que, tout au long de la période où il se battait dans la rue contre Macky Sall, Ousmane Sonko qui cohabitait avec une « misère financière épouvantable » ne cessa jamais de crier au scandale de détournements des deniers publics, faisant toujours allusion à des négociations, qui étaient, selon lui, plus avantageuses pour le président Macky Sall que pour les citoyens sénégalais. Accusation à peine voilée de pots-de-vin qui auraient été versés en dessous-de-table au président sortant qui se serait ingénié à tirer le plus possible de profits avant de faire ses valises. Peut-être vrai, peut-être faux…

Ce qui est par contre certain, c’est qu’Ould Abdel Aziz, l’ex-président mauritanien actuellement jugé pour corruption, ne pouvait laisser passer l’opportunité de tirer le maximum d’avantages en cette affaire qu’il avait confiée à Abdel Vetah, ministre de l’Énergie sous son mandat. Certains pensent qu’Ould Abdel Aziz et son cousin Macky Sall, sachant qu’ils allaient tous les deux quitter le pouvoir avant la sortie du premier mètre cube de gaz de la nappe à cheval entre les frontières des deux pays, avaient ficelé les contours juridiques de ce projet pour sécuriser leurs arrières à tous les deux. (À suivre).

 

Mohamed ould Chighali

Journaliste indépendant

Groupe de Presse Francophone de Mauritanie

خميس, 23/01/2025 - 23:20