L’institution judiciaires et celle de la Magistrature, sous sa forme organisée actuelle, sont apparues dans un contexte historique marqué par une tendance à la spécialisation des différentes activités sociales, économiques et politiques. En matière de règlement des différends et conflits cette spécialisation est centrale pour définir et encadrer les fonctions et rôles dans les différents services judiciaires, internes et externes. Il peut s’agir de situation mettant en conflit des entités étatiques, des populations, des acteurs économiques comme les entreprises nationales ou étrangères, de situation relavant du domaine du contentieux sur la propriété, etc.
Au niveau de la République islamique de Mauritanie, l’institution judiciaire a connu d’importantes mutations depuis la période pré-coloniale, celle des emirats et des groupes tribaux traditionnels notamment, en passant par la parenthèse coloniale elle-même, jusqu’à l’avènement de l’État moderne.
Cette institution porte désormais le nom de pouvoir judiciaire conformément à la Constitution du pays et aux lois organiques.
L’action judiciaire, ses institutions, son cadre humain, ainsi que les différents mécanismes, à leurs divers niveaux, soulignent tous l’importance du pouvoir judiciaire et définissent ses attributions au regard de l’autorité qui lui est attribuée dans l’espace de la République.
Le “caractère républicain” particulier de ce pouvoir le distingue du reste des pouvoirs constitutionnels (exécutif et législatif) pour lui assurer son indépendance, son impartialité et son intégrité de manière à ce qu’il exerce les missions et rôles qui lui sont dévolus en vertu de sa compétence. A cet égard, nous pouvons noter les points suivants :
Premièrement : le pouvoir judiciaire, un pouvoir constitutionnel qui se caractérise par son indépendance
De ce fait, il doit être loin de tout ce qui dénote d’un attachement à des allégeances étroites : équilibres tribaux, ethniques, régionaux, etc. Sinon, comment parler d’indépendance, condition essentielle pour son existence, l’exécution de sa mission, et l’évaluation de son travail !?
Deuxièmement : le pouvoir judiciaire, un « pouvoir républicain » immuable
Dans les différentes démocraties, les composantes de la société sont représentées au sein des organes et institutions de l’État conformément aux règles fondées sur la base de l’article 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Cet article stipule explicitement que ‘’la volonté du peuple est la source de l’autorité. Elle s’exprime par des élections. Elle est juste, conduite sur la base du scrutin secret et la liberté de vote, soit périodiquement, soit à la suite de circonstances exceptionnelles d’urgence’’…
Cependant, le discours sur la représentation des composantes au niveau de l’institution judiciaire pose problème. Ce discours contredit le caractère républicain “spécial impartial’’ du pouvoir judiciaire. Car, il n’est pas conforme à la mission de celui-ci.
Le pouvoir judiciaire, contrairement aux autres pouvoirs constitutionnels, a certaines caractéristiques qui le distinguent des autres, à savoir :
1- “sa stabilité”, parce qu’il n’est pas soumis à des élections spécifiques dont les membres seraient élus régulièrement pour une durée déterminée.
2- Ce n’est pas, non plus un ‘’pouvoir représentatif’’ des composantes de la société dans laquelle il s’exerce.
On observe que la ‘’nature républicaine’’ du pouvoir judiciaire dont il est question réside ici dans les avantages qu’il apporte dans les sociétés où il se situe où la vie est contrôlée dans ses divers aspects et contradictions.
Pour atteindre ses objectifs, le pouvoir judiciaire doit faire preuve : d’impartialité, d’intransigeance et d’objectivité.
Ces caractéristiques sont nécessaires pour que cette autorité républicaine particulière accomplisse son travail de la manière prévue dans la Constitution et les lois qui la régissent dans ses multiples et importantes fonctions en dehors de toute interférence ou pression politique ou sociale.
Il n’est pas surprenant que ces caractéristiques et conditions existent également dans les règles juridiques applicables à partir des textes et des arsenaux juridiques contraignants.
Troisièmement : les juges, la prestation de serment et la loyauté
Qui dans le milieu judiciaire n’a pas été formé sur la base de règles et textes juridiques qui renforcent et consacrent à titre privé ou public la “conviction du juge” et protègent et préservent l’indépendance de » l ‘autorité la justice” ?
