Lorsque les ressources publiques d'un pays sont détournées au vu et au su de tout le monde et que ses premiers responsables, y compris chefs d'Etat, ministres, chefs d'entreprises publiques et la multitude de collaborateurs qui se gavent sur les biens du peuple, font l'objet de l'ordre du jour des pôles anticorruption, des cours criminelles et autres cours financières que la gabegie s'installe…ses responsables viennent demander qu'on éponge ses dettes.
Curieux n'est-ce pas que l'on vous prête pour que vous détourniez et que vous revenez demander que l'on supprime votre dette ?
Cette fois, à Paris ce fut pour la requête mauritanienne, une fin de non-recevoir. Un « niet » cinglant ! Mais c'était moins pour cela, car si les occidentaux s'intéressaient vraiment à la gabegie de nos décideurs, ils auraient moins prêté, mais c'était surtout parce que la conjoncture actuelle, ne prêtait pas à une telle démarche dût-elle être charitable.
En effet, M. Ghazouani est mal conseillé, sinon, il saurait que les conditions de cette demande, n'étaient et ne pouvaient être réunies dans la conjoncture actuelle.
L'argumentaire qu’il avance (sécurité G5, pandémie handicapante, besoin de financement du plan de relance, endettement faramineux du pays, "gestion" des flux migratoires vers l’Europe, pauvreté, insécurité au Sahel, terrorisme, protection des intérêts français et européens en Mauritanie, engagements sur le partenariat commercial avec la France et la coopération diplomatique sur les questions actuelles) ne peut être recevable, cette fois, pour emporter la décision d'éponger la dette.
En Effet, tout observateur de l'évolution économique internationale, et particulièrement le gonflement de la dette souveraine des pays du Sud, sait que, la crise financière de 2007-2008 a fortement impacté l’économie des pays occidentaux et continue encore à influencer les décisions économiques de leurs pouvoirs publics.
Pays qui depuis cette période sont, eux-mêmes en quête de financement plus rémunérateurs auprès de leurs banques et investisseurs privés. Or encouragés par le faible niveau des taux d’intérêts directeurs aux États-Unis et en Europe, leurs banques et investisseurs privés ayant largement investi leurs liquidités dans la dette souveraine des pays du Sud, cela entraine aujourd'hui deux situations :
- Les pays du Sud surendettés, sont pris dans le piège de la dette souveraine, et ont donc besoin de ressources de financement. Entre 2000 et 2017, la dette extérieure publique des pays du Sud a doublé, passant de 1300 à 2630 milliards de $US et depuis 2010, la part des remboursements de la dette extérieure publique des pays du Sud par rapport à leurs recettes totales, a augmenté de 85 % et culmine à un niveau moyen de 12,2% des recettes publiques des États, soit le plus haut niveau atteint depuis 2004. Les pays les plus affectés par cette hausse du service de la dette avaient en majorité contracté des prêts et/ou des obligations auprès du FMI.
- Les pays occidentaux emprunteurs auprès de leurs système financier et bancaire qui, lui, est tributaire de la dette souveraine qu'il a sur…les pays du Sud.
On comprend donc que le serpent (monétaire) se mord la queue. La requête de Ghazouani , était donc politiquement correcte mais économiquement… Irrecevable.
On comprend donc pourquoi la Mauritanie est allée aveuglement demander qu’on lui éponge sa dette. Et l’on comprend aussi, comme on l’a montré que la conjoncture économique des pays occidentaux ne s’y prête pas. C’est la raison pour laquelle la Mauritanie a été poliment éconduite et qu’on lui a proposé simplement une marge plus importante dans ses droits de tirage spéciaux (DTS) auprès du FMI. Qu’elle aille donc s’endetter ailleurs …mais d’effacement de sa dette, nenni.
En effet, l’occident pris, lui-même, à la gorge par sa condition difficile ne se fera pas avoir deux fois !
Rappelons-nous que La Mauritanie déjà bénéficié de l’effacement de sa dette !
