J'ai connu le sous-lieutenant Mohamed Ould Abdel Aziz en 1980 au Secteur Autonome de Kaédi, et un peu plus tard en 1984, le lieutenant Mohamed Ould Cheikh Ghazwani au sous-groupement 41 à Fdérick, et si le contact n'a jamais été rompu entre nous, c’est qu'Allah ne fait rien par contingence. Au contraire Allah a tout créé par nécessité, car l'ordre de la nature est constant quand le monde, a priori chaotique, est rationnellement régi par le principe de causalité, un déterminisme liant ainsi tous les phénomènes par un caractère prédictif. L'éminent physicien Albert Einstein, géniteur de la théorie de la relativité (espace-temps), n'a-t-il pas dit : "Ce qui est incompréhensible est que ce monde soit compréhensible ? " Ainsi c'est par un déterminisme psychologique ordonné par une puissance qui nous transcende que le chef du 1er Bureau(Etat-Major National) d'alors a muté le sous-lieutenant Ely Ould Krombelé à Kaédi afin de rencontrer le sous-lieutenant Aziz, pour que 40 années plus tard (alhamdoulillah) je puisse témoigner. Quarante ans pour nous ici sur la planète-terre, c'est beaucoup mais dans l'au-delà cela équivaudrait peut-être à une seconde (théorie de la relativité). Si à l'époque j'avais été muté à Néma ou Nouadhibou, peut-être que je n'aurais jamais connu Mohamed Ould Abdel Aziz et que ces lignes que je suis en train de produire n'auraient pas existé.
Toujours est-il qu'en décembre 1984, Aziz est désigné aide de camp de Maawiya, juste après le coup d'Etat contre Ould Haidalla. Certains disent que c'est par l'entregent du cousin germain, le capitaine Ely Ould Mohamed Vall, alors commandant de la 6ème Région Militaire; d'autres prétendent que c'est le beau-père MelainineOuldNour, homme bien respecté dans le milieu tribal des Smacide, avec l'aide du richissime Abdou Maham. Moi je dirais plutôt que c'est la conjonction des deux interventions. Qu'importe? C'est à partir de cet instant que les beaux-parents d'Aziz vont se croire tenus de jouer désormais un rôle prépondérant, de par leur proximité consanguine avec le président Maawiya Ould Taya. Attention, Mohamed Ould Abdel Aziz n'est pas le genre d'homme qui met au devant les relations matrimoniales!!! Bien au contraire...., d'ailleurs il était en désaccord total avec toute une kyrielle d'officiers Smacide qui ont toujours porté à son égard un clin d'œil soupçonneux. Et croyez-moi il a pu leur tenir tête, aidé il est vrai par deux de ses fidèles compagnons d'armes, surtout à partir du début des années 2000. Rien à craindre de ce côté, Aziz est un homme coriace, même si l'Histoire donnera raison un peu plus tard aux cousins de Maawiya (suite au coup d'Etat du 3 Août 2005). C'est ce climat constant de mésentente, doublé de méfiance réciproque qui a été à l'origine de son départ du Basep pour le Bataillon du Commandement et des Services à l’état-major national en 1991, avant l'élection présidentielle de 1992.
Colombes contre faucons
Au BCS, il évoluait également en milieu hostile, le chef d'Etat-Major National le détestant et son caractère d"insoumis"le desservait. Franchement Mohamed Ould Abdel Aziz n'a qu'un seul hobby après l'argent , c'est vivre dans l'adversité. Plus l'adversaire est important, mieux il se porte. S'il n'a pas d'adversaire de taille, eh bien il le créera lui-même par ses propres agissements. Aziz contre le pouvoir exécutif, c'est du déjà vu : du temps de Maawiya, de Ely Ould Mohamed Vall, de Sidi Ould Cheikh Abdallahi et maintenant de Mohamed Ould Cheikh Ghazwani. C'est plus fort que lui, ou bien c'est lui le chef ou bien il s'oppose au chef. Personne ne doit être au-dessus d’Ould Abdel Aziz. Il est conçu comme ça et on n'y peut rien.