C’est ainsi que les magistrats ont, tous, été formés dans le but de remplir pleinement leurs fonctions.
Dès leur entrée dans la Magistrature, les juges prennent l’engagement de respecter les textes et règles de procédure qui garantissent leur indépendance et préservent leur conviction, y compris en Mauritanie.
Pour y parvenir de manière sérieuse et assurer l’impartialité, une mesure procédurale contraignante a été établie pour chaque juge avant qu’il accède à son travail : C’est le mécanisme de »prestation de serment ».
Il s’agit d’un engagement et d’une promesse explicites du juge de respecter tout au long de sa carrière ‘’tout ce qui sert et renforce son acuité et sa vigilance à mettre en œuvre l ‘application impartiale de la loi et d’œuvrer à assurer l’indépendance de la magistrature et à protéger l’honneur des magistrats et
d ‘observer les règles qui renforcent leurs convictions’’.
Nous magistrats, n’avons-nous pas tous juré de veiller à appliquer ces règles et principes chers ? Et ne sommes-nous pas tenus de les respecter à toutes les étapes de notre parcours professionnel, quels que soient nos origines sociales ou nos préférences intellectuelles ?
Cette autorité constitutionnelle, compte tenu des responsabilités qui est le sienne, ne peut pas s’accommoder, de part sa nature, d’une quelconque restriction qui limite son action. Cela contraste avec le reste des pouvoirs ou institutions constitutionnelles dans les pays qui appliquent le système démocratique pluraliste soumis aux règles de la représentation communautaire et ses diverses composantes, sur la base de quotas, proportionnalité, représentation partielle, etc.
Quatrièmement : les garanties de l’indépendance du pouvoir judiciaire.
Dans tous les pays du monde, malgré la pluralité, la diversité et les différences des systèmes politiques et judiciaires, on s’accorde sur la nécessité de l’impartialité et l’indépendance de la justice en particulier. Et cela dans une optique d’ordre pragmatique, avant tout, dans le but à ce que cette autorité fasse le travail qui lui est confié en vertu des lois et règlements.
Et comme à partir de l’extrapolation historique de la réalité du pouvoir judiciaire, on ne peut imaginer dans l’histoire, qu’un jour un pouvoir judiciaire a été institué et que des juges ont été choisis dans le but de légaliser, par exemple, les interdits et de légaliser les lois de la jungle qui consacrent la survie du plus fort.
Au contraire, on constate que cette institution est vitale dans diverses sociétés, comme le montrent les études anthropologiques. Elle est destinée à sauvegarder les droits des individus et des sociétés, à l’abri du pouvoir de tentation et inféodation dérivante.
Le système judiciaire mauritanien n’est pas loin de ces expériences humaines et règles importantes évoquées plus haut.
En effet, la loi fondamentale de la République (articles 91, 89, 90) précise la position centrale de cette autorité, elle définit ses attributions et affirme qu’elle est une instance constitutionnelle indépendante de manière à exercer pleinement ses compétence et ses pouvoirs spécifiques sans aucune interférence.
On observe que le degré de respect de l’indépendance de la justice, le niveau du statut des juges et l’importance des moyens dont ils disposent varient selon les degrés d’ engagement des Etats et suite aussi aux efforts des juges . Cela est identique dans différents pays et systèmes judiciaires dans le monde.
Aujourd’hui, en Mauritanie, pour renforcer les pouvoirs de notre autorité judiciaire et consacrer des garanties qui définissent et confirment son indépendance, à cette étape de l’histoire de notre justice, il est nécessaire de revoir la loi sur le statut des juges, conformément aux articles constitutionnels précités, ainsi que sur la base de l’esprit, du préambule et des principes généraux sur lesquels repose cette loi suprême dans l’arsenal juridique du pays. D’autant plus que ces lois et instruments juridiques sont tous considérés comme un point de départ pour les garanties du ‘’renforcement de l’indépendance de la justice mauritanienne’’.
