Malgré un système de santé précaire, la gestion de la crise du Covid 19 parles autorités mauritaniennes a été largement saluée (voir, par exemple, Jean Lévy, ancien conseiller diplomatique adjoint de Mitterrand, ‘’Afrique. Tribune. Fr.‘’ du 7 avril 2020). L’attitude responsable de l’opposition, ainsi que la discipline de nos compatriotes sont également à souligner. Ainsi, alors que de nombreux pays à travers le monde peinent à faire respecter les consignes de sécurité sanitaire, la société mauritanienne afait preuve, globalement, de civisme, contredisant, soit dit en passant, quelques idées reçues.
La pandémie du coronavirus a provoqué une crise mondiale multiforme, sanitaire bien sûr, mais également économique, sociale, politique et géopolitique. « Le monde ne sera plus jamais comme avant (……..) aujourd’hui nous sommes à un tournant. Les dirigeants ont un défi à relever : gérer la crise tout en bâtissant l’avenir » (Henry Kissinger, ‘’l’Opinion’’ du 7 avril 2020).Nombre de paradigmes qui régissaient notre monde, il y a quelques mois à peine, sont désormais obsolètes (D. Strauss-Kahn, ‘’l’être, l’avoir et le pouvoir dans la crise ‘’ 7/4/2020).
Sommes-nous entrés dans un de ces moments dont parle le philosophe Frédéric Lenoir,« ou l’Homme a vu muter ses modes de vie, sa manière de penser son rapport au monde, et ce, à l’échelle de la planète » (‘’la guérison du monde’’) ?
L’Etat est appelé à la rescousse par tous, individus comme entreprises, et jusqu’aux associations sportives. Ses institutions, ses agents, sont partout en première ligne pour lutter contre la pandémie, assurer la sécurité, préserver les liens sociaux, sauver l’économie.
New Deal
De nombreuses analyses comparent la situation actuelle à celle qui prévalait lors de la crise économique de 1929. La réponse à cette crise, qui a marqué une rupture dans la gestion du capitalisme mondial, a été le fameux « new deal » de Roosevelt. C'est-à-dire l’avènement d’un Etat stratège, avec une politique budgétaire rigoureuse et un système fiscal plus juste et plus transparent. Au début des années 1980, l’école de Chicago et la victoire du tandem Thatcher/Reagan ont décrété la fin de cet Etat stratège.
Dans la foulée, les institutions de Bretton Woods ont imposé, de façon mécanique, ce que l’on a appelé le« Consensus de Washington »qui déstabilisera profondément les pays d’Afrique, y compris le nôtre évidemment. Certes, il fallait répondre à la mauvaise gestion, voire, dans notre cas, aux conséquences de la guerre du Sahara. Mais aucune discussion n’était alors possible. Seules comptaient des politiques d’ajustement structurel, destinées à l’origine à l’Amérique latine, appliquées sans considération des réalités locales. L’idéologie l’emportait sur le réel. L’Etat devait se désengager, y compris de secteurs essentiels à la préservation d’un minimum de cohésion sociale. Les enjeux sociaux, pourtant constitutifs d’une économielibérale pérenne, ont été relégués au second, voire au troisième plan. Rappelons qu’une des du « new deal » a été le « national labor relations board », garantissant aux salariés le droit de s’organiser en syndicats ; c’est-à-dire garantissant l’emploi et le développement économique.
Résister
Depuis longtemps déjà, Joseph Stieglitz, prix Nobel d’économie, ancien vice-président de la banque mondiale, ancien conseiller économique de Bill Clinton, explique que la politique de privatisation, telle qu’elle a été menée, abridé le développement économique et social des pays du sud.
A l’heure du « quoi qu’il en coûte », énoncé désormais de Washington à Paris, en passant par Londres et Berlin, sans parler de l’Asie, le FMI a osé demander récemment à la Tunisie de réduire la masse salariale de sa fonction publique, en contrepartie d’un prêt d’une quarantaine de millions de dollars.
Nous pouvons résister à ces comportements pavloviens. Bien évidemment, il ne s’agit pas d’être aventuriste. Mais le contexte dramatique actuel, qui est un moment de questionnement et de remise en cause, nous offre une opportunité que nous devons saisir. A condition, bien sûr, d’être vertueux dans notre gestion. « Quand tout s’écroule, cela donne l’occasion de développer de nouvelles idées, de redistribuer les rôles et de reconstruire », constate justement Muhammad Yunus (‘’pour une économie plus humaine’’). En effet, si des pays disposant de secteurs privés puissants, encadrés par des règles de gestion cohérentes, redonnent à l’Etat une position stratégique, pourquoi en irait-il différemment dans nos pays ?
En Mauritanie, l’Etat stratège, qui a prévalu (et fait ses preuves) jusqu’en 1975, doit pouvoir reprendre de nouveau sa place. Et ce, non contre le secteur privé, mais en collaboration avec lui. Le rôle joué, en son temps, par la SNIM, n’a pas empêché le développement du secteur privé national. Bien au contraire. (Pierre Bonte, ‘’la montagne de fer’’).
