Au nom de la légalité (1)

Introduction.

Certains de nos confrères, pour ne pas dire la majorité, pensent que l’honorable profession d’avocat, n’est ni plus ni moins qu’un gagne-pain, et qu’à cet effet, les avocats ont vocation à  être des équilibristes qui excellent dans des mouvements de balançoire entre le vrai et faux, à l’image des danseurs de corde et autres funambules  ; tout cela n’a rien d’étonnant car la profession d’avocat connaît chez nous une déconsidération continue depuis fort longtemps, et qui risque hélas de perdurer à moins que les jeunes pousses ne viennent  à la rescousse pour rendre à la robe les égards qui lui sont dus, et que les pouvoirs publics ne prennent véritablement conscience de son rôle dans l’édification de l’ Etat de Droit.

Alors que nous comptions sur l’entrée en vigueur de la nouvelle loi avant-gardiste sur la profession d’avocat pour impulser vers le meilleur cette corporation, et sur le tout nouveau conseil  pour imprimer de nouvelles réformes de nature à redorer le blason si abimé de cette profession , voilà que le dossier dit « Dossier de la corruption de la décennie » vient nous rappeler à la dure réalité, nous faire perdre toutes les illusions, du fait même que notre Bâtonnier sur lequel nous comptions , et comptons toujours pour sauver la profession, défendre les droits et libertés dont celui fondamental des droits de la défense, s’est très vite positionné en faveur de l’accusation , tout en s’arrogeant le rôle d’une partie civile, inexistante à ce stade de la procédure, s’attachant à tourner en dérision les moyens de la défense par des arguments inopérants et pour le moins surprenants, sur lesquels nous nous étendrons , en commençant par le commencement, le premier épisode de ce montage politicojudiciaire, la commission d’enquête parlementaire.

I) Sur la légitimité de la « commission d’enquête parlementaire ».

Le Collectif chargé de la défense de l’ancien Président de la République , monsieur Mohamed ould Abdel Aziz , déclare, persiste et signe que la commission d’enquête parlementaire a été créée pour des raisons purement politiques, visant à porter préjudice à la personne , à la dignité et à la réputation de l’ancien président, porter ombrage à sa législature, sur la base du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale, en ses stipulations sous le titre 2 « Contrôle parlementaire » dans ses chapitres premier réservé au « contrôle sur l’action du gouvernement » et second qui prévoient la création et le mode désignation des membres de la commission.

Aux termes d’une entrevue télévisée avec la chaîne El Watania courant octobre 2020, le Bâtonnier a tenu les propos suivants : « Courant octobre 2019, certains députés ont demandé la création d’une commission parlementaire, et cette commission, comme cela relève de toutes les constitutions de la planète, et de la nôtre, est régentée par le biais du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale ; l’article 86 de la constitution mauritanienne dispose que toutes les lois organiques et le règlement intérieur de l’Assemblée Nationale sont obligatoirement soumis à l’examen du Conseil

Constitutionnel. Et toutes les décisions d’approbation émanant du Conseil Constitutionnel relatives au règlement intérieur lui confèrent une autorité que personne ne peut contester, la même autorité que celle de la chose jugée, et celui qui conteste la commission parlementaire, en feignant d’ignorer le règlement intérieur et son autorité, et la place qu’occupent les lois organiques et le règlement intérieur dans la hiérarchie des normes, donne plutôt l’air de vivre dans un autre monde que celui de la Mauritanie. Donc, sur la base du règlement intérieur dont j’ai dit qu’il complète la constitution qui ne se prononce pas sur de telles choses. Si la constitution devait tout prévoir, il n’y aurait pas de droit pénal, il n’y aurait pas de droit des contrats. Nous devons être conscients que tout n’est pas dans la constitution ».

Il résulte des propos du Bâtonnier que la légalité de la commission d’enquête parlementaire repose sur quatre fondements :

1) Sa création est connue de toutes les constitutions du monde ; y compris celle de la Mauritanie . 2) Elle est organisée par le règlement intérieur de l’Assemblée Nationale ; et selon l’article 86 de la constitution, toutes les lois organiques et le règlement intérieur de l’Assemblée Nationale, avant leur promulgation, sont soumis obligatoirement à l’approbation préalable du Conseil Constitutionnel, et sont considérés comme complétant la constitution.

  1. Elle est fondée sur l’article 86 de la constitution qui l’élève au rang de loi organique, devant faire obligatoirement l’objet d’un contrôle de constitutionnalité, suite à quoi , elle acquiert l’autorité de la chose jugée, car toutes les décisions du Conseil Constitutionnel sont insusceptibles de recours et définitives.
  2. Celui qui met en cause les décisions du Conseil Constitutionnel, feint d’ignorer le règlement intérieur, et ses effets , ainsi que la place des lois organiques comme s’il vivait dans un autre monde qui n’est pas la Mauritanie, ni la planète où les commissions d’enquête sont connues en tous lieux.

