Ceci est un manuel destiné à tous ceux qui voudraient piller leur pays. Surtout s’ils sont africains…et bien entendu mauritaniens. Il paraît qu’ils sont plus prédisposés à la chose. Notamment quand ils sont dans une situation typique : une (con)sanguinité avec le pouvoir.
Toutefois, les autres peuples ne sont pas exclus de son utilisation, chacun pouvant l’accommoder à l’insouciance de son peuple. Ayant moi-même expérimenté ce pillage… de loin.
Avant de penser à faire fortune et la conserver (III) Je vous conseillerai les règles suivantes et les attitudes qui vont avec (II). Toutefois, auparavant, il convient de connaître les ingrédients qui expliquent le succès des pilleurs et de bien les mélanger, il y va de l’ampleur du pillage (I)
I- Ce qu’il faut savoir sur le peuple, pour mieux piller
Tout peuple est guidé par deux choses ; soit l’élan patriotique, soit l’élan matériel.
Dans nos pays, l’élan matériel a depuis longtemps avalé le patriotique. Bouche affamée n’ayant pas d’oreilles, ce n’est surtout pas l’hymne national qui va la préoccuper. Donc sachant cela, il faut absolument s’entourer de bouches à nourrir. Les voisins, les parents et la tribu tout entière feront l’affaire. Ils seront votre défense contre les mauvaises langues. Vous les nourrissez c’est normal. Ils éviteront de mordre la main qui les nourrit (tant qu’elle est au pouvoir).
Sachez aussi qu’une certaine dose de personnes habilement achetées à petits frais au sein de l’appareil d’Etat feront tout pour que vous soyez dans les petits soins de certaines administrations qui pourraient vous porter du tort, notamment côté justice et fisc.
Soyez généreux et n’hésitez pas à déclarer à tout vent que vous détestez l’injustice, surtout celle qui laisse les gens démunis. Gens dont vous êtes le bienfaiteur. Et justement, ils ne sont pas démunis…à cause de vous.
En effet, nos peuples ont acquis depuis tant d’années d’asservissement par des Etats-fouettards (voir mon article intitulé « Psychologie d’un peuple »), un réflexe issu de leur condition : accepter le vice en contrepartie du service. Et quand ce service est sonnant et trébuchant, le peuple est un allié certain, non pas forcément dans la masse mais à travers ceux dont vous vous servirez habilement en tant que relais.
En effet, pour bien piller le peuple, il faut se créer les fameux relais humains qui sont des individus que vous acquérez à votre cause en les payant grassement et qui vous serviront de courroie de transmission avec le petit peuple. Ils véhiculeront l’image que vous voudrez chichement payée.
II- Les règles fondamentales du pillage
Il faut d’abord, identifier son « environnement », son « groupe de travail » et défendre son image.
Premier règle : Identifier l’environnement de pillage
Distinguez dans ce qui appartient à la collectivité publique, ce qui est le plus « juteux ». Ce qui vous permettra de gravir rapidement les échelons de l’opulence.
En effet, pour piller gaiement, il faut savoir par où commencer. Le bout le plus usuel dans certains pays pauvres, comme la Mauritanie, est bien entendu « les projets ». Mais pas forcément. On peut tout piller. La seule condition est de se faire approuver dans son pillage. Approuvé par tous ceux qui profiteront gaiement du butin.
Sachez d’abord ce qu’est un projet. On ne pille que ce que l’on connait bien. Qu’est-ce qu’un projet ?
La définition officielle : quelques millions (ou milliards) d’ouguiyas (ou de devises) destinés à financer une activité économique de développement. Tous les secteurs du primaire au tertiaire sont concernés. Son financement pouvant provenir des ressources propres de l’Etat, de prêts, dons et subventions qui nourrissent la mendicité nationale.
Mais ne vous préoccupez pas de cette définition fort mesquine, la vôtre doit être imperturbablement celle-ci : « Projet : de l’argent à se mettre dans la poche. ».
Pour le mettre dans votre poche, il faut que le projet soit le vôtre.
