Dans un article publié le 3 Mars 2023 par Saharamédia et repris par le quotidien numérique en ligne Senalioune, Sow Abou Demba, président de la « Campagne populaire pour l’autonomisation de la langue arabe et le développement des langues nationales » déclarait : « nous n’épargnerons aucun effort pour autonomiser la langue arabe au niveau local et international, compte-tenu de son importance religieuse et courante ». Sow Abou Demba commentait ainsi ses propos tenus au cours d’un colloque organisé sur le thème : « L’arabisation des procédures de passations des marchés publics : un devoir constitutionnel et une exigence de développement ».
L’événement marquait une avancée de plus dans les démarches entreprises tous azimuts ces derniers temps par la « Campagne populaire pour l’autonomisation de la langue arabe » visant à « réactiver » la politique de l’arabisation à outrance, une politique qui ne constitue, aux yeux des Négro-mauritaniens, qu’une preuve de plus de ce que de la cohabitation pacifique entre les communautés noires et arabo-berbères est toujours menacée par des idéologies rétroactives.
Après donc l’introduction de l’arabisation des factures d’eau et d’électricité (SONELEC et SNDE), l’immatriculation des plaques d’immatriculation des véhicules en lettres arabes, Sow Abou Demba, « le nègre de service» comme l’appellent certains de ses cousins, cherche une nouvelle percée avec l’arabisation des procédures des passations des marchés publics. Comme on le voit, le projet polémique de tout « arabiser » fait petit à petit son nid. On a donc maintenant comme la certitude que le temps donne raison à l’élite intellectuelle négro-mauritanienne qui avait lancé dès 1958 les premiers cris d’alarme et de détresse.
D’Ould Daddah à Ould Ghazwani, 65 ans d’un conflit latent
Dans son discours prononcé le 2 Mai 1958 à l’ouverture du Congrès d’Aleg, le père de la nation Moctar Ould Daddah avait dit : « Sur le plan culturel, notre principal souci sera de réaliser une synthèse harmonieuse entre notre culture traditionnelle hautement réputée et un enseignement moderne indispensable au développement politique et économique du Territoire. Dès sa formation, votre gouvernement s’est consacré au développement de l’enseignement arabe, aussi bien en pays maure que dans la région du Fleuve, et chaque établissement scolaire a été doté d’un ou plusieurs moniteurs d’arabe ».
Le premier président de la Mauritanie avait utilisé les expressions « pays maure » et « région du Fleuve », comme s’il parlait d’un pays et de son enclave. Et dans la formule « culture traditionnelle », peut-être sous-entendait-il « culture arabo-berbère ». Ces trois expressions n’étaient pas tombées dans les oreilles de sourds. De nombreux cadres de la Vallée présents à cet événement avaient l’impression d’y avoir été invités, certes, mais en persona non grata.
Pour certains activistes politiques négro-mauritaniens, le discours d’Aleg (capitale à la fois du Walo et du Diéri) qu’avait prononcé Moctar Ould Daddah, non seulement n’était pas rassembleur mais semblait donner déjà à cette époque – il y a soixante-cinq ans maintenant – un avant-goût amer de ce qui allait suivre. Le 4 Janvier 1966, soit huit ans après les « énoncés » du Congrès d’Aleg, les élèves noirs du Lycée de Nouakchott déclenchaient une grève déclarée illimitée en vue de faire supprimer la mesure rendant obligatoire la langue arabe dans l'enseignement du second degré.
Cette action d’éclat révélait un profond malaise latent depuis le Congrès d’Aleg. Pour les noirs mauritaniens, il était de toute évidence clair que rendre l'étude de la langue arabe obligatoire, c’était évidemment pour déclencher une oppression culturelle. Ces élèves du Lycée de Nouakchott étaient-ils la goupille ou étaient-ce les 19 qui formaient la grenade ? La question n’est pas là et importe d’ailleurs peu. En tout cas, la grève fut l’occasion, pour un groupe d’intellectuels négros-mauritaniens, de publier un manifeste qui ne mâchait pas les mots ni les expressions et posait sans ambiguïté des revendications.
Lesdits 19 s’étaient à l’époque engagés solidairement dans un combat pour « détruire toute tentative d'oppression culturelle »et «barrer la route à l'arabisation à outrance », se déclarant en conséquence clairement hostiles à la mesure rendant l'arabe obligatoire dans les enseignements primaire et secondaire. On peut donc dire que la grève lancée par les élèves du Lycée National en 1966 n’était qu’une « dissertation » dont le devoir était confié à des intellectuels négro-mauritaniens – et non des moindres – disant très haut, dans un environnement sécuritaire très risqué, ce que toutes les communautés de la Vallée disaient à voix basse. Ce cri des opprimés résonne encore de nos jours comme une exigence de l’heure et de l’actualité.
