Une information de Saharamédias, datée du 7 Octobre 2019, révélait que la responsabilité des délestages en séries répétitives constatés à Nouakchott incombe à des défaillances techniques sur le réseau, au niveau du Pk 20 de la ligne haute tension de Manantali qui transporte l’électricité sur une distance de 933 kilomètres de Gouraye à Nouakchott.
J’ai entendu – vous aussi sans doute – les explications éloquentes, rassurantes et convaincantes de monsieur Dahane Taleb Ethmane, conseiller chargé de la Communication et des relations extérieures de la Somelec. Elles nous éclairaient sur les raisons techniques de ces incidents à répétition. Selon notre confrère, de multiples échecs subis par les techniciens de la Société nationale en essayant de raccorder la production d’un champ de panneaux solaires à la centrale de Nouakchott ont causé, en réaction, des ruptures sur le transport de l’énergie de ladite ligne de Manantali.
Que se soit de cause à effets, ou des effets de la cause, il n’en demeure pas moins que Nouakchott vit une situation extrêmement désagréable et des perturbations lourdes de désastreuses conséquences, aussi bien sur le plan économique et financier que sécuritaire. L’homme a, par nature, horreur de l’obscurité. Les coupures d’électricité, surtout la nuit, sont d’autant plus sa bête… noire qu’elles peuvent, en se prolongeant, mettre toute une ville dans une totale insécurité. Si l’alimentation en électricité des lieux publics n’est pas relayée, les caméras de surveillance arrêtent de fonctionner ; les structures médicales sans groupe électrogène de secours sont handicapées dans leur travail, notamment en salles d’opération et d’accouchement.
Situation désagréable et catastrophique
Depuis quelques temps, Nouakchott vit donc au rythme des coupures récurrentes. Comme plus rarement ailleurs dans le Monde et beaucoup en Afrique. Situation désagréable et économiquement catastrophique pour certains secteurs, en particulier ceux de la pêche et de l’industrie productive. Mais il faut quand même reconnaître qu’en comparaison des délestages subis en d’autres capitales africaines, les nôtres sont assez insignifiants. Bref, nous exagérons un peu notre critique à l’égard de la Somelec. Dans tous les pays du monde, les coupures de courant sont généralement indépendantes de la volonté des sociétés en charge de la distribution de l’énergie. Elles sont parfois provoquées par des erreurs humaines, parfois par des avaries techniques et parfois en conséquence d’intempéries, catastrophes ou calamités naturelles.
Quoiqu’il en soit, les coupures de courant constatées ces derniers jours à Nouakchott ne représentent rien en comparaison de celles des années 2008 et 2009. En 2009, la Somelec ne comptait que cent mille abonnés et sa situation financière était particulièrement difficile, suite à l’effritement de ses fonds propres et une incapacité structurelle à assurer la couverture de la demande, en raison de la vétusté des infrastructures de production et le retard dans la mise en place des programmes d’investissement.
Ces très mauvais souvenirs relèvent du passé et demeurent loin derrière nous. Il faut rendre à César ce qui appartient à César. Force est de constater que, dès son arrivée au pouvoir, Mohamed ould Abdel Aziz fit, de l’énergie, la priorité de ses priorités. Aujourd’hui, le constat est là et bien visible. La Mauritanie assure son autonomie en énergie électrique et sa production en la matière est supérieure à celles du Sénégal, du Mali et de la Guinée réunis.
En Décembre 2018, le parc national de la Somelec, composé de soixante unités, a cumulé une production de 1.213.024 Mw/h. Ce qui relève de l’exploit et d’une bonne capacité de production. Comparé à la même période de 2017, le cumul de la production globale a augmenté de 15,03 % et le niveau de la production nette destinée au réseau Somelec de 9.99 %. Des résultats obtenus grâce à l’exploitation de diverses sources de production : 17,59 %, apport hydroélectrique de Manantali et Felou ; 0,16 %, centrale de la SNIM à Nouadhibou ; 63,75%, parc thermique de la SOMELEC ; 9,63%, centrale éolienne de Nouakchott ; 8,87 %, parc solaire.
Actuellement, toutes les capitales régionales, tous les départements et bon nombre de grandes villes du pays sont alimentés en électricité de manière courante et satisfaisante. En plus, notre pays exporte son excédent de production vers des pays voisins. Comment donc expliquer la situation de Nouakchott et de Nouadhibou marquée par une distribution d’électricité de plus en plus perturbée ? C’est plus facile à comprendre qu’à expliquer. Les mauvaises études de faisabilité des projets et la corruption, à tous les niveaux, sont deux des sources les plus vives des difficultés administratives, financières et techniques où se débat actuellement la Somelec. Les délestages subis à Nouakchott, Nouadhibou, Zouérate et en quelques autres grandes villes du pays en sont les conséquences. Les moyens financiers et les recettes de la société ont été dilapidés, après leur « atterrissage » dans les caisses du Trésor public. C’est d’ailleurs pourquoi les responsables de la Somelec et ceux du département en charge de l’énergie sont obligés de dissimuler les raisons véritables et réelles de ces pannes répétitives. Aucun responsable de quelque niveau que ce soit ne veut prendre sur lui le risque de révéler le pot aux roses ou d’avancer des arguments réellement pertinents. Mais la vérité, tout le monde la connaît. Ould Abdel Aziz n’a pas seulement fait, de l’énergie, la priorité de ses priorités mais, aussi, une affaire personnelle, dans le sens lucratif du terme.
