Le vocable « Sahel » signifie « rivage » en langue arabe, en référence à la bordure méridionale de la « mer de sable » qu’est le Sahara. Il s’agit d’une bande géographique qui s’étend des côtes atlantiques mauritaniennes à l’Ouest aux côtes érythréennes sur la mer rouge à l’Est, soit environ 7000 km, et dont la profondeur variable sépare les dunes vives du Sahara et la savane subsaharienne.
C’est une région de transition par excellence, jadis majoritairement peuplée de nomades. La religion musulmane y est omniprésente, aux côtés du christianisme et de divers autres rites religieux locaux.
1. Des racines de la crise au Sahel
Les spécialistes évoquent différentes causes à l’origine de la profonde crise que traverse le Sahel, dont les effets désastreux du réchauffement climatique sur le mode de vie traditionnelle des populations sahéliennes. En effet, l’élevage extensif du bétail, la culture de subsistance et le commerce sont simultanément et négativement impactés par le déclin du cumul pluviométrique annuel, le caractère erratique des précipitations et leur conséquence et une accélération de la désertification. Cette réduction drastique des ressources économiques est accompagnée d’une explosion démographique qui fera passer la population des seuls pays du G5-Sahel d’environ 83 millions (2019) à 196 millions en 2050. Le stress environnemental est perceptible dans la tension accrue entre des éleveurs tentés de descendre toujours davantage en direction du Sud à la recherche de nouveaux pâturages pour leurs troupeaux, et des cultivateurs confrontés à une telle pression doublée d’un déclin des quantités d’eau disponibles et de l’érosion des sols. Ainsi, une sorte de « sahélisation » dynamique engloutit, chaque année, des zones de la savane subsaharienne autrefois impropres à la pratique de l’élevage extensif, exacerbant à l’extrême une rivalité entre éleveurs et cultivateurