Une habitude infamante bien de chez nous, certes acquise depuis quelques quatre décennies, voudrait que tout chef d’Etat mauritanien nouvellement élu récompense ses soutiens politiques directs, en leur offrant des portefeuilles ministériels et/ou postes juteux, au mépris de la sacrosainte règle de « l’homme qu’il faut, à la place qu’il faut ». Des privilèges non objectifs et inappropriés, accordés indûment à leurs bénéficiaires, pour des raisons purement politiques et dont ils finissent par abuser, sans rendre compte et sans égard à l’intérêt général, voire même à celui des citoyens qu’ils sont censés représenter. La sacrosainte règle : « l’Etat au service du citoyen » est ainsi faussée, pour ne pas dire bafouée, via des sentiers sinueux détournant la démocratie et l’Etat de droit de leur vocation première.
Le tollé général soulevé par la composition du nouveau gouvernement d’Ismaïl ould Bedde ould Cheikh Sidiya, dans les rangs d’une certaine classe politique traditionaliste et monopolistique, constamment allergique aux changements irréversibles de l’Histoire et des générations, procède, en toute sincérité, de cette mentalité anachronique, fortement ancrée dans notre inconscient collectif et savamment entretenue par ceux qui en tirent profit. Longtemps décrié pour son iniquité et tous les malheurs qu’il a causés au peuple mauritanien, ce clientélisme ne devra plus faire recette, comme l’illustre, à tous les points de vue, l’approche constructive et réformiste érigée en système, lentement mais sûrement, par les nouveaux messies du pays, contraints de s’armer de patience et de clairvoyance, pour séparer, durablement et efficacement, le bon grain de l’ivraie.
Tact et lucidité
Le nouveau président de la République, Mohamed ould Cheikh Ghazwani, a fait son choix. Cornélien. Sans être dans le secret des dieux, j’ose penser que l’homme a pris son temps, pour choisir ceux qui mettront en œuvre son programme électoral, et le nombre de techniciens de haut niveau et de longue expérience, bardés de diplômés et apolitiques qui forment l’ossature de l’attelage gouvernemental, tend à le prouver. L’homme procède par tact et lucidité, affichant la disposition de nommer l’homme qu’il faut à la place qu’il faut, sans discréditer les bons chevaux et les cavaliers récupérables, qui étaient, pour une raison ou une autre, dans l’impossibilité de donner le meilleur d’eux-mêmes.
Un président de la République qui fait du « travail » et du « rendement » ses armes de guerre et leitmotiv, pour mener le pays de l’avant, loin de toute chasse aux sorcières, règlements de comptes, politisation, clientélisme, népotisme, exclusion et favoritisme : l’approche suscite un sentiment de satisfaction partout dans le pays. Chez le citoyen lambda, le civil, le militaire, le fonctionnaire, l’agent, le médecin, le transporteur, etc. C’est d’autant plus vrai que chacun est désormais certain qu’il bénéficiera de ses droits entiers et qu’il n’en sera plus privé, prêt à consentir, aux nouveaux dirigeants, le temps nécessaire pour qu’advienne une société juste et égalitaire.
Seuls les politiques habitués aux prébendes indues sont mécontents et élèvent la voix, pour plier la Mauritanie à leurs caprices qui ont mis le pays exsangue, pendant de longues années. On les entend menacer de déclencher une insurrection au Parlement, à l’UPR et à la majorité, pour contrer et faire échouer les chantiers et les réformes inspirés par l’intérêt général que le Président compte concrétiser sur le terrain de la réalité, contre vents et marées. Leur volonté antipatriotique et déplorable n’a plus droit de cité dans les démocraties africaines émergentes où les pouvoirs réformistes et engagés bénéficient du précieux et massif soutien des peuples.
Vent de réforme
La difficile décision du Président d’épargner son pouvoir des politiques et de porter son choix sur les techniciens me parait résulter d’une large concertation avec un panel de personnalités où se côtoient sages et experts-chasseurs de tête, animés, comme lui, d’un sentiment patriotique, pour débusquer les cadres et hommes de terrain où qu’ils se trouvent. Avec comme critères : l’apolitisme, la technicité et la justice sociale. La panacée est ainsi trouvée. Ses effets sont perceptibles. La tension postélectorale a cédé la place à l’apaisement de la scène politique et un brin d’espoir en un meilleur avenir du pays est en train de naître au sein du peuple. Même les opposants les plus irréductibles et tenaces à faire fructifier leurs exploits électoraux ont préféré sacrifier leur lutte, pour laisser le vent de la réforme soufflant sur le pays se renforcer et s’installer, affichant un grand optimisme, à la hauteur de l’engagement sincère et déterminé des nouvelles autorités.
