Comme bien des téléspectateurs sur notre planète bien mal en point, j’ai suivi le discours de l’actuel premier ministre israélien devant le Congrès américain, haut lieu de la gouvernance politique mondiale ; sans illusion aucune, juste curieux de savoir si l’orateur allait battre son propre record historique de mépris des faits têtus, tel l’insoutenable génocide systématiquement à l’œuvre à Gaza.
Ameuter l’Amérique via un discours moyenâgeux, éculé au sujet d’une altérité barbare, prête à démolir les fondations de la « civilisation », relève d’un fantasme irrespectueux de l’intelligence de l’Américain lambda, et, a fortiori, de l’élite politique de ce grand pays démocratique. Les moyens techniques en matières de télécommunication, d’information et d’investigation journalistique et judiciaire, sont aujourd’hui performants au point de rendre irrémédiablement caducs les refrains propres à l’euphorie raciste des premières thèses coloniales, deux siècles en amont.
La barbarie c’est la destruction à plus de 80% des maisons de Gaza, sans égard aucun pour leurs occupants, fussent-ils des enfants en bas âge. La barbarie, c’est l’usage disproportionné de la force des armes hypersophistiquées, pour détruire délibérément les installations de ravitaillement en eau (hors d’usage à 94%, selon Oxfam), les hôpitaux, les écoles, les routes susceptibles d’aider à l’acheminement des produits de première nécessité, les lieux de culte musulmans et chrétiens. La barbarie c’est soumettre des milliers de familles à des ordres déménagement incessants, sous prétexte de les épargner des bombardements meurtriers, tout en les …bombardant quand même, chemin faisant ou à peine arrivés à destination, avec des victimes civils qui se comptent, à présent, par dizaines de milliers. La barbarie, c’est le blocus étanche illégalement imposé, des décennies durant, au plus grand camp de réfugiés au monde, témoin “gênant” des atrocités impunément perpétrées contre la population civile palestinienne, trois quarts de siècle durant. La barbarie, c’est l’accablante conclusion unanime à laquelle sont arrivés tous les organes spécialisés des Nations Unies : l’UNRWA, l’OMS, le HCDH, la CPI…
Il est indéniable que la fin du calvaire du peuple palestinien dépend, en grande partie, de l’issue de la bataille d’opinion que livrent vaillamment les défenseurs de la cause palestinienne aux États-Unis ; aujourd’hui, il y a vraisemblablement une majorité dans la rue américaine, en faveur de cette cause, car ce grand peuple pluriel est uni autour d’idéaux universels, clairement stipulés dans sa loi fondamentale.
La visite qu’effectue, en ce moment, le premier ministre israélien, sans invitation du président américain, ne vise pas uniquement à obtenir les “outils” pour parachever le « sale boulot » à Gaza, mais aussi à galvaniser l’opinion publique américaine, en période d’effervescence électorale inégalée dans ce pays, en vue de colmater la brèche diplomatique béante provoquée par l’intransigeance politique du visiteur impétueux et du “shift”, dans l’opinion publique américaine, en faveur d’un cessez-le-feu durable à Gaza, et, plus généralement, de la paix en Palestine. D’un tel « shift », la nouvelle candidate démocrate, Kamala Harris, tiendra certainement compte, car il y va de sa « compétitivité » face à un Donald Trump favoris, pour l’instant, des sondages. Les Américains ne s’y trompent pas, car, il s’agit bel et bien de choisir entre le camp favorable à la paix e à la liberté, d’une part, et de celui enclin à la guerre et au fascisme, d’autre part. Pour ne donner que deux exemples, il est très significatif qu’une personnalité publique américaine aussi influente que Nancy Pelosi, boycotte le discours du premier ministre israélien au Congress ; les propos justes de l’éminent Bernie Sanders, au sujet des événements à Gaza, sont tout aussi significatifs ; l’intolérable génocide a, indubitablement, fait bouger les lignes, en ce qui concerne la perception qu’avaient les Américains de la question palestinienne.
Au delà des postures protocolaires et de la subtilité du phrasé diplomatique, le timing de cette visite, de nature à interférer dans un branle-bas préélectoral américain déjà passablement chahuté, et le profil plutôt « encombrant » de l’hôte israélien, désormais impopulaire, réputé intransigeant, ayant maille à partir avec la justice, sur le plan domestique, et l’objet d’un mandat d’arrêt international de la CPI, risquent fort d’exacerber les tensions actuelles au sujet de Gaza, entre les deux exécutifs américain et israélien, sous la double pression des opinions publiques dans les deux pays alliés.
Les récents efforts diplomatiques louables de la Chine, en faveur de l’unité nationale palestinienne, combinés avec l’élan mondial de solidarité populaire, spécialement aux États-Unies, procurent une “fenêtre” inespérée pour sortir la solution des deux États de l’oubli ; cette solution reste la seule à même de promouvoir une paix juste et durable en Palestine.
Isselkou Ahmed Izid Bih
Ex-recteur d’université