En effet, en 2005, la Mauritanie a obtenu l’annulation de l’intégralité de sa dette extérieure suite à la Décision du G8 portant sur dix-huit pays d'Afrique et d'Amérique latine (Bénin, Bolivie, Burkina Faso, Éthiopie, Ghana, Guyana, Honduras, Madagascar, Mali, Mauritanie, Mozambique, Nicaragua, Niger, Rwanda, Sénégal, Tanzanie, Ouganda et Zambie).
L'effacement des dettes (en principal et en intérêts) de la Mauritanie envers le FMI, la Banque mondiale et la Banque africaine d'investissement et à la Banque africaine de développement, a été total.
Et deux ans après, en 2007, la Mauritanie avait obtenu des réductions de dettes auprès de la Banque mondiale, du Groupe de la BAD et du FMI dans le cadre de l’Initiative d'allégement de la dette multilatérale (IADM).
La même année la Chine annulait sa dette pour un montant 14,8 milliards d’Ouguiya. Annulations qui ont considérablement amélioré le compte en capital auprès de la BCM.
Plus récemment, en 2018, la Mauritanie a obtenu de Paris, l’annulation dans un cadre bilatéral, de toutes les dettes arrivées à terme en 2002, au titre de l’aide publique au développement. Ainsi qu’un soutien budgétaire de 44 millions d'euros pour consolider son budget pour la période 2018-2020
Mais qu’a donc apporté à la Mauritanie, l’annulation de sa dette de ces dernières années ?
Curieusement plus d’endettement et encore plus de misère !
En effet, au 31 juillet 2019, suivant le rapport 2019 du FMI, la Mauritanie fait partie de la liste des vingt-quatre pays à haut risque de surendettement : Afghanistan, Burundi, Cameroun, Cap vert, Djibouti, Dominique, Éthiopie, Ghana, Haïti, Îles Marshall, Kiribati, Laos, Maldives, Mauritanie, Micronésie, RCA, Samoa, Sierra Leone, St Vincent les Grenadines, Tadjikistan, Tchad, Tonga, Tuvalu et Zambie !!!
Mieux encore, qu’a réalisé la Mauritanie, avec toutes les ressources financières qu’elle a reçues ?
Pour en comprendre l’ampleur, prenons l’exemple récent des milliards que la Mauritanie a reçus depuis la déclaration de la Pandémie qui fut un argument supplémentaire pour obtenir des financements.
A la date de juillet 2020 la Mauritanie a reçu, une aide financière internationale conséquente :
- Décaissement du FMI de 130 millions de dollars (95,680 millions de DTS) au titre de la facilité de crédit rapide pour aider la Mauritanie à faire face à la pandémie de COVID-19,
- 24 millions d’euros de l’Union européenne (UE),
- 5,2 millions de dollars de l’Association internationale de développement (IDA),
- 23 millions USD de la Banque Mondiale en allocation financière supplémentaire,
- 33 millions de dollars à la Mauritanie du Fonds de solidarité islamique pour l’aider à faire face au coronavirus.
- 3,6 millions d’UC (l’Unité de Compte de la BAD est égale à un DTS du FMI, environ 1,4 dollar au 24/07/2020) en prêts sectoriels sur les ressources du Fonds africain de développement (FAD),
- 133 millions de dollars en trois dons de l’Association Internationale de Développement (IDA)
- 9 millions d'euros d'aide de l’UE en 2020 pour des projets humanitaires en Mauritanie dont une partie du financement soutiendra aussi la lutte contre la pandémie de coronavirus.
- 13 millions d’euros (soit quelque 535 millions de MRU) mobilisés par l’Equipe Europe qui soutient le plan mauritanien de riposte au COVID-19 (https://mr.ambafrance.org/L-Equipe-Europe-soutient-le-plan-mauritanien-d... )
A cela s’ajoute la part que recevra la Mauritanie de l’appui budgétaire de 284,8 millions de dollars américains approuvé, le mercredi 22 juillet à Abidjan, par le Conseil administration de la Banque africaine de développement, pour soutenir les efforts des pays du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad) dans la mise en œuvre de leurs plans de riposte à la pandémie de Covid-19 et de relance économique.