II) Sur quoi reposent de telles assertions?

  • Dire que les commissions parlementaires sont connues de toutes les constitutions de la planète et de celle de la Mauritanie, ne nous avance en rien, car la controverse juridique ne porte pas sur la possibilité et la légitimité de la création des commissions d’enquête parlementaire à l’étranger ou en Mauritanie, mais sur la légalité de la création d’un tel organe pouvant enquêter sur le fonctionnement du pouvoir exécutif en place, sur l’action d’un gouvernement qui ne l’est plus, et sur les actes du Président de la République.

Le rôle des  commissions parlementaires, dans la majorité des pays de la planète, et en Mauritanie, se limite à voter la loi, et à contrôler l’action du gouvernement conformément aux procédures légales édictées à cet effet , et en Mauritanie, de manière spécifique, seuls ces deux rôles sont dévolues au Parlement, et à ses commissions parlementaires permanentes (art 45 à 77).

 Le Parlement ne dispose d’aucune autorité, ni d’aucun pouvoir de contrôle sur les actes du Président de la République dans l’exercice de ses fonctions, sauf dans un seul cas de figure, la haute trahison, par la force de l’article 93 de la constitution,  comme il n’appartient pas au Parlement de contrôler les finances publiques, également du seul ressort de la Cour des Comptes conformément à l’article 68 de la constitution aux termes duquel « La Cour des Comptes est l’institution supérieure indépendante chargée du contrôle des finances publiques », et tout acte émanant du Parlement, en ignorance ou en violation de ce cadre constitutionnel est nul, constitutif d’une immixtion dans le pouvoir exécutif et l’institution présidentielle. 

  • Le second moyen n’est pas non plus opérant ; les commissions parlementaires sont créées par la constitution, pas par le règlement intérieur qui n’a pas rang de loi organique, ne relève pas du corps de la constitution et ne tient nullement lieu de texte complémentaire à la constitution, contrairement aux déclarations du Bâtonnier ; et de la même manière, les commissions parlementaires ne sont pas non plus prévues par son article 86, mais bien au contraire par son article 64 qui en énumère cinq à caractère permanent, en ces termes : « Les projets et propositions de lois sont à la demande du Gouvernement ou de l'Assemblée qui en est saisie, envoyés pour examens à des commissions spécialement désignées à cet effet. Les projets et propositions pour lesquels une telle demande n'a pas été faite sont envoyés à l'une des commissions permanentes dont le nombre est limité à cinq (5) dans chaque Assemblée ». 

Pourquoi dès lors, ignorer l’article 64, et lui substituer le 86 qui n’a aucun rapport avec les commissions parlementaires et qui n’y sont même pas évoquées?

Il n’apparaît nullement dans l’article 86 de la constitution  que le règlement intérieur ait rang d’une loi organique, ou qu’il complète la constitution, ou qu’il fasse corps avec elle. Toutes ces allégations visent à mystifier l’opinion publique pour la convaincre de cette hérésie qu’est la création d’une commission parlementaire qui n’a aucun fondement légal, ni au vu de la constitution, encore moins des lois organiques, et qui a profondément porté préjudice à l’Etat, aux institutions et à la nation, comme il n’apparaît nulle part dans nos mœurs constitutionnelles que cet outil , conçu et créé en la circonstance comme un instrument d’inquisition, ait suscité un quelconque intérêt chez nos élus, durant les six décennies d’indépendance de la Mauritanie. 

  • Le règlement intérieur de l’Assemblée Nationale n’a d’effet qu’à l’égard de ses membres et ne saurait avoir rang de loi organique, comme on ne peut conclure de l’obligation de le soumettre au Conseil Constitutionnel, qu’il en soit ainsi ou qu’il fasse corps avec la constitution, ou qu’il la complète, et voici le texte de l’article 86 de la constitution invoqué pour la circonstance, afin  pour que vous soyez juge de cet argument : « Les lois organiques, avant leur promulgation, et les règlements des Assemblées Parlementaires, avant leur mise en application, doivent être soumis au Conseil Constitutionnel qui se prononce sur leur conformité à la Constitution. Aux mêmes fins, les lois peuvent être déférées au Conseil Constitutionnel, avant leur promulgation, par le Président de la République, le Président de l'Assemblée Nationale, le Président du Sénat ou par le tiers (1/3) des députés composant l'Assemblée Nationale ou par le tiers (1/3) des sénateurs composant le Sénat. Dans les cas prévus aux deux alinéas précédents, le Conseil Constitutionnel doit statuer dans un délai d'un (1) mois. Toutefois, à la demande du Président de la République, s'il y a urgence, ce délai est ramené à huit (8) jours. Dans ces mêmes cas, la saisine du Conseil Constitutionnel suspend le délai de promulgation. »

Force est de constater, au vu de ce texte :

