Vous êtes un ancien officier supérieur, diplômé de l’enseignement supérieur et de surcroit, doctorant en sciences politiques, quelle appréciation vous feriez du dernier mouvement dans l’Armée opéré par le président Ghazouani ?
Brahim Bakar Sneiba: La meilleure appréciation serait celle que le Président ferait lui-même sachant les paramètres qui l’ont guidé dans le choix des hommes et leur affectation à l’endroit où il les sait probablement efficaces. Je les connais bien, pour avoir été le condisciple de l’un d’entre eux en 3éme du collège ; le condisciple d’un autre en seconde au lycée ; de la même promotion du CPO de quatre autres ; et pour avoir corrigé les copies du Brevet de capitaine de l’un d’entre eux. Les hommes qu’il a choisis seront tous à la hauteur de la tâche, à des degrés divers. Mais pour l’avenir, je conseillerais au président Ghazouani de repenser les critères de nominations des officiers, particulièrement les généraux. D’autant plus qu’il y a actuellement une pléthore, j’allais dire, une véritable inflation, dans ce grade, qu’on ne doit pas banaliser. Actuellement, ils sont plus d’une cinquantaine pour une armée dont le format n’en demanderait que moins de la moitié.
S’il n’ ya pas de poste vacant pour un vieux colonel même compétent, il ne faut pas le retenir et le nommer, même s’il est d’une certaine tribu ou d’une certaine ethnie ; encore que l’on déplore l’équité en la matière ; car sait-on, d’aucuns disent qu’il n’y a pas assez de généraux parmi les Noirs. Il faudrait dans l’avenir nommer les généraux sur la base des compétences et non pour le plaisir de personnes physiques ou d’entités traditionnelles. En fait de défense, il faut toujours imaginer les pires des situations. Demain, faisant face à une crise majeure nécessitant la substance grise et les qualités de chef, l’appartenance, l’origine et la politique nous piégeront. L’existence de 10 généraux tous noirs ou tous blancs au sein d’un état- major ou dans un bunker nous fera plus de bien et de succès, s’ils ont été triés sur le volet. Dans les conquêtes musulmanes, ce n’est pas la tribu de Khaled Ibn Al Walid qui fit ses succès, mais son art consommé de mener la guerre et de défaire l’ennemi. Non plus, devant Narbonne, Napoléon ne faisait rien avec les origines des généraux. A moins que ça ne change, la même pathologie existe dans l’administration : pour n’importe quelle raison, on désigne le novice à la place du vieux expérimenté ; le secrétaire à la place du Professeur ; le monolingue à la place du polyglotte. Encore une fois, ce n’est pas la tribu ou l’ethnie qui sera dans le bureau de l’Administration pour la résolution des problèmes de l’Etat et du citoyen. Un tel comportement dans la gestion des ressources humaines est pire que la prévarication et le détournement des biens publics, étant donné le manque à gagner qu’il cause.
Vous dites que vous connaissez tout le monde, qu’est ce vous diriez de chacun d’eux ?
Excusez moi, je n’ai pas le courage nécessaire pour les charcuter. Mais toute règle ayant son exception, s’il y a un homme propre et honnête, ayant un grand cœur, loyal et compétent, je dirai, sans risque de me tromper que c’est bien le Général de division Mohamed Cheikh Ould Mohamed Lemine dit ‘’El Bourrour’’. Et ses deux ans passés à l’EMGA furent, somme toute, de bons et loyaux services. Tiens-moi le pour dit.
Chercheur en sociologie politique, quel effet ce mouvement peut-il avoir sur les autres sphères de l’Etat ?
Un Etat du type westphalien a quelque chose du corps humain, qui fait de la fièvre à chaque fois que l’un de ses membres est atteint.
Ce mouvement, d’autant plus qu’il rassérène le Président, doit normalement occasionner un remaniement ministériel, si les dosages ethniques ou tribaux sont toujours à la mode puisque la sphère miliaire et la sphère civile se comportent comme deux vases communicants, dans un pays où la grande muette et la société civile sont quasiment confondus.
Propos recueillis par AOC