Hommage à Abdoulaye Ciré Ba

Très cher grand frère Ablaye,

Lors de notre dernier entretien téléphonique, à ton retour de Tunis, j’ai volontairement abrégé notre conversation qui n’a duré que quelques secondes. J’avais le cœur lourd, très lourd. Quand tu me disais : « tu vois migname (jeune frère), tout s’écroule en même temps. Même la voix qui a toujours été le plus fidèle de mes compagnons, me lâche à présent », j’ai compris que c’était une manière de me dire adieu. Et depuis, je n’ai pas eu le courage de croiser ton regard ou d’écouter ta voix. Oui, je n’ai pas un courage semblable au tien ; regarder la mort en face et même la titiller.
Ce matin, après avoir prié sur ta dépouille, j’ai le cœur léger. C’est probablement le cas des dizaines de personnes qui ont sacrifié leur repos hebdomadaire pour venir prier pour toi et te dire adieu, sachant que « fard kifâyé » les en dispensait. Nul n’était là parce que tu étais riche. Personne n’était là aussi parce que tu étais puissant. Tous n’étaient là que par devoir et par amitié, pour rendre un dernier hommage à l’homme d’exception que tu fus. L’assemblée des priant, aux couleurs arc-en-ciel, suait la sincérité, car c’est ta Mauritanie, celle de tes rêves d’enfant et de tes espoirs d’adulte, qui était là ce matin.
Ablaye, tu sais bien que nul ne pourra te rendre un hommage semblable à ceux que tu as déjà commis, même au compte approchant, en écriture comme en profondeur. Bien sûr, tu n’aurais jamais accepté que je dise ceci, car tu aurais élégamment classé mon assertion dans le registre de l’art espiègle des torodo, tellement l’humilité est la plus profonde de tes convictions. Mais les faits sont là : Habib l’Iguidien troubadour universel, l’Imam Bouddah l’homme pour l’humanité, Karim Ba le berger des étoiles, la douce marche sur les rêves de Mohamed ould Homody, l’ami Médoune un étranger si étrange, resteront à tout jamais des chefs-d’œuvre inimitables.
Je voudrais te dire ce que je n’ai jamais pu te dire. Ta rencontre a bouleversé ma vie. Quand j’étais venu travailler avec toi au journal L’Unité, un quart de ma jeunesse encore bien porté, je ne doutais point de moi-même. Officiant à l’université comme enseignant, je suais la suffisance. Le militant de gauche que je suis était plein de certitudes. Et puis, quelques sédiments culturels enfouis dans le tréfonds de mon être social, s’exhumaient épisodiquement tel un péléen en éruption, de pitoyables trébuchements intellectuels. A tes côtés, j’ai appris les arts de l’écriture, la sagesse de l’écoute, la vanité de la suffisance, les vertus de la tolérance, le sens profond de l’humilité, la fidélité aux principes, le désir itératif d’apprendre des autres et aux autres et surtout la quintessence du mot Juste.
Je voudrais te dire aussi merci pour l’exemple que tu fus, et merci surtout pour l’immense richesse que tu laisses, non pas à tes héritiers seulement, mais à tout le pays de tes rêves. Te lire c’est visiter un espace de citoyenneté vraie, te relire c’est apprendre une leçon de vie. 
Adieu mon maître.
Puisse ALLAH, dans son infinie bonté, te couvrir de sa Grâce et t’accorder une place de choix dans son céleste paradis.

Ton jeune frère Birane

أحد, 18/12/2022 - 23:26