Expression expresse

Le tout est de tout dire… Paul Eluard.

Au fil des décennies, les vérités se renouvellent, toujours évidentes quand elles sont à la mode, toujours aberrantes quand elles sont plus de saison. De même, le «non-dit » peut se transformer en bavardages, ou être refoulé encore plus profondément dans les ténèbres de la conscience collective. Aussi, est-il sage de poser en principe qu’une idée partout répandue a toutes les chances d’être fausse, tandis qu’un fait ignoré de tous est probablement important.
Car les sociétés, comme les individus, ne retiennent de la réalité que ce qui les flatte et ne pensent jamais que ce qu’elles ont envie de penser.   Chacun ses mensonges….
Avec le recul, nous nous demandons « comment nos pères purent-ils croire cela ? » ou « comment purent-ils ne pas voir cela ? ». Cette vérité officieuse n’est pourtant pas imposée par les « censeurs », mais par une secrète complicité de ceux qui disent et de ceux qui écoutent.
Lorsque la Mauritanie fut indépendante, baguette magique de Charles de Gaulle Etoile, l’opinion nomade venait d’être frappée par la crise brutale et le rêve de l’autonomie interne. Brouillage de toutes les tendances nationales…
Mes propres interrogations, gamin, répondant à celles du public conscient, tout en bénéficiant d’un accueil favorable dans mon for intérieur, allaient me meubler l’esprit….
En grandissant, les « soi-disant »vérités se sont renouvelées. Elles ne sont pas plus vraies que les précédentes. Nous caressons toujours les faits, les rêves qui nous flattent, nous rejetons toujours les faits qui nous dérangent.
Il n’est que trop facile d’imaginer le discours que les Mauritaniens veulent entendre et rêver de comprendre depuis ce jour « sacré » de l’indépendance nationale. Il suffit pour cela d’écouter le vent ambiant avec ses thèmes dominants, ses discrets silences et ses formules rituelles, bref de suivre le conformisme à suivre, qui domine la pensée contestatrice tout autant que la pensée conservatrice.  Un tel jeu, quelque succès flatteur qu’il promette, me semble profondément stérile.
L’important est dire ce que je n’ai pas envie de dire et que les Mauritaniens dont je fais partie, ne doivent pas avoir envie d’entendre. Se méfier comme de la peste des faits et des idées reçues, s’intéresser toujours aux faits et aux idées non reçues, tel sera mon principe.
Lorsqu’on s’interroge ainsi sur toutes les évidences acceptées ou refusées, sur les comportements habituels et les jugements rituels, on découvre mille choses qui cessent tout à coup de paraitre normales. Du reste, à chacun ses anomalies…

 

Comportements-réflexes variés
Pour moi, je ne trouve pas normal que les Mauritaniens cachent leurs souffrances comme des lettres d’amour, qu’ils parlent tant de leurs concitoyens et si peu de l’arnaque dont ils sont victimes, qu’ils donnent toujours raison aux tribus et ethnies et toujours tort à l’Etat, qu’ils débattent de la crise politicienne, du coût de la vie et jamais de la citoyenneté. Ils rêvent  la Chine Maoïste au lieu de la voir telle qu’elle est, qu’ils demandent tous « l’égalité » dans la féodalité et que tous refusent les sacrifices, que les ministres célèbrent l’unité nationale en public mais l’accablent en privé, que la majorité oublie la bonne gestion des municipalités de l’opposition, que l’on paralyse un adversaire en utilisant les mots « raciste », « conservateur », « réactionnaire », «mouarid » à tort et à travers et que tout le monde dans l’opposition se dise révolutionnaire sans l’être et que personne dans la majorité ne se reconnaisse conservateur tout en l’étant.
Qu’y a-t-il de commun entre ces comportements-reflexes si variés, ces réactions conditionnées si différentes ? Pour le découvrir, il suffit de s’y opposer…
Demandez, par exemple, à un Mauritanien combien il gagne d’argent ou ce qu’il possède, interrogez-le sur l’idée qu’il se fait de sa propre agonie, chatouillez-le sur les privilèges de sa tribu ou ethnie, vos questions paraitront  déplacées en privé, provocantes en public. Elles susciteront des réactions de gêne ou d’agressivité. L’interlocuteur, si lucide, si raisonnable, l’instant d’avant, change de comportement. Dans le meilleur des cas, il fait semblant de ne pas comprendre et passe à un autre sujet, dans le pire, il s’emporte et renonce à l’argumentation rationnelle pour se lancer dans la polémique passionnelle.  Vous avez touché un point sensible….
Nos enfants morts pour la guerre du Sahara, les uns et les autres furent braves, héroïques, « glorieux », mais ils avaient été jetés dans un conflit stupide par des dirigeants irresponsables. Cela tout le monde le sait aujourd’hui….
Tout homme politique mauritanien qui aurait fait entendre en ce domaine le simple langage des faits et de la raison aurait été immédiatement accusé de trahison et rejeté par le corps social manipulé. L’utilité du conflit, c’était de dénigrer le sacrifice des héros…
Quand on met le tabou de son côté, on joue à qui perd gagne, quand on le transgresse, au contraire, on est assuré de perdre, même si l’avenir vous donne raison. Je sais qu’alors leur poussée est irrésistible. Je sais aussi que unanimité doit plus à la passion qu’à la raison et qu’elle traduit ordinairement la manipulation de tous par quelques-uns plutôt que la libre détermination d’un peuple, fusse-t-il Mauritanien ou Sahraoui, du reste, liés par le sang…
Ce refus obstiné des réalités, cette fuite en avant portent un nom : LE TABOU. C’est lui, le plus beau, le plus absolu, de ces dernières années qui entretint les Mauritaniens dans un rêve éveillé.
Aujourd’hui la passion triomphe dans le silence de la raison. « Honni soit qui mal y pense de l’unité nationale », car pour « mal y penser », nul ne s’en prive. Comme tous mes confrères, je préfère m’autocensurer que jouer le rôle du traitre. Mais il serait naïf de penser que la presse, en Mauritanie, est muselée par des « censeurs» gouvernementaux.
Oui, si je devais limiter à un seul exemple ma recherche des tabous, c’est sans doute « l’unité nationale » que je choisirais. Nulle part ailleurs la censure des langues et des esprits ne me parait avoir aussi bien fonctionné.
Dans quelques années, quand les passions et les rancœurs seront apaisées, nous raconterons à nos enfants toutes ces histoires, ils ne comprendront pas. Il leur paraitra aussi absurde d’avoir sacrifié l’avenir d’une nation possible et plausible, son émergence régionale…voire même mondiale, sa culture plurielle,…bref son âme.
A bon entendeur salut et paix !
 

Mael Aïnine Néma Chérif
Bons becs de Paris…

خميس, 07/10/2021 - 10:01