Tous ceux qui ont passé des dizaines d’années dans de longues études et des recherches difficiles, au prix de mille sacrifices, familiaux, matériels et personnels, vivant souvent avec le minimum et poussant l’adversité jusqu’à bout de souffle au nom du savoir et de la science, pour obtenir au bout du monde un Doctorat, ne peuvent que se poser des questions sur la prolifération indue de ce titre.
Cet ultime couronnement de la reconnaissance académique, ce diplôme des diplômes, cette marque indélébile d’une abnégation qui confère à son titulaire l’admiration et le respect, le doctorat, mérite notre attention.
Le doctorat (du latin doctorem, de doctum, supin de docere, enseigner) est le grade universitaire le plus élevé.
Dans la plupart des pays, la préparation d'un doctorat dure en général trois ans à cinq ans (durée jugée normale en sciences formelles et naturelles) et peut se prolonger plus longtemps en sciences humaines et sociales (six ou sept ans en droit). En 2013, une étude de l'AÉRES (l’Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur) dévoile que, en France, « cette durée calculée à partir du nombre global de doctorants (14 000) et du nombre de soutenances par an (1650) est de 8,5 années, ce qui conduit à une estimation du taux moyen d’abandon de près de 40 % »6.
Ceci permet de comprendre aisément que des titulaires de doctorats authentiques, doctorat d’Etat et doctorat d’université, se sentent offusqués par ce foisonnement de diplômes aux appellations nouvelles qui toutes contiennent le terme « Doctorat », et qui ne correspondent pas aux standards de l’acquisition académique de cet ultime grade universitaire.
En effet, voici que ces dernières années apparaissent sous l’impulsion d’une mode « anglo-saxonne », des diplômes portant tous le label « Executive ». Ce fut les fameux Executive Master of Business Administration (E-MBA), puis arrivèrent les Exécutive Doctorate of Business Adminstration (E-DBA) et qui peuvent aussi porter sur d’autres domaines que le Business Administration.
Le constat à l’égard de ces diplômes « Executive » :
- Ils s’adressent à des professionnels ayant plusieurs années d’expérience dans leur domaine
- Ils sont délivrés à des professionnels qui n’ont forcément les diplômes prérequis (exemple Master) pour le doctorat
- Ils coûtent très chers (Exemple : le EDBA, HEC de Paris, coûte 92.950 Euros)
- Ils se préparent dans des délais variables en fonction des établissements qui les délivrent, mais ont cette caractérise que le contenu qu’ils délivrent, en cours, notamment est très réduit.
- Les documents (mémoire, thèses) qui sont présentés par les candidats pour obtenir le E-MBA ou E-MDBA, sont sans commune mesures avec les mastères et doctorats classiques.
- Ils sont le plus souvent délivrés en on-line.
Ces diplômes s’adressent donc à des professionnels en exercice généralement (entrepreneurs, chef d’entreprise etc.) qui veulent capitaliser leur expérience, à travers une recherche qui aura une valeur ajoutée pour leur formation.
Dans tous les cas ces formations « executive », ne peuvent être considérés comme académiques mais des comme leur nom l’indique une distinction professionnelle, sur la base de l’expérience et non pas d’un mémoire ou d’une thèse universitaire, mais comme un mémoire « d’exercice ».