Les moyens à mettre en œuvre sont simple. Précipitez-vous chez votre cousin (proche ou éloigné, qu’importe) ministre et faîtes-vous nommer directeur du projet.
Ne songez ni à vos diplômes, ni à votre expérience professionnelle, ni à vos capacités de gestionnaire, ni à ce qui vous reste d’intégrité morale, ne songez qu’au mot magique qui vous fera nommer illico-presto : « fifty-fifty ».
Cependant comme vous êtes quelqu’un de « bien », vous tiendrez vos engagements à l’égard du ministre. Roulez-le dans la farine. Il ne pourra pas protester car lui-même est déjà chef de plusieurs projets juteux.
Le projet, c’est un moyen sûr de "bouffer" l’argent du peuple. Mais attention, il faut qu'en terminant la « gestion » du projet en fin de période, réaliser quelque chose.
Exemple : Si le projet est pour réaliser une « autoroute », suffisez-vous de réaliser la « bretelle » et demandez l’année suivante « une réévaluation du projet » pour réajustement des coûts sous-estimés. Et rebelote, reprenez le projet au début. Mais n’oubliez pas le ministre de tutelle. Invitez-le à inaugurer le « projet », son émerveillement sera proportionnel à votre capacité à le rouler dans la farine ou à l’associer au « prochain » projet qu’il ne manquera pas de vous confier vue votre efficacité de gestionnaire.
Cependant si vous ne recevez pas de « projet » de développement dans l’immédiat, rassurez-vous tout peut être objet de pillage. Même le mobilier de votre bureau et les pièces de rechange de votre voiture de service peuvent vous aider à vous faire la main. Exemple, échangez le moteur de la voiture administrative, neuve que votre service vient d’acquérir, avec un vieux moteur et empochez la différence. Et n’oubliez ni le climatiseur, ni les roues, ni les fauteuils. C’est comme ça que l’on finit bon pilleur.
Lorsque, enfin, vous êtes bien rôdé, tournez-vous vers les marchés publics.
Dans nos pays sous-développé, le terme « public » ne signifie pas que le bien est la propriété de l’Etat et donc de la collectivité nationale, mais il signifie qu’il est mis à la disposition de celui qui, dans le public, pourrait se le faire adjuger en corrompant les décideurs publics chargés publiquement de l’octroyer.
Appliqué au marchés publics, il faut être tout simplement le « moins disant », non pas par rapport aux autres offres mais « moins disant » sur l’identité de ceux qui feront passer votre offre avant les autres et des bakchichs qu’ils auront reçus. Plus vous êtes « moins-disant », plus vous aurez tous les marchés publics.
Vous pourrez vendre la craie pour tableau noir au prix du baril de pétrole Brent, ou les ardoises au prix de l’uranium. Qu’importe, puisque de toute façon tous ces produits se retrouvent dans la nature.
Seconde règle : identifier son « groupe de travail »
Par « groupe de travail », il faut entendre deux catégories de personnes qui vont vous servir. La première catégorie, par intérêt. La seconde catégorie par « respect ».
La première catégorie est composée de vos courtisans « personnalisés ». Ceux dont on a un peu parlé plus haut qui vont en cercles concentriques : des membres de votre famille aux membres de votre tribus en passant par les alliés latéraux, collatéraux et tout azimut. De proche en proche, ils vous servent de bouclier et d’instrument efficace de propagande, jusque dans votre village natal. Il suffit pour ce groupe d’être généreux et de savoir distribuer des prébendes.
Toutefois, cette première catégorie, pouvant se disloquer très vite surtout dans les cercles périphériques les plus éloignés de vous (vendant leurs services par exemple au plus offrant), il faut garder au poing l’arme absolue : ne pas seulement financer ses « courtisans », mais aussi les maintenir dans la dépendance financière. C’est une façon ingénieuse de les tenir en laisse et leur faire faire ce que l’on veut.