Il a maintenant quitté le pays. Laissant, derrière lui, une capitale et des villes de l’intérieur tout en lumière. Mais, aussi, une autre réalité. L’électricité obtenue par énergie alternative ou renouvelable a englouti, entre 2009 et 2014, près de cent vingt-quatre milliards d’ouguiyas injectés dans des réalisations parfois peu fiables, toutes loin des résultats escomptés, ou qui ont échoué faute d’études techniques de faisabilité concluantes en amont.
Aujourd’hui, les responsables de la Somelec sont devant un constat amer. L’électricité n’a pas été produite et transportée par intérêt de développement à la base ou par nécessité, mais pour engager des dépenses surréalistes et justifier des dépenses inutiles. Les équipements et les pièces de rechange sont achetés à des prête-noms facturant, au prix des pièces d’origine, des contrefactions ou des « adaptations » qui ne résistent pas à une exploitation prolongée. Des générateurs électriques datant de la seconde guerre mondiale ou d’époques révolues livrés par des vendeurs incapables d’en assurer le service après-vente. Des centrales électriques d’occasion ou en fin de vie fournies, clés en main, par des fournisseurs qui n’arrivaient pas à s’en débarrasser faute d’acquéreurs. Des milliers de panneaux solaires vendus aux acheteurs par « les acheteurs », pour être implantés sur des sites sans intérêt économique valable. Faute de maintenance, ils sont laissés à l’abandon, exposés au pillage, aux intempéries ou autres contraintes environnementales, comme le mouvement des dunes de sable, phénomène récurrent en notre pays. Des parcs de production sont construits pour fournir des quantités d’énergie sans commune mesure avec les besoins de leur zone d’implantation et leur surplus ne peut pas être transporté, faute de moyens financiers, là où le besoin se fait ressentir. Enfin, beaucoup d’études n’ont pas tenu compte des charges récurrentes des projets dont elles étaient censées expertiser la faisabilité. C’est dire que la production de l’électricité, dans notre pays, est un véritable carnage économique et financier, opéré, sur un socle de gabegie et de sabotage délibéré, par un clan connu organisé en filière que personne ne peut ou veut dénoncer.
Socle de gabegie et de sabotage
Donnons quelques chiffres pour se faire une idée de l’importance de l’enveloppe financière injectée dans les investissements pour la production, le transport et la distribution de l’énergie électrique, depuis qu’Ould Abdel Aziz a volé au secours de la Somelec en 2009 : 43.099.650 d’euros dépensés pour le financement de la centrale éolienne de Nouakchott ; 60.000.000 d’euros injectés dans la construction de la Centrale modulaire de 36 Mw du wharf de Nouakchott, financement combiné de l’Etat Mauritanien, du FADES, de la BID et du Japon ; 72.000.000 de dollars dépensés pour augmenter la capacité de la centrale duale de 60 mW, financement la BID avec participation de l’Etat mauritanien ; 23.900.000 euros, financement combiné du FADES et de l’Etat mauritanien, pour l’extension de la centrale de Nouadhibou et de ses réseaux ; 1.734.990.976 UM, financement de l’Etat sur ses fonds propres, pour la réhabilitation de la centrale de Nouadhibou et l’extension de son réseau ; 1.185.730.617 UM, financement de l’Etat sur son propre budget, pour l’électrification de la nouvelle ville de Tintane ; 3.335.473 euros, financement combiné du FADES et de l’Etat mauritanien, pour un poste de source dans la wilaya de Nouakchott-Nord ; 5.308.066 euros, financement combiné du FADES et l’Etat mauritanien, pour un poste de source et injections dans la wilaya de Nouakchott-Ouest ; 10.585.481 euros dont un avenant de 3.500.000, pour le projet d’électrification de la vallée Rosso/Boghé ; 3.000.000 de dinars koweitiens, pour l’extension et la réhabilitation des centrales de Néma, Timbédra, Aïoun, Tintane, Kiffa, Guerou, Sélibaby, M’Bout, Tidjikja, Aleg, Magta Lahjar, Boutilimit, Akjoujt, Bababé, Bassiknou, Chinguetti, R’Kiz et pour la fourniture et le montage de trente-cinq groupes électrogènes pour les localités d’Aleg, Guérou, Tintane, Aïoun, Néma, Sélibaby et Chinguetti ; 5.000.000 dollars, financement de la société Total, pour un appui aux projets d’alimentation en énergie solaire des villes de Kiffa et Néma ; 5.411.646.750 UM, financement combiné de l’Etat mauritanien, du FADES et de l’OFI, pour le projet de mise en place du Centre National de Conduite (CNC) destiné à utiliser les moyens modernes de supervision et de conduite à distance du réseau ; 122.000.000 euros, financement du Fonds Arabe pour le Développement Economique et Social (Arab Fund for Economic and Social Development -AFESD), pour la mise en place et le développement d’une seconde centrale éolienne ; 14.400.000 euros, financement combiné de l’Agence Française de Développement (AFD), Union Européenne et Etat mauritanien, pour la centrale hybride de Kiffa.
