Il y a eu ces derniers temps une recrudescence des idées d’incitation au meurtre, à la haine et au mépris vis-à-vis de tel ou tel groupe tribal ou ethnique parmi les composantes du peuple mauritanien.
Face à cette évolution dangereuse, l’État a criminalisé le discours d’incitation à la haine, de manière à dissuader ses tenants, en instituant une loi qui sépare la liberté d’expression garantie par la Constitution du discours de haine. Mais cette loi est restée lettre morte.
L’incitation à la haine peut tuer, comme au Rwanda lorsque l’ethnicisme a conduit à la guerre civile, puis au génocide. Cette guerre civile et d'autres conflits qui ont éclaté dans plusieurs pays ont été provoqués par l’incitation à la haine tribale ethnique ou raciale.
Partout dans le monde, une séparation a été instaurée entre la liberté d'opinion et d'expression et le discours de la haine. Autant celle-ci doit être garantie, autant celui-là doit être combattu pour protéger les droits des gens et la sécurité nationale. La répression du discours de la haine est nécessaire parce qu'il s'attaque aux valeurs de tolérance et de coexistence pacifique nécessaires à la vie des communautés humaines.
Les lois modernes garantissent la protection de l'égalité entre les communautés et interdisent les discours de haine. L'article 20, paragraphe 2, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques stipule : « Tout appel à la haine est interdit par la loi. Il est interdit d'utiliser des termes péjoratifs pour désigner des personnes dans la société en fonction de leur race, de leur religion... Tout appel à la haine, qui constitue une incitation à la discrimination, à l'hostilité ou à la violence est interdit par la loi. »
Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, organe composé d'experts indépendants qui surveille la mise en œuvre de la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale par les États parties a déjà, lors de ses réunions, les 9 et 10 mai 2018, recommandé à la Mauritanie en tant qu’État partie d’appliquer la loi mauritanienne N° 023/2018, relative à l’incrimination de la discrimination. Cette loi peut effectivement contribuer à l'éradication de ce phénomène. Rappelons quelques-unes de ses dispositions. Après voir défini le discours de la haine comme « toutes déclarations publiques qui menacent, insultent, ridiculisent ou méprisent un groupe à cause de sa race, de la couleur de sa peau, de son origine ethnique… », la loi définit dans ses articles 6 et 7 les interdictions et l’imprescriptibilité : « En cas d'infraction… le condamné peut… être interdit, en tout ou en partie, de l'exercice des droits civiques, civils et de famille… conformément à l'article 36 du Code pénal. Le racisme, la discrimination et autres formes de discours de haine liés à la race sont des crimes imprescriptibles. »
L'article 11 de la loi stipule que « Quiconque incite à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une race, est puni d'un emprisonnement de six (6) mois à un (1) an et d'une amende de cinquante milles (50.000) à cent mille (100.000) ouguiyas. Il peut également être interdit, en tout ou partie, de l'exercice des droits civiques, civils et de famille pendant cinq ans… » Dans son article 14, la loi spécifie la peine encourue par la personne qui profère le discours de la haine : « Quiconque incite à la haine contre des groupes identifiables est puni d'un emprisonnement d'un à trois ans et d'une amende de cent milles (100.000) à trois cent mille (300.000) ouguiyas. Il peut également être interdit, en tout ou en partie, de l'exercice de ses droits civiques… »
Une importante disposition est prévue par cette loi : en effet, elle stipule dans son article 9 qu'« une journée nationale est consacrée à la lutte contre les pratiques discriminatoires. Cette journée et ses modalités sont définies par décret. » Il est à souhaiter que ce décret définisse comme objectif prioritaire de cette journée nationale la lutte contre le discours de la haine. Une édition de cette journée devrait être consacrée au discours de la haine dans les réseaux sociaux et les moyens d'information électroniques.
Internet est devenu un foyer de discours de haine, notamment à cause du potentiel du réseau à propager ce discours anonymement ou sous des pseudonymes. C'est pourquoi les lois anti-discours de haine gagnent en importance dans les sociétés multiculturelles modernes.
Le développement considérable de l'internet durant les cinq dernières années et le fait qu'il touche maintenant toutes les couches sociales a multiplié le nombre des activistes blogueurs et favorisé l'étalage du linge sale social dans ce nouvel espace vaste et ouvert, le cyber espace créé par les réseaux sociaux.
Les réseaux sociaux ont mis à nu les dissensions sociales et culturelles, exacerbé les désaccords politiques, ce qui a nourri le phénomène du discours de haine et engendré de nouvelles formes de ce discours, notamment la réinterprétation du passé, la reproduction de stéréotypes culturels, sociaux et politiques et la reproduction d'identités étroites et de références primaires.
Le discours de la haine est devenu le terreau de tous les extrémismes. Il constitue désormais une dérive dangereuse du discours politique et sa flemme se propage rapidement dans les médias électroniques et les réseaux sociaux, ceci d’autant plus que la société mauritanienne connait des transformations sociales et politiques propices au développement de ce discours.
Le manque de professionnalisme et de déontologie des médias nationaux a favorisé le déferlement du discours de haine, créant ainsi une zone grise entre les politiciens acteurs des réseaux sociaux, les professionnels des médias et les journalistes. Or du moment que les ambitions des politiciens ne peuvent être arrêtées ou leurs aspirations réduites, et que les extrémistes ne peuvent pas être interdits d'accès aux médias sociaux, la suppression de cette zone grise, en particulier dans la production et la promotion du discours de haine, dépend en grande partie des journalistes et de leur capacité à développer leur professionnalisme, leur indépendance et leur responsabilité sociale.
Un certain nombre de mesures sont à envisager pour lutter efficacement contre le discours de la haine :
Premièrement : Introduire "l’éducation aux médias" dans le système éducatif national, une éducation qui forme des citoyens et les prépare à recevoir et évaluer le flot d'informations déversé par les médias, et à interagir avec l'information reçue. Une telle éducation vise à responsabiliser les citoyens et à les doter des outils permettant de critiquer le contenu des médias. Cette culture de la vérification des informations est à même de former une opinion publique capable d'assumer les changements sociaux et les transformations politiques, culturelles et informationnelles.
Deuxièmement : Le bannissement du discours de la haine des médias professionnels nécessite une formation qualitative qui élève le niveau professionnel des journalistes. Le professionnalisme et l'indépendance des médias les empêchent d'être une plate-forme pour le discours de haine et un relai de transmission des discours extrémistes.
Troisièmement : L’une des sources d’incitation au discours de haine est la course effrénée au scoop entre le journalisme citoyen et les médias sociaux d’une part, et la presse et les médias professionnels d’autre part. D'où la nécessité d'élaborer un code d'éthique général et des règles professionnelles dans le traitement par la presse et les médias professionnels du contenu produit par le public.
Quatrièmement : Les situations conflictuelles et les périodes de crise politique et sociale sont des environnements et des périodes propices à la polarisation sociale et politique, au mépris et la haine des autres. Ce genre d'environnements nécessite la mise en œuvre de guides éditoriaux et éthiques à l'usage des moyens d'information pour combattre l’incitation à la haine et au mépris.
Cinquièmement : Changer la culture médiatique en vigueur dans les salles de rédaction et développer une culture de la tolérance, une culture qui respecte le pluralisme et la diversité, instille les valeurs de tolérance et crée une résistance et une immunité de la communauté nationale contre le discours de haine.
Sixièmement : Créer un observatoire national qui suit et surveille le discours de haine dans les médias professionnels et dans les réseaux sociaux.