Exemple, dire partout que vous êtes honnête ou, mieux que cela, vous remettre leurs cartes d’électeurs. Toutes les configurations sont possibles. Et surtout n’hésitez pas à les maintenir dans une dépendance absolue (ravitaillement des grandes familles du village, scolarisation de leurs enfants à vos frais, endettement des personnes de votre entourage etc.) Ils feront tout pour vous. Machiavélique n’est-ce pas ? Après tout ayant décidé de piller votre pays, ce n’est pas quelques personnes de ce pays qui vous feront reculer.
La seconde catégorie de votre « groupe de travail », n’est pas moins importante. C’est celle qui va avoir du « respect » pour vous…parce que vous allez la tenir en « respect ».
Cette catégorie est constituée par tous ceux sur lesquels vous allez détenir une information cruciale et qui pour éviter que vous ne la divulguiez, vous ouvrira toutes les portes dont ils ont la clef. Développez donc une stratégie de collecte de l’information et même d’achat de cette information au prix fort s’il le faut. Plus l’information obtenue est matériellement probante (ex enregistrements audio et vidéos, documents secrets, factures, contrats, tous actes authentifiés), plus elle est importante.
Exemple : on vous propose un document authentique qui prouve qu’une personne haut placée a effectué des opérations financières véreuses dans le passé ou dans le présent, ou qui a reçu des pots de vin en contrepartie, n’hésitez pas à acheter. Cette personne vous sera à tout jamais soumise et ce qui vaut mieux que « la chance et la gloire », vous serez à tout jamais… son mentor !
Et vogue la galère ! « Monsieur le ministre veuillez me nommer untel à tel emploi…monsieur le Directeur général, je veux ce marché …Monsieur le procureur dîtes à ce magistrat de m’oublier…madame la secrétaire d’Etat louez mon immeuble qui ne sera jamais inachevé etc. etc. »
Votre « groupe de travail » s’élargissant, vous n’en serez que plus riche et respectable.
Troisième règle : défendre votre image d’homme « saint »
La communication étant l’outil du siècle, piller devient plus honorable en mettant de son côté les communicateurs. Mettez les journalistes audio-vidéo-scripto-chiro et autres oiseaux à plumes et à micros-cravates qui hantent votre conscience dans votre escarcelle. Et pour cela il y a deux méthodes.
La première est d’une efficacité redoutable. Hélas, elle ne fonctionne véritablement que pour une variante de ces communicateurs, à savoir les « peshmergas ». Faîtes fonctionner votre pompe à sous et vous aurez droit à des articles qui vous placeront juste avant mère Theresa. Ou si vous voulez (pour ne pas faire de jaloux) juste après le plus saint de nos saints musulmans. A vous de choisir celui auquel vous voulez ressembler. Tout est question de la somme passée sous table.
La seconde méthode, n’est pas très honorable, mais certainement efficace. Multipliez les procès et choisissez (grâce à votre « groupe de travail », seconde catégorie) les juges. Et vous avez le choix des griefs à porter aux journalistes qui oseront s’aventurer sur votre territoire. « Diffamation, atteinte à l’honneur, préjudice moral, atteinte à la dignité etc. etc. », tout peut servir. Surtout si vous arrivez à distinguer dans l’ordre des avocats, certains qui prendront bien vos affaires en main, en contrepartie d’une « modique somme ». Certains qui peuvent servir d’avocat du diable. Mais il faut savoir les trouver, ils deviennent par les temps qui courent trop opulents pour accepter des miettes. Certains vous feront même concurrence dans vos groupes de travail.
Comment reconnaître un avocat qui pourra vous servir ? Dîtes-lui simplement que vous voulez défendre la veuve et l’orphelin. S’il éclate de rire, c’est le bon. Et son agressivité à défendre vos sombres intérêts sera proportionnelle à la durée de son rire. S’il s’étouffe de rire, ne le lâchez plus. Vous irez loin dans le pillage de votre pays.
Le triangle d’or : un journaliste véreux, un avocat véreux et un fonctionnaire véreux. La clef de la réussite.