Entre 2009 et 2014, Mohamed Ould Abdel Aziz a ainsi obtenu et injecté, dans l’électricité, un volume global de financements de 206.435.000 euros et près de 166.600.000 dollars. A ces chiffres, il faut ajouter 2.935.000.000 ouguiyas d’investissements sur fonds propres de l’Etat. Cela signifie que, dans le domaine de la production et du transport de l’électricité, les prouesses réalisées, par le chef de l’Etat sortant, pour nous sortir du noir des délestages hérités de l’époque d’Ould Taya, ont coûté à la Mauritanie la coquette somme de 124 milliards d’ouguiyas. Une note très salée pour des résultats techniques très mitigés.
Le président sortant a laissé derrière lui des villes éclairées, de l’électricité accessible aux foyers, partout sur le territoire national mais, malheureusement aussi, une culture de peur qui étreint nos responsables. Ceux-ci affichent un silence-radio total sur la gabegie et les détournements occasionnés par le financement de projets très mal étudiés et très mal exécutés. Un silence de marbre surtout observé chez les responsables de la Somelec et du ministère de l’Energie impliqués dans les études, l’approbation des projets, les devis, les cessions des marchés, l’exécution des projets, leur suivi, leurs contrôles techniques et les règlements des factures. Malheureusement et fort regrettable, c’est bien justement le silence de ces responsables, à tous les niveaux de la chaîne, qui a encouragé ces investissements à risques. Mais ce que ces responsables ne savent pas encore, c’est qu’ils seront surpris le jour où ce silence sera retenu contre eux.
Ajoutons, enfin, qu’en ce pays, il y a des dossiers que personne n’a intérêt à ouvrir. Même pas le nouveau Président. Contrairement à ce que beaucoup croient, Ould Ghazwani n’a jamais été impliqué, à aucun moment, ni dans la chaîne des montages, ni dans celles des réalisations ou des règlements financiers de ces projets. Mais un chef d’Etat reste responsable des conséquences de ses décisions. Certains dossiers de projets exécutés par les régimes qui se sont succédés jusqu’à aujourd’hui furent ficelés sur fonds de corruption ou de scandale. Une fois ouverts ou soumis à la justice, ils peuvent causer des dégâts collatéraux énormes sur les relations du pays avec ses bailleurs de fonds, ses partenaires et autres donateurs. Il est donc plus souvent dans l’intérêt national de classer ces dossiers sans suites, pour « raison d’Etat », que de les faire éclater au grand jour.
Le passé est passé. Je pense, personnellement et sincèrement, qu’il ne sert à rien de revenir en arrière pour remuer le couteau dans une plaie très infectée. Ce qui ne doit pas empêcher les premiers responsables de la SOMELEC de prendre au moins leur courage républicain à deux mains, dresser un état des lieux et un bilan réel de la situation de la société, permettant ainsi aux « nouveaux anciens » responsables de l’énergie de trouver des solutions définitives en vue d’une distribution fiable de l’électricité. Tout le monde sait que les DG de la Somelec qui se sont relayés ne sont pas responsables de la situation où se retrouve l’institution, même si, dans les faits, ils sont administrativement et pénalement responsables des détournements et des malversations opérés sous leur direction respective. Choisis généralement sur le tas pour leur fidélité au chef de l’Etat, ces responsables savent que ce sont ces malversations et ces détournements qui ont plongé la société dans cette situation qui va de mal en pis.
Ils doivent, à mon avis, ordonner une expertise technique chargée de dresser un état réel des lieux, après le passage du cyclone « gabegie » qui a laissé derrière lui, après neuf années de progression, un énorme et désolant désastre économique et financier. Mais s’ils préfèrent garder le silence, de peur que ce qu’ils disent ne soit retenu contre eux, ils doivent néanmoins savoir que les générateurs révisés ou « arrivage » d’Europe qu’ils ont achetés, réceptionnés et mis en exploitation ne tiendront pas aussi longtemps qu’ils le pensent. Preuve avec les délestages de Nouadhibou, suivis de ceux de Zouérate et maintenant de Nouakchott. Il faut qu’on se dise la vérité, avant que l’éclipse totale de lumière ne couvre l’ensemble du pays et que la Somelec ne passe d’exportatrice d’électricité à importatrice de bougies.
Mohamed Chigali
Journaliste