En révisant les articles qui garantissent l’indépendance de la justice de manière définitive, le juge doit être protégé contre la mutation sans son avis ou sans une base légale (établie par la loi ) et la vulnérabilité de son droit à la promotion.
Il y a lieu de revoir de plus l’autonomie du parquet général et l’inspection générale de la justice de l’autorité du ministère de la justice.
Ces prérogatives sont actuellement du ressort du pouvoir exécutif, à travers l’autorité du Ministre de la Justice, selon les dispositions légales en vigueur.
Il faut aussi, pour assurer un meilleur fonctionnement de cette autorité sensible. activer la règle de la récompense et de la sanction pour apprécier le travail et les compétences des juges, saluer leur intégrité et leur expérience et valoriser leurs spécialisations. En créant l’atmosphère propice à une saine émulation, loin de toute forme de pression, d’allégeance ou de manifestation d’injustice, cela servirait sans aucun doute la mission et l’action de cette autorité constitutionnelle spéciale.
Cinquièmement : l’indépendance du pouvoir judiciaire..un risque pour la République?
Quelqu’un pourrait dire que notre institution judiciaire est faible et que la demande de son indépendance peut constituer une menace pour l’État, ses différentes institutions et même les citoyens. Un autre dira que lutter pour l’indépendance de la justice conduirait à la création d’un pouvoir des juges qui surpasserait les autres instances constitutionnelles : Une véritable dictaure du pouvoir des juges.
Si certains pensent, avec ou sans raison, que la justice souffre des sérieuses difficultés, notre conviction nous amène à croire que des jours meilleurs sont devant ce secteur. L’une des raisons est que ces dernières années, l’essentiel de l’appareil judiciaire est devenu majoritairement composé de tranches d’âge jeunes qui se caractérisent par les qualifications professionnelles et scientifiques requises selon les normes internationales dans le domaine de la justice : diplômes universitaires de haut niveau et fondements moraux solides, sens élevé du devoir, responsabilité et distance appropriée avec les parties, etc.
Dans le même temps, ces groupes auront une forte présence pour couvrir le déficit qui se produira dans le nombre de juges d’ici la fin de l’année de 2023 lorsque plus d’une vingtaine de juges mauritaniens bénéficieront de leur droit à la retraite.
La réforme de la justice et le renforcement de son indépendance resteront des conditions essentielles pour maintenir la paix, rendre justice aux justiciables, punir les différents coupables et protéger d ‘avantage les opérateurs économiques nationaux ou étrangers et leurs investissements. Cela augmentera, sans doute, également les chances de la Mauritanie d’assumer une position décente à différents niveaux pour faire face aux défis de son nouveau statut de pays gazier et pétrolier qui le conduira à promulguer régulièrement des lois diverses et complexes pour prévenir les conflits résultant de la protection de ces nouvelles richesses qui, connaîtront de profondes transformations.
Cette situation exige que chacun, en particulier les autorités compétentes, s’emploie à garantir que le pouvoir judiciaire reste toujours dans une position appropriée pour s’acquitter pleinement de toutes ses responsabilités légales. Ce qui signifie un renforcement de l’indépendance et des pouvoirs de la justice et la mise à disposition des moyens matériels et humains nécessaires.
Sixièmement : Des Etats généraux pour quel modèle de justice en Mauritanie?
Le 5 octobre 2022, les autorités compétentes ont annoncé l’organisation en fin d’année des États généraux de la justice en Mauritanie. L’objectif de ce conclave inédit dans l’histoire de la Mauritanie, est d’abord de faire un état des lieux de ce secteur qui tout au long de l’évolution du pays a pourtant fait l’objet de maintes réformes initiées par les différentes régîmes qui ont dirigé le pays.
Ensuite, il s’agira d’identifier les défis et les obstacles auxquels la justice est confrontée et trouver les voies et moyens pour assurer sa réforme en renforçant l’indépendance des magistrats dont la fonction est essentielle dans la construction et la préservation de l’Etat de droit, la justice étant le garant des valeurs républicaines et de la nature du système démocratique du pays.
Cheikh Sidi Mohamed Cheina
Président de la Cour Pénale spéciale Sud spécialisée dans la lutte contre l’Esclavage