Toujours est-il que pour sortir de cet "enfer" du BCS, un stage pour le cours d'Etat-Major au Maroc était le bienvenu (1993-94). Ainsi à son retour du Maroc de 1994 à l'an 2000, il rongeait son frein, muté à la 6ème Région militaire comme adjoint aux opérations. A l'époque, mieux vaut être un vendeur de poulets que de tenir ce poste. Son retour au Basep en l'an 2000 était un appel du destin et c'est suite à la tentative avortée du 8 Juin 2003 des cavaliers du changement, que l'ambition de jouer un rôle politique de premier plan, germa dans l'esprit d'Ould Abdel Aziz. Vraiment il n'était pas le seul à caresser cette aventure. Le nouvel homme fort de l'Etat-Major National, après la mort de Mohamed Lemine Ould Ndiayane et l'éviction de son successeur, le colonel El Hadi Ould Sedigh, je veux nommer le colonel El Arbi OuldJedeïn, amadoué aussi par un staff d'officiers, pensait également que Maawiya était fini et que le fruit était "mûr pour la cueillette’’. Mais le duo Aziz et Ghazwani, sans oublier l'acquisition du colonel Cheikh Ould Baya, que j'appelle le clan des colombes, a dégainé avant le clan des faucons. Ainsi Django a tiré le premier. Ce jour du 3 Août 2005, "les colts ne chantèrent pas la mort et ce ne fût pas le temps du massacre", heureusement pour nous, contrairement au 8 juin 2003.
Auteur de deux coups d'Etat, ayant exercé deux mandats présidentiels à sa guise, voilà Ould Abdel Aziz encore aujourd'hui au devant de la scène. Cette fois pas en position de force, encore moins en héros mais plutôt en perturbateur patenté. Il faut remettre les faits dans leur contexte avec le maximum d'objectivité historique, ce qui est un exercice délicat. Pourquoi Aziz agit-il de la sorte? Continuons pour l'instant d'éplucher son parcours en essayant de déceler les causes de son "naufrage" après son départ de la Présidence, l'été dernier.
3/ La "balle amie" du mi-mandat en 2012 ou l'influence néfaste des proches
Les images qui nous parvenaient du président Aziz après l'attaque de 2012 nous montraient un homme exsangue au regard hagard. La convalescence qui dura des mois, a été sans doute l'occasion pour sa petite famille d'édifier un mur de protection autour de lui. Toujours est-il qu'Aziz est devenu vulnérable, poreux à certains souffles qu'il rebutait jusque-là, pour des raisons que nous ignorons encore. Au même moment où on lui faisait probablement croire qu'il bénéficiait d'une baraka sans commune mesure. Lui qui n'a jamais supporté les caprices de beaux-parents, commençait à tolérer ceux des beaux-fils, mais également des enfants. Ce qui sera fatal à sa notoriété et à l'exercice de la bonne gouvernance. Ainsi la vague d'assauts sur le patrimoine foncier surtout, "ces quelques arpents de terre", disait Voltaire jadis quant à l'actuel Canada, a laissé des boursouflures livides dans l'inconscient collectif des mauritaniens. Aussi la chasse aux postes juteux, bref les manœuvres frauduleuses qui dépassent l'entendement peuvent commencer. L'influence de la famille sur un homme diminué, certes culpabilisé a permis d'échafauder des projets destinés à bâtir un gigantesque empire financier. Je suis sûr que si Aziz jouissait de toutes ses facultés mentales, il n'aurait jamais accepté l'ingérence manifeste de ses proches, à ce point. Mais à force de dire à un homme "tu es le meilleur, tu es courageux, tu n'as rien à craindre; le peuple t'est acquis pour toujours" etc.., il se croirait tout permis.... Vous vous souvenez sans doute du rôle néfaste de la première dame tunisienne Leïla Ben Ali sur son mari ? Ainsi un président mal conseillé à domicile, mal conseillé au bureau, entouré d'une pléiade de courtisans qui ne le contrarient jamais, au contraire qui flattent son orgueil, se croit-il sans doute sur le bon chemin. Au moment de sa convalescence en 2012, qui lui a maintenu son pouvoir? Ghazwani. Cependant que tout le monde était acquis au changement donc à un coup d'Etat " médical", sauf Ghazwani et quelques proches d’Aziz.
A-t-on réellement apprécié à sa juste valeur le rôle olympien du chef d'Etat-Major National Mohamed Ould Ghazwani en 2012? Non...à mon sens ni Aziz ni ses proches n'ont eu de la compassion pour ce général loyaliste. L’arrogance de certains les pousse souvent à croire que la sagesse mesurée des autres est une faiblesse congénitale. Or il est dit qu'il ne faut jamais réveiller le chat qui dort.
4/La commission parlementaire : épée de Damoclès et couteau suisse
Ne dit-on pas que pour enterrer un projet, il faut lui désigner une commission? Je pense qu'il est inadmissible de faire porter le chapeau de la gabegie au seul Mohamed Ould Abdel Aziz.D'ailleurs pourquoi ne pas confier ce problème à la justice? Certes Aziz est le premier responsable de par son statut de chef de la magistrature suprême. Et s'il avait mis son génie créateur d'empire financier au service de la promotion de son pays, la Mauritanie aurait probablement été de nos jours le "Dubaï" de la sous-région. Mais voilà que nous sommes le seul pays de la zone sahélo-saharienne où l'on voit encore des ânes tirer des charrettes pour la distribution de l'eau, ou encombrant nos artères principales. Je défie quiconque de voir dans les rues de Bamako ou Dakar des ânes tirant des charrettes. Les jeunes ruraux maliens ne montent les charrettes qu'une fois en Mauritanie, même si ce sont les maliens qui sont les premiers exportateurs et constructeurs de charrettes de tous les pays du Sahel. Cette paupérisation où le ministère du transport est incapable de réguler le trafic routier; le ministère de l'hydraulique incapable à son tour de ravitailler en eau une population de moins de 4 millions d'habitants et ce, depuis l'indépendance, est une lourde responsabilité symbole de la défaillance de tous les pouvoirs successifs. Celui de Ghazwani fera-t-il exception? Je ne parle pas des secteurs non moins importants que sont l'éducation et la santé, qui elle semble sortir la tête de l'eau.
Enfin ceux qui ont rendu le détournement des deniers publics possible, qui ont collaboré avec Aziz et ses proches sont comptables autant que lui. Certes la commission parlementaire est un instrument destiné à canaliser les agissements d'Ould Abdel Aziz, elle se pose en une épée de Damoclès. Car l'homme est incontrôlable et il faut toujours le "surveiller comme le lait sur le feu’’. Cette commission n'a pas qu'un rôle dissuasif, c'est aussi un semblant de couteau suisse. En effet, son énergie stabilisatrice peut dévier pour cause de vents contraires et déstabiliser ainsi sa propre rampe de lancement. Voilà une première que de vouloir auditionner un ancien président de la République en Mauritanie sans la maîtrise pourtant de tous les leviers juridiques par les parlementaires eux-mêmes. A supposer que pour tout essai, il y a souvent des ratés. Quand Aziz président voulait la lune, on la lui décrochait; maintenant Aziz sans le Basep ne représente aucun danger, il est comme tous les anciens présidents nostalgiques du pouvoir et qui prennent du temps à vociférer avant de se calmer. Si aujourd'hui Ghazwani demandait à vouloir habiter les étoiles, ses conseillers, ses ministres et autres parlementaires s'empresseront de lui dérouler le tapis rouge en lui disant que le vaisseau spatial est prêt ... Personne ne pourra lui dire face à face que la Mauritanie n'a pas la possibilité de l'envoyer dans l'espace. Cette comédie du mensonge et de la trahison perpétuels va durer jusqu'à quand?
Et si nos braves parlementaires étaient à leur tour manipulés par des groupuscules politiques ou des feudataires qui détestent les militaires depuis 1978 ? Et si encore leur objectif était de créer la discorde entre Aziz et Ghazwani, ce qui est fait, et que désormais ils veulent marginaliser voire auditionner également le président du parlement Cheikh Ould Baya? Alors que restera-t-il du magique trio des colombes, quand Aziz et Cheikh Ould Baya auront été mis à la touche? Que Ghazwani..... Plus sérieux, je doute que l'agenda des parlementaires n'en cache un autre au dessein fangeux afin de venir à bout de la "dynastie des militaires"? Attention au retour de manivelle car l'Histoire, toujours elle, nous apprend qu'en pareils moments, le tout ou son contraire peut se produire. Il ne faut jamais prendre ses désirs fantasmagoriques pour de la réalité.
Ely Ould Krombele, France