Face à ce consensus grandissant, obtenu en un court laps de temps, à faire taire toutes les voix de la contestation, édifiées sur le devenir prometteur du pays, les manœuvres politiciennes et autres stratagèmes auxquels les uns et les autres seraient tentés de recourir pour « saborder le navire », en essayant de diviser l’opinion, n’y changeront rien. Petit rappel à ceux qui auraient la mémoire courte : Mohamed ould Cheikh El Ghazwani, avait, d’entrée de jeu, lors de sa déclaration de candidature, tracé les contours du pouvoir qu’il entendait exercer, une fois élu président de la République. Les premières semaines de sa gouvernance arrivée aujourd’hui à plus d’un mois ont démontré que l’homme sait tenir parole et qu’avec lui, c’en est fini de l’ère « des promesses autant en emporte le vent ».
Si l’on pouvait résumer cette manière de gouverner en quelques mots, cela reviendrait à dire que « l’homme est animé par un désir ardent, une volonté ferme et une fierté sans limite de servir son peuple, loin de toute action visant à asseoir et à pérenniser son pouvoir ou intention, en filigrane, de se forger un empire à lui et à ses proches. Dès lors, il n’y a plus de place à la diversion espérant semer la confusion dans les esprits, en propageant rumeurs, désinformations et propagandes. Ainsi, demander, au président Ghazwani, des gestes forts pour marquer la rupture avec l’ancien président Mohamed ould Abdel Aziz – plutôt que d’imprimer son style et ses méthodes propres – relève d’une intention malveillante.
Signaux rassurants
Une telle revendication-alibi dénote une immaturité politique et témoigne d’un manque total de réalisme. Est-il raisonnable de penser, un seul instant, qu’une si longue amitié puisse être rompue brutalement, fusse-t-elle entre deux personnes ordinaires, a fortiori entre deux compagnons d’armes qui ont, de surcroît, longtemps présidé aux destinées de ce pays, à des degrés divers certes, imprimant, chacun selon son autorité, ses propres marques de gouvernance ? Ne dit-on pas d’ailleurs, à ce propos, « qu’il est souvent préférable de laisser le lien d’amitié se défaire, plutôt que d’aller au clash ? »
L’heure est maintenant venue de regarder vers l’avenir pour « refonder la Nation, avec tous les Mauritaniens, pour tous les Mauritaniens », comme nous y a invité le Président, dans sa mémorable déclaration de candidature du 2 Mars 2019 qui avait sonné comme une renaissance de tout un peuple, réconcilié avec lui-même et porté par un immense espoir, le temps d’un discours. « Je rêve ou quoi ?», s’exclamait un ami présent à la cérémonie. Pour qui connait l’homme, on ne peut pourtant douter de sa sincérité ni, surtout, de sa détermination.
Et il ne manque pas d’atouts pour réaliser son projet sociétal. Par son éducation spirituelle, sa réputation morale, son expérience professionnelle (général d’armée, diplômé en droit à l’université de Meknès et ancien étudiant en journalisme à l’ENA de Nouakchott), il jouit d’une longueur d’avance sur beaucoup de ses prédécesseurs. Ce parcours professionnel exemplaire prédispose le premier magistrat de la Mauritanie à assumer pleinement les plus hautes responsabilités de l’Etat, dans toutes leurs dimensions sécuritaires et de développement durable.
Il ne pourra cependant se passer du soutien et de la mobilisation des forces vives de la Nation pour mener les réformes nécessaires et vaincre les réticences, voire les résistances, que ne manqueront pas d’opposer les tenants du statu quo. Autant les attentes des citoyens sont pressantes et légitimes, autant leur satisfaction requiert le succès de ces réformes dont la mise en œuvre devrait se faire sur la base d’une hiérarchisation des priorités. Une approche que le nouveau gouvernement, à peine installé, semble déjà appliquer, en donnant des signaux rassurants pour l’opinion nationale, quant à sa volonté de se mettre à l’ouvrage et de servir les populations comme l’y a engagé le contrat d’obligation de résultats le liant au locataire du palais présidentiel.
Il faut méditer, entre autres éléments déjà perceptibles, la prompte réactivité des autorités, face aux sinistres consécutifs à l’hivernage, et le haut degré de communication officielle du gouvernement, dont le bulletin officiel quotidien sur les intempéries saisonnières, pour se rendre au fait de ce doux vent de réforme qui souffle sur le pays et qui appelle tous les Mauritaniens, hommes politiques, d’affaires et citoyens, à consentir le temps nécessaire – une année au moins – pour tirer les leçons qui s’imposent et établir un premier bilan des nouvelles autorités et en instruire, pourquoi pas, le procès. Le message est clair. La gestion des affaires publiques est une chose sérieuse qui ne saurait s’accommoder d’états d’âme. Et, en aucun cas, être confiée à des thuriféraires.
Mohamed Vall Ahmed Tolba
Journaliste