En effet, comme cela a pu être noté « dans la plupart des domaines, la thèse est-il est vrai un document approfondi constituant souvent plusieurs centaines de pages qui représentent plusieurs années de travail des meilleurs étudiants de fins d’études universitaires… »
Et même pour les thèses de médecine, « les médecins (déjà docteurs) qui se destinent à la recherche, et souvent à l’Université, refont une thèse. Cela leur permet de devenir (si la thèse est bonne) maître de conférences, chargé de recherches ou, plus tard encore, professeur d’université (exceptionnellement, on trouve parfois des maîtres de conférences qui ne sont pas docteurs, plus exceptionnellement encore des professeurs d’université). Ces docteurs en médecine inscrivent ainsi un « vrai sujet de recherche », de thèse, pour soutenir une thèse de médecine incorporant une véritable recherche. Ces médecins-là passeront plusieurs années sur leur thèse (tout en travaillant souvent en service hospitalier) pour devenir des chercheurs accomplis (chercher, trouver et publier). » (https://www.hervecausse.info/Le-titre-de-docteur-n-appartient-pas-aux-medecins--N-est-pas-docteur-qui-veut-et-qui-l-est-a-son-honneur--Mise-au_a249.html )
En droit, en économie et dans toutes les disciplines universitaires la thèse de doctorat est l’aboutissement de plusieurs années de travail, de recherches après la licence, la maitrise et le mastère. D’autre part, l’inscription en thèse de doctorat fait l’objet de sélection rigoureuse, par une commission de thèses de l’université et une sélection rigoureuse des sujets se faisant suivant des paramètres stricts, sur l’intérêt scientifique du sujet retenu, de son apport par rapport aux recherches déjà effectuées etc. La thèse de doctorat a une universalité à travers son apport à la recherche scientifique qui la « thèse » de l’Executive Doctorate, n’a pas.
Cette dernière est toute centrée sur son titulaire, son expérience et son objectif d’améliorer cette expérience par des outils, méthodes et concepts nouveaux.
Maintenant qu’en est-il du diplôme obtenu cette semaine par le Premier ministre ?
Voici les données :
- Le premier ministre s’est inscrit en 2017, dans la promotion - Executive DBA Dakar – Promotion n°4 (2017-2020).
- Coût total du EDBA : environ 21 000 euros de frais d’inscription.
- Le programme peut être suivi principalement en ligne.
Soit :
- Première année : 16 jours de séminaires (4 jours en « conduite de thèse », 8 jours en « Paradigmes thématiques I et II » et 4 jours en « Méthodologie qualitative et quantitative »)
- Deuxième année : 3 jours en suivi de thèse
- Troisième année : 3 jours en suivi de thèse.
- Total : 22 jours en 3 ans (durée du programme.)
Il a obtenu son Executive Doctorate in business administration le 1er octobre 2020.
Ce « diplôme » peut-il être assimilé à un doctorat ? Comparons avec un doctorat d’université.
Pour en juger, voici le programme d’un doctorat d’université en Sciences de gestion, à titre d’exemple, celui de l’Université Paul Valérie-Montpellier 3 où l’admission est subordonnée à l’obtention d’une note de 14/20 au mastère.
« La formation doctorale est organisée au sein des Écoles Doctorales et d’un Collège Doctoral Languedoc Roussillon.
Elle comprend un encadrement scientifique, assuré par : le Directeur de thèse ainsi que par l’Unité de Recherche qui accueille l’étudiant, et une formation, prise en charge par l’École doctorale.
Cette formation est organisée autour de trois domaines une formation à la Recherche et par la Recherche, des formations transversale et une aide à l’insertion professionnelle.
L’ensemble de la formation doctorale constitue une expérience professionnelle de recherche sanctionnée, après soutenance de thèse, par la collation du grade de docteur. La durée légale de la thèse est de trois ans pour les doctorants ayant un contrat et 6 ans pour les non financés.
L’autorisation de soutenance est délivrée après :
- La justification de la formation
- La publication d’une production scientifique évaluée par les pairs (comité de lecture)
La formation proposée par l’École Doctorale est organisée par année, et constituée d’un tronc commun et d’options.
Afin que le/la doctorant(e) puisse organiser un parcours de formation équilibré sur les trois années, il est recommandé de :
- Respecter l’articulation Tronc Commun/Options
- Valider annuellement les crédits de formation afin de ne pas devoir acquérir la quasi-totalité des crédits durant la troisième année de thèse.