  1. Que les lois organiques conservent leur qualification de « lois organiques », le règlement intérieur , sa qualification de « règlement intérieur de l’Assemblée Nationale », et alors que les lois organiques produisent un effet erga omnes dès promulgation, le contenu du règlement intérieur demeurent quant à lui suspendu, en attente de son passage à l’examen de constitutionnalité.
  2. Que la conjonction de coordination « et » ne saurait en aucun cas traduire une similitude entre le régime juridique de lois organiques et celui du règlement intérieur.  
  3. Que la loi organique est soumise au Conseil Constitutionnel avant sa promulgation, alors que le règlement intérieur l’est après son adoption, mais avant son application, du fait même de la différence qui concerne à la fois la nature et l’objet des deux organes. 
  4. Que la constitutionnalité du règlement intérieur ne l’élève pas au rang de loi organique, et n’en fait pas une norme constitutionnelle ; mais constitue une mesure visant à ce que son contenu ne se heurte à des dispositions constitutionnelles, sans toutefois que cette hypothèse soit définitivement exclue, même s’il réussit son examen de constitutionnalité ; c’est d’ailleurs pour cette raison que la saisine du Conseil Constitutionnel reste possible car il demeure compétent pour statuer sur la constitutionnalité des lois qui lui sont déférées conformément à la procédure décrite à l’article 86, dernier alinéa.   

Au vu de cet exposé, il s’avère que tout ce qui a été dit par le Bâtonnier lors de son entretien avec la chaîne  Al Watania au sujet de l’autorité de la chose jugée des décisions du Conseil Constitutionnel, leur opposabilité erga omnes, et l’irrecevabilité de tout recours à leur encontre est sans intérêt, et de la même manière les arguments soulevés dans le troisième moyen de l’entretien évoqué s’avèrent superfétatoires, car maintes fois répétés  à l’appui des propos du Bâtonnier (art 86 de la constitution………….les lois organiques ; le règlement intérieur ; l’autorité de la chose jugée dont bénéficient les décisions du Conseil Constitutionnel, irrecevabilité des recours contre les décisions du Conseil Constitutionnel).

On ne peut toutefois que s’arrêter sur le quatrième moyen, aux termes duquel le Bâtonnier déclare : « Celui qui met en cause la légalité de la commission parlementaire, feint d’ignorer l’existence du règlement intérieur, et le rang des lois organiques ainsi que le règlement intérieur, comme s’il vivait dans un autre monde qui n’est ni la Mauritanie, ni un quelconque endroit de la planète où les commissions parlementaires sont connues » ; s’arrêter sur cette déclaration qui tombe comme une sentence, pour relever son caractère dénué de tout esprit chevaleresque dont la première règle est le respect de l’adversaire, prononcée de surcroît avec suffisance, alors que la modestie est la vertu la mieux appréciée chez les grands esprits……………….

Il reste un moyen que soulèvent certains de nos confrères qui se perdent dans des considérations doctrinales pour justifier la mise en cause de la responsabilité pénale de l’ancien Président de la République, sur la base du rapport de la commission parlementaire qu’ils comparent à dessein aux commissions d’enquête parlementaire françaises ; il est vrai qu’en France, il y a eu une réforme constitutionnelle intervenue en 2007, prévoyant la création de commissions parlementaires par l’article 51-2 nouveau de la nouvelle constitution, article libellé de la sorte : « Pour l’exercice des missions de contrôle et d’évaluation définies au premier alinéa de l’article 24, des commissions d’enquête peuvent être créées au sein de chaque assemblée pour recueillir, dans les conditions prévues par la loi, des éléments d’information. La loi détermine leurs règles d’organisation et de fonctionnement. Leurs conditions de création sont fixées par le règlement de chaque assemblée » On en retient que cette réforme constitutionnelle prévoit la création de commissions parlementaires d’enquête au vu de l’article 51-2 nouveau de la constitution, et non sur la base d’une loi organique, ni un décret, ni un règlement intérieur, car les travaux des commissions parlementaires sont régis par la constitution, le pacte national, et l’organisation des relations entre les deux pouvoirs, exécutif et législatif !

L’article 51-2 nouveau de la constitution française précise que la fonction de la commission parlementaire est de « recueillir, dans les conditions prévues par la loi, des éléments d’information » comme cet article prévoit que c’est « la loi qui détermine ses règles d’organisation et de fonctionnement » laissant à la discrétion des chambres la seule désignation des membres de la commission, sans plus.

 

II) A propos des travaux de la commission d’enquête parlementaire ( à suivre).

 

 

*L’auteur de cet article, c’est maître Mohameden ould Icheddou, traduit et publié en français par maître Taleb Khyar ould Mohamed Mouloud.

Premier d’une saga judiciaire, cet article publié en arabe courant octobre 2019 par maître Mohameden ould Icheddou, est suivi par d’autres  sur le même thème, qui feront l’objet de traductions et de publications successives en français.      

 

أحد, 07/03/2021 - 00:49