III - Du bon usage de votre fortune pillée
Surtout ne faîtes pas comme ces pilleurs qui dilapident leur fortune. Il faut la réinvestir pour qu’elle devienne « votre » fortune. Aussi pensez à créer le voies et moyens pour que votre fortune se déconnecte de son origine. Blanchissez-là. Faîtes qu’elle prenne un autre circuit économique qui va non seulement la rendre plus « honnête », mais aussi et surtout plus fructueuse et vous plus honorable.
Ainsi, vous pouvez investir dans l’immobilier et tout mettre en dur en votre nom, personne ne pourra vous le contester. En effet, dans certains pays comme la Mauritanie, l’Etat ne s’interroge pas sur l’origine de votre fortune et vous pouvez acheter tout le territoire de Tiris Zemour à la vallée du fleuve et de l’Aftout à Bassiknou. C’est autant dire que votre fortune est bien faite.
Mieux encore, créez une banque, pour mieux blanchir votre argent ou associez-vous aux commerçants qui détiennent le pays et notamment avec ceux qui gardent jalousement les tampons de la douane et ceux du ministère du commerce.
Avec votre fortune, vous faites ce que voulez, mais surtout quel que soit l’investissement que vous allez réaliser évitez qu’il soit dans l’intérêt du pays ! Car franchement comment voulez-vous piller des richesses que vous participez vous-même à créer ! C’est malhonnête. Car se serait vous piller vous-même. Et ça, ce n’est pas tolérable.
En effet pensez toujours à investir dans une activité improductive pour le pays et lucrative pour vous. Exemple le marché des changes, ou mieux encore soyez un commerçant importateur qui comme tous nos commerçants fait le « coup du lapin ». Il importe, vend, crée le besoin, exporte la devise, recrée le besoin en important un nouveau produit et réexporte la devise. Cycle malicieusement vicieux ou le compte du commerçant à l’extérieur est le seul qui croit, pas le pays.
Bref, n’investissez pas dans votre pays, ne générez avec votre fortune pillée aucune richesse pour le pays, car en la pillant, vous vous pillez vous-même. Et ça c’est immoral (dans les valeurs actuelles du pays).
Au contraire, pompez les richesses de votre pays. Car vous devez le savoir : l’Etat ne tombe jamais en faillite. Il peut être pauvre, mendiant, mais jamais en faillite. On prête toujours à l’Etat, on lui fait des dons et il peut s’il est un peu serré côté finance, faire fonctionner (à ses risques et périls, pas aux vôtres !) la planche à billets.
Donc laissez l’Etat s’endetter et quémander. Continuez à piller. Vous rendez un grand service à la nation. Car d’où vient l’argent que nos Etats sous-développés, y compris la Mauritanie, reçoivent ?
Eh bien vous l’avez compris : de la sueur du front des travailleurs d’occident et du patrimoine des blancs.
Ainsi lorsque l’Etat reçoit un don, c’est une part de travail d’une nation occidentale. Et les occidentaux, c’est des « koufars », des mécréants, et leur argent est « halal », permis, donc le piller est une bonne chose. En tant que pilleur vous rendez service à la Nation. Comment voulez-vous qu’une nation musulmane continue à vivre du pain généré par la sueur du front de mécréants.
Le blé, la farine et tous les autres dons méritent qu’on les pille. Donc vous ne pouvez avoir de problèmes de conscience (s’il vous en reste). Vous êtes un pilleur sauveur d’une certaine morale qui s’effrite comme les biscuits du croissant-rouge et le lait en poudre de Caritas international.
Donc amassez fortune en pillant et suivez bien les instructions de ce manuel. Vous rendez service à la Nation. Car en définitive, si votre nation est encore très pauvre malgré ses richesses ce n’est pas seulement à cause de vous. Mais aussi à cause de ceux qui, comme vous, pillent mais qui ont quelque chose de plus que vous : la confiance d’un peuple. Ils sont alors bien plus dangereux car sortis des urnes.
Et si après avoir lu ce manuel, vous n’avez pas encore pillé votre pays c’est que vous êtes vraiment… malhonnête ! Allez-vous inscrire « dans un groupe de travail ».
Pr ELY Mustapha