Malgré le combat déterminé engagé parle gouvernement contre le coronavirus, la crise sanitaire actuelle a mis en exergue le dénuement dans lequel se trouve une frange importante de nos compatriotes. Les politiques d’ajustement structurel imposées à notre pays depuis plus de quarante ans y sont pour beaucoup.
Il ne s’agit nullement de suggérer un rejet des institutions internationales. Ce serait irresponsable, dans un monde globalisé et qui va le demeurer. Et, de toutes les façons cela nous conduirait dans une impasse. Il s’agit plutôt de retrouver « l’approche mixte » qui a longtemps fait l’originalité de la Mauritanie : création de l’ouguiya et nationalisation de la Miferma, dans les années 1970 et en même temps, création d’un secteur bancaire privé national dans les années 1980.
Bien sûr certains diront que la Mauritanie « n’a pas les moyens », « ne peut pas se permettre », « que tout ça c’est de la théorie », etc. Ces excuses de tous les renoncements, nous les connaissons. Ils ne sont ni pertinents, ni acceptables, surtout à l’heure des bouleversements en cours.
Le plan
C’est l’occasion de nous interroger sur le modèle de développement le mieux à même de répondre à nos besoins, à nos priorités. Retrouvons le chemin du plan. Débattons de nos priorités, nous verrons ensuite de quels moyens financiers nous avons besoin pour les réaliser. Ne renversons pas la démarche. Ce ne sont pas les sous qui déterminent la stratégie. C’est la stratégie qui permet de mobiliser les sous. Et, à y regarder de près, une partie de la stratégie proposée ne demanderait pas une mobilisation financière significative.
L’actuel ministre de la santé démontre, dans ses actions quotidiennes, que la volonté et des idées claires peuvent donner des résultats, malgré la modestie des moyens. Nul doute que demain, passée la crise sanitaire en cours, il aura besoin d’une « nouvelle politique de la santé » (réhabilitation des hôpitaux publics ; encadrement de l’importation de médicaments ; gestion des pharmacies par des pharmaciens uniquement ; mise en place d’un corps de ‘’médecins aux pieds nus’’ pour la prévention et l’hygiène ; etc.).
La crise actuelle a profondément perturbé les chaines mondiales d’approvisionnement. N’est-ce pas l’occasion de repenser notre stratégie de sécurité alimentaire ? Le CSA et la Sonader pourraient, conjointement, réfléchir, en coordination avec le privé, au développement d’une industrie agricole nationale : périmètres agricoles ; entrepôts de stockage ; sociétés d’importation de fruits et légumes.
La SNIM, la SMH ; la SOMELEC ; la SNDE ; la CNSS ; la CNAM, participent fortement à la crédibilité de l’Etat stratège. Elles doivent être préservées et consolidées en permanence. Cela passe par une réelle autonomie de gestion en même temps qu’un contrôle de gestion plus rigoureux.
L’Etat dispose d’un « bras armé financier », à savoir la Caisse de Dépôt et de Gestion. Sa mission est essentielle. Est-il besoin de préciser qu’elle est complémentaire et nullement concurrente du secteur financier privé ?
Que nous disent ces quelques exemples ? Tout d’abord que toutes ces propositions, non seulement ne coûtent pas cher, mais peuvent permettre de faire des économies. Ensuite, l’Etat stratège, en Mauritanie, n’a pas besoin, du moins pour ce qui est de ses missions de base, de financements lourds ou de nouvelles entités. Il faut et il suffit de réhabiliter/consolider les entités existantes. Cela passe par le respect de leur autonomie de gestion, quitte à mettre en place un contrat-programme, avec obligation de résultats, signé entre l’institution concernée et son ministère de tutelle. Chaque institution ayant l’obligation, comme cela se fait partout, de publier des états financiers trimestriels, et un bilan annuel, dûment approuvés par ses instances (conseil d’administration et assemblée générale). Nous devons en finir avec la « gadgétisation » de nos entreprises, voire de certaines de nos institutions. Si l’Etat met en place une entité, on peut penser que c’est parce qu’elle répond à un besoin. Elle doit donc remplir sa mission ou être démantelée. Il appartient à la cour des comptes d’en surveiller le fonctionnement. Saluons au passage le rôle d’investigation que joue depuis quelques temps la presse nationale à ce propos.
L’Etat stratège c’est aussi, bien évidemment, des politiques innovantes d’aménagement du territoire, de formation, d’emploi, de protection de l’environnement.
Le Président a ouvert un nouveau chapitre politique. C’est donc l’occasion d’ouvrir également un nouveau chapitre économique et social, au service des plus démunis. De nombreux jeunes cadres, brillants, formés dans les meilleures universités internationales, ne demandent qu’à apporter leur contribution. Donnons-leur, donnons à notre pays, cette nouvelle opportunité. Renouons avec l’esprit pionnier de nos parents et grands-parents.