En effet, au terme des trois ans le/la doctorant(e) devra avoir validé 100 Crédits Formation(CF), avoir une publication scientifique et l’autorisation de soutenir sa thèse. » (https://www.univ-montp3.fr)
Notons enfin que tout au long des trois ans, le doctorant doit assister aux conférences, séminaires, colloques, ateliers, Journées doctorales, Journées d'étude etc.
Nous comprenons donc que ni au niveau du contenu pédagogique, ni à celui de l’encadrement, ni au niveau de la durée ou à la densité du travail à fournir par le doctorant d’université, l’on puisse comparer un « Executive Doctorate » à un Doctorat d’université. Et seul ce dernier confère le titre de docteur, au sens premier de ce titre.
Ainsi « l’Executive Doctorate », ne serait qu’un renforcement de capacités de professionnels sur des thématiques leur permettant de mieux appréhender et avancer dans leur métier.
Mohamed Bilal, ne s’est pas lui-même trompé sur ses objectifs professionnels et sur ce diplôme en s’inscrivant en DBA, puisqu’il mentionne en répondant à une interview le 14 septembre 2020, avec l’association des anciens du Business Science Institute : « Je me suis engagé dans une thèse d’Executive DBA dans l’objectif, d’approfondir , conceptualiser et documenter cette expérience notamment dans le domaine des infrastructure BTP en vue d’en faire profiter les professionnels du secteur et de renforcer mes connaissances théoriques à ce sujet ».
En effet, c’est cela que fut le premier rôle assigné aux Executive MBA avant que l’on introduise les Executive Doctorate, que l’on a tendance à assimiler à des doctorats au sens académique du terme. Alors qu’il n’est qu’un diplôme professionnel de renforcement de capacités.
Ceci dit, il reste que la valorisation de l’expérience, particulièrement pour les diplômes du supérieur pour entreprendre une thèse de doctorat est une excellente chose. Faudrait-il cependant que tous les critères scientifiques, académiques et pédagogiques soient réunis pour qu’il s’agisse d’un véritable cursus de doctorat et que si des aménagements peuvent être accordés aux professionnels ayant de solides expériences dans leur domaines , ce sera surtout au niveau de la durée (exemple 2 ans et demi au lieu de trois ans) puisqu’ils ont déjà capitalisé une expérience leur permettant d’enrichir leur thèse, mais aucune concession à faire sur le contenu scientifique, en quantité, qualité, durée de la recherche, participation aux conférences, colloques , séminaires, ateliers, recherche et publication scientifiques .
Il faudrait dire que les diplômes « Executif » sont devenus ces dernières années pour beaucoup d’universités des « poules aux œufs d’or », par lesquels ils attirent sur des cycles de formations extrêmement courts sur 3 ans en contrepartie de frais d’inscriptions faramineux, des professionnels en exercice capables de débourser pour obtenir un titre de « docteur », sans pour autant que les programmes qu’ils proposent ne soient assimilables à ceux de véritables cycles de doctorats. Ni même que leur organisation réponde aux standards des écoles doctorales et autres cursus complémentaires aux thèses.
Porter le titre de Docteur est lourd de conséquence, il est à la fois l’expression d’un attachement au savoir, à la promotion de l’homme par la connaissance, au rejet de l’ignorance et la falsification.
La cour de Cassation française a elle-même sanctionné ceux qui dénient ou font douter sur le vrai titre « docteur », de ceux qui le détiennent (Cour de cassation chambre criminelle Audience publique du 20 janvier 2009 N° de pourvoi: 07-88122 – Base Légifrance).
Enfin, il reste quand même louable que toute personne qui recherche à progresser scientifiquement en allouant à sa promotion intellectuelle des moyens financiers conséquents, mérite considération Toutefois, il convient de ne point se tromper de cursus. Car toute « thèse » reste hypothèse…de doctorat. Et ce qui fera la différence c’est le savoir et les connaissances déjà acquises de celui qui l’a soutenue…et en cela la thèse, jamais, pour celui déjà bien formé, ne sera une prothèse.
Pr ELY Mustapha