Cent trente Maliens expulsés en Mauritanie par l'Espagne

En début d'année, l'Agence européenne de contrôle des frontières, Frontex, et le ministère de l'Intérieur espagnol ont expulsé 130 Maliens détenus dans les centres de rétention de l'archipel espagnol des Canaries vers la Mauritanie, pays avec lequel l'Espagne a depuis 2003 un accord bilatéral de rapatriement des citoyens de pays tierces entrés illégalement sur son territoire. Nouakchott les a ensuite conduits au Mali, malgré la protection internationale dont ils auraient pu bénéficier.

de notre envoyée spéciale à Grande Canarie, 

Mody Cissoko et Sadio Diara disent avoir été prévenus à 2h du matin le 20 janvier 2020 qu'ils allaient être expulsés vers la Mauritanie neuf heures plus tard. Ils étaient détenus depuis 53 jours dans le centre de rétention situé au nord de l'île de Grande Canarie. Ils ont été escortés au petit matin par les forces de l'ordre vers l'aéroport de l'île et sont montés à bord d'un avion de Frontex, l'Agence européenne de contrôle des frontières. 

Violation du droit international

L'ordre de leur expulsion aurait été donné par le ministère de l'Intérieur espagnol en vertu d'un accord bilatéral signé avec la Mauritanie en 2003, accord qui permet à Madrid de renvoyer vers la République islamique non seulement les ressortissants mauritaniens entrés illégalement sur le territoire espagnol, mais également toute personne provenant d'un pays tiers et qui aurait pu transiter par la Mauritanie, avant de toucher le sol espagnol. 

Ce sont en tout 130 Maliens qui entre le 20 janvier et le 2 mars 2020 ont été expulsés à bord de quatre avions affrétés par Frontex. « Il est interdit d'expulser une personne arrivant d'un pays en guerre, même indirectement,souligne l'avocate Vanessa Hernandez Delgado, qui fournit un accompagnement juridique à de nombreux migrants sur l'île de Tenerife. L'État espagnol s'abrite un peu derrière cet accord bilatéral, il triche. Ce qui est sûr et qui a pu être corroboré, c'est que de façon indirecte, il y avait des expulsions au Mali. Cela me paraît être un contournement du droit en vigueur. »

Selon la convention de Genève et le règlement de Dublin, dont est signataire l'Espagne, tout migrant fuyant un État en guerre doit être informé de ses droits et de la possibilité d'entamer une procédure de demandeur d'asile. Mody Cissoko et Sadio Diarra assurent en avoir été privés, malgré avoir clairement manifesté leur volonté de bénéficier d'une protection internationale.« Après cinq jour de traversée en mer sur une pirogue, nous sommes arrivés aux Canaries et avons été conduits au commissariat et interrogés, raconte Mody Cissoko. Nous avons été détenus trois jours puis nous sommes passés devant un juge. J'ai dit que j'étais Malien, que je venais pour être protégé, car il y avait la guerre dans mon pays. »Son compagnon d'infortune, Sadio Diarra, confirme : « Nous avons demandé l'asile, mais on nous a répondu que l'on ne pouvait pas y avoir droit. Cela m'a beaucoup étonné, ça m'a choqué. Je ne m'attendais pas à ce qu'un pays européen refuse l'asile aux immigrants. »

Deux agents du Défenseur du peuple, instance en charge de vérifier le respect des droits de l'Homme en Espagne, étaient à bord de l'avion de Frontex qui a transporté Mody, Sadio et 44 autres migrants vers la Mauritanie. Leur rapport signale que « plusieurs personnes rapatriées ont déclaré ne pas avoir été informées de la possibilité de solliciter l'asile ». La recommandation du Défenseur du peuple de mieux informer les migrants a beau avoir été officiellement acceptée, trois autres vols ont eu lieu dans les cinq semaines suivantes, vraisemblablement dans des conditions identiques.

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سبت, 31/10/2020 - 17:12