Outre ces milliards, la Mauritanie a reçu des millions de dollars en aide médicale et en équipements de plusieurs pays (Chine, Maroc…)
Et depuis Ghazouani serait rentré avec 2 milliards de dollars des Emirats Arabes Unis…
Mais où vont tous ces millions de dollars et d’euros et autres unités de compte que reçoit la Mauritanie ?
Si l’on s’en tient uniquement au financement reçu depuis la déclaration de la pandémie, soit février-mars 2020, ce sont des millions et même des milliards auquel on pourrait ajouter les deux milliards émiratis, les ressources propres du pays, sa rente nationale issue de ses exportations de ressources naturelles et…les emprunts bilatéraux de la Mauritanie.
Un fleuve de milliards déversés sur la Mauritanie. Qu’en a-t-elle fait ? Rien. Pire, elle s’est surendettée.
Et voilà qu’elle redemande l’annulation de sa dette !
On avait, ces dernières années, alerté sur le fait que l’aide publique au développement ainsi que l’endettement public et privé de la Mauritanie ne servait qu’au détournement et à l’engloutissement dans des projets foireux et des marchés publics de biens et de services pipés d’enrichissement de classes politiques au pouvoir.
Dans le cadre de l’endettement bilatéral de la Mauritanie, nous avions écrit aux chancelleries, pour demander l’audit des finances publiques mauritaniennes, préalablement et suite à tout prêt car l’endettement du pays ne profite pas à son développement mais entraine l’appauvrissement des populations (voir à titre d’exemple ma lettre ouverte, en 2015, à madame Carola Müeller-Holtkemper, Ambassadeur d'Allemagne en Mauritanie intitulée : « 29 millions d’euros, pourquoi financez-vous mon pays ? » sur ce lien : https://haut-et-fort.blogspot.com/2015/11/29-millions-deuros-pourquoi-fi... )
Dans le cadre de l’endettement multilatéral, ma lettre ouverte, en 2012, à Madame Christine Lagarde, Directrice générale du FMI. Lien : https://haut-et-fort.blogspot.com/2012/05/lettre-ouverte-madame-christin...
Dans le cadre de nos appels contre le gaspillage des ressources publiques chèrement obtenues nous avions interpellé, en 2020, Ghazouani lui-même (« 240 milliards d’UM : Ghazouani, pourquoi jetez-vous les ressources du peuple par la fenêtre ? ». Lien : https://cridem.org/C_Info.php?article=739954)
A cause, justement, de cette assistance financière internationale, la Mauritanie vit de l’obole des prêts en tout genre. Et quand elle a tout dilapidé, elle tend sa gamelle, pour qu’on éponge sa dette.
Triste réalité pour un pays riche qui s’est inscrit au restaurant du cœur des pays occidentaux.
Mais alors pourquoi tant de misère d’un pays et tant de charité requise par ses dirigeants ?
Cette situation peut se résumer en une phrase : « gabegie de ses gouvernants, incompétence de son administration publique, détournement des biens publics par ses élites, corruption généralisée et complicité manifeste des instances financières internationales qui, sachant tout cela, continuent à prêter à ce pays, pour l’enchainer davantage dans la soumission, la dépendance économique et enfin l’allégeance perpétuelle à la volonté politique des pays qui les animent. »
Ces pays, et leurs chancelleries qui endettent la Mauritanie, et qui ont pignon sur rue dans ce pays, savent tout de ce qui s’y passe. Et pourtant …
Rappelons-nous, pour mémoire, la falsification des chiffres fournis par la Mauritanie au FMI.
