Dans ce récit autobiographique, Paul Robin nous entraîne au cœur de son enfance en Mauritanie dans les années 1940-1950. À travers des souvenirs empreints de poésie, il dépeint un univers désertique fascinant, où la vie s’organise autour des éléments naturels : les dunes, les oueds, et surtout l’oglat, cette source d’eau précieuse où humains et animaux viennent étancher leur soif. Cet équilibre fragile entre la survie et l’harmonie imprègne profondément le récit de Robin, qui explore les liens intimes entre l’homme et son environnement.
L’auteur revient sur son quotidien dans ce cadre singulier, marqué par des rencontres marquantes et un apprentissage culturel riche. Parmi les figures mémorables qu’il évoque, Cheikh Ould Moknass, notable respecté de Port-Étienne (aujourd’hui Nouadhibou), incarne la dignité et la simplicité. Vivant dans une case modeste, loin de toute ostentation, Ould Moknass impressionnait par sa noblesse d’âme et son indépendance d’esprit.
Robin partage une anecdote saisissante qui illustre la force de caractère de ce chef local : lors d’une visite de François Mitterrand, alors jeune ministre en escale à Port-Étienne, Ould Moknass salua le dignitaire français avec une franchise déconcertante. Face à Mitterrand, il déclara d’un ton direct : « Je vois que tu es jeune. Tu as une bonne place. Fais-en sorte de la garder. » Cette remarque, empreinte de sagesse brute, témoigne de l’intégrité et de l’assurance de Cheikh Ould Moknass, un homme admiré pour son humilité et sa droiture.
Des figures locales emblématiques
Parmi les autres personnalités citées, Ahmed Ould Lebèrre occupe une place particulière. Garde cercle d’exception, il était issu des milieux nomades, un statut convoité par les jeunes hommes des familles guerrières de l’époque. Ce rôle conférait un prestige unique, accentué par l’uniforme beydane qu’arborait Ould Lebèrre avec fierté : un boubou sanglé autour de la taille par un ceinturon, porté pieds nus. Lors des grandes occasions, il se distinguait par son mousqueton, symbole de sa fonction et de son aura.
Paul Robin, dont la famille connaissait bien Ahmed Ould Lebèrre, décrit ce dernier avec admiration. En plus de sa rigueur professionnelle, il manifestait une amitié chaleureuse, presque fraternelle, envers les enfants, qu’il traitait en jeunes camarades malgré leur différence d’âge. Contrairement à la plupart des hommes beydane, Ahmed avait un visage rond et des yeux malicieux, traits qui reflétaient sa personnalité accessible et enjouée. Robin ne tarit pas d’éloges sur les qualités humaines de cet homme, qu’il accompagnait parfois dans ses tâches, comme la collecte des herbes pour nourrir les animaux.
Une réflexion sur l’enfance et la culture mauritanienne
En filigrane de ces portraits humains, Robin aborde aussi les réalités de la colonisation et les contrastes sociaux entre colons européens et populations locales. À travers ses yeux d’enfant, il prend peu à peu conscience des inégalités qui marquent cette époque, tout en célébrant la richesse culturelle de la Mauritanie.
L’Oglat ou les chacals viennent boire est bien plus qu’un simple récit d’enfance : c’est une ode au désert, à ses mystères, et aux liens humains qui se tissent dans cet univers âpre mais enchanteur. Par son regard sensible et lucide, Paul Robin offre une plongée inoubliable dans une époque révolue, tout en rendant hommage à une terre et à ses habitants qui l’ont profondément marqué.
Ahmed Mahmoud Ahmedou dit Gemal