Le 11 Février dernier, mon confrère Chérif Kane journaliste mauritanien en exil forcé en France, écrivait dans un article : « cinquante-six ans après sa publication, le manifeste des 19 ne laisse planer aucun doute : la réforme du système éducatif envisagée par le gouvernement renforcera l’arabe dans tous les secteurs et ralentira la promotion des langues nationales (pulaar, soninké et wolof) tant que celles-ci ne seront pas officialisées au même titre que l’arabe ».
La campagne populaire pour l’autonomisation de la langue arabe réussira-t-elle à convertir les Négro-mauritaniens en arabes ?
Elle bat en tout cas son plein pour essayer d’arabiser tout ce qui peut l’être. Pour la classe intellectuelle et politique des Négro-mauritaniens et quelques soient les motifs qui poussent ces activistes opportunistes à agir ainsi, les initiateurs de ladite campagne ne jouent qu’un rôle de « barrage » pour empêcher les composantes des autres communautés de se hisser au sommet de la hiérarchie administrative d’un pays qui est aussi et à part entière leur pays. Beaucoup d’autres mauritaniens ne voient en cette même campagne qu’une autre discrimination « à outrance » qui ne sert qu’à déverser une multitude de problèmes graves, handicapant sérieusement la volonté de ceux des deux communautés (maures et noires) à vivre ensemble dans la paix et la sérénité.
Samba Thiam, ex-leader des FLAM et actuel président du FPC fit remarquer sur un plateau de télévision mauritanienne :« Pourquoi voulez-vous que moi je sois vous mais que vous ne soyez pas moi ? » Il avait bien raison de poser une telle question en réplique à l’un de nos confrères. Oui, je pense sincèrement que Samba Thiam avait amplement raison. « Les Maures peuvent rester ce qu’ils sont ou devenir ce qu’ils veulent mais ils ne doivent pas chercher à faire des Noirs ce qu’ils ne sont pas ». Ce n’est pas Samba Thiam qui le dit, c’est moi qui l’affirme. Et ce que je dis rappelle ce que Mohamed ould Dellahi, le président du PME (Parti des Verts de Mauritanie opposant au régime actuel) a lui aussi récemment déclaré dans un audio largement partagé sur les réseaux sociaux. S’adressant aux régimes qui se suivent et se ressemblent : « Vous voulez faire des négro-mauritaniens des arabes ? Ils ne sont pas arabes et ne le seront jamais ». Mohamed Dellahi a lui aussi bien raison.
Ce ne sont pas les slogans creux, les idéologies importées ou les intérêts matériels dont tirent profits certains mauritaniens égarés qui vont «arabiser » les Négro-mauritaniens. C’est une utopie. Les Négro-mauritaniens ne sont certes pas les ennemis des Arabes… mais ils ne sont pas arabes. Il est donc évident qu’ils ne vont pas abandonner leur culture et leur langue millénaires pour les troquer contre une culture et une langue arabe d’ailleurs en perdition. Les Négro-mauritaniens sont des noirs. Des noirs de Mauritanie. Ils ne sont pas des arabes et ne cherchent pas à le devenir. Mais ils doivent jouir de tous les droits que leur confèrent la Constitution de leur pays et leur nationalité mauritanienne. Dresser devant eux un « barrage d’obstacles », pour les empêcher d’accéder à leurs droits fondamentaux et leur égalité de chances est profondément injuste. Il faut le reconnaître et nous devons tous le dénoncer.
Malheureusement dans ce pays, on se rend maintenant de plus en plus compte qu’il y a des « nègres de service », toujours les mêmes obligés envers quelques extrémistes maures, eux-mêmes à la solde d’importateurs d’idéologie. Et l’on se rend compte aussi qu’il y a des « maures de service » obligés envers des idéologues arabes qui ont toujours étalé leur incapacité à mettre de l’ordre dans leur propre pays et viennent chez nous semer leurs graines pour cultiver la haine et le racisme entre nos communautés. Or il n’y a pas en Mauritanie de problèmes entre les communautés noires et blanches. Il n’y pas de problèmes entre maures et noirs. Le problème de ce pays, ce sont ces increvables adeptes de la «secte du racisme » qui épandent la haine sur nos différentes communautés. Celles-ci ne demandent pourtant qu’à vivre dans la paix et la cohésion sociale. Mais peut-être ces sectateurs du racisme et accros de la division ne se rendent-ils pas compte qu’ils jouent, depuis 1958, entre étincelle et goutte d’eau