L’histoire récente de la Mauritanie nous montre que de janvier 2006 à juin de la même année la Mauritanie s’est vue refusée l’effacement de sa dette pour ces six mois, du fait que le FMI… a été induit en erreur par les chiffres falsifiés de l’économie mauritanienne fournis par les autorités mauritaniennes depuis 2003 !
Cette attitude a couté à la Mauritanie environ 86 millions de dollars de dette non épongée pour les six mois et le remboursement des montants reçus durant la falsification (toute l'année 2003 et la première moitié de l'année 2004.) (Voir le site du FMI: http://www.imf.org/external/np/sec/pn/2005/pn0571.htm)
Le 30 mars 2006, le gouverneur de la Banque Centrale de Mauritanie, a indiqué que le Conseil d'Administration du Fonds Monétaire International(FMI) a invité son pays à rembourser des versements atteignant 8,7 millions de dollars obtenus sur la base de fausses déclarations.
Des millions de dollars perdus par la Nation par la faute de personnes qui aujourd'hui, publiquement, encore se portent au mieux de leur carrière...le Gouverneur de la BCM à l’époque a exprimé ses regrets quant aux pratiques de falsification suivies de longue date par les autorités mauritaniennes !
Et… le FMI continue toujours à financer et endetter la Mauritanie.
Rappelons-nous que dans son rapport du mois de février 2020, la Banque Mondiale indique que les dirigeants mauritaniens détournent une partie de l’aide publique vers les paradis fiscaux et pays refuges (voir mon récent article : « Voilà où les dirigeants mauritaniens déposent leurs détournements à l’étranger. » http://cridem.org/C_Info.php?article=738425 )
Et… la Banque mondiale continue toujours à financer et endetter la Mauritanie.
- Rappelons-nous que le banquier du Trésor public, la Banque centrale, est une véritable passoire de devises et de fausse devise (voir mon article récent : « BCM : Saltimbanques et trous… de Bâle. » http://www.cridem.org/C_Info.php?article=737888 ) .
Et…la BCM continue, sans restructuration ni redevabilité, à être le banquier de l’Etat et le gestionnaire de sa politique monétaire.
- Rappelons-nous que l’audit de la Banque centrale laisse à désirer tant du point de vue interne qu’externe (voir mon article « BCM : La danse des chiffres » http://cridem.org/C_Info.php?article=721091).
Et… aucune instance financière internationale ne s’en est offusqué jusque dans ses conditionnalités de gestion des ressources publiques empruntées.
- Rappelons-nous que les rapports de la Cour des comptes débordent de dénonciations et de preuves de corruption et de détournement à tous les stades des marchés publics, de la gestion des entreprises publiques, des finances publiques etc..( voir mon article « Crimes et délits : la cour des comptes… » http://cridem.org/C_Info.php?article=730382)
Et les corrompus et les corrupteurs continuent à exercer dans les rouages de l’Etat…
Etc. Etc…
Aussi le fait pour les occidentaux d’éponger la dette mauritanienne, ne fera qu’augmenter encore les velléités de nos dirigeants pour contracter encore et encore d’autres prêts.
Un cercle vicieux qui empêche nos gouvernants d’avoir la maturité de compter sur eux-mêmes, d’optimiser leurs moyens et d’affecter les ressources du pays vers le développement.
Eponger la dette, c’est confirmer à nos dirigeants qu’ils peuvent continuer à dilapider, et à gaspiller les ressources avec la certitude qu’ils obtiendront encore et encore des prêts. Et c’est là une attitude, que le droit international devrait criminaliser, car elle conduit à l’asservissement des peuples et l’hypothèque de leur avenir par l’assistance consciente et voulue des pays occidentaux aux actes hautement répréhensibles de leurs dirigeants. Des dirigeants d’aujourd’hui qui ont déjà condamné les générations futures.
La Mauritanie est un pays riche mais qui demande l’obole et tend la gamelle ; Or qui dépend financièrement n’existe pas.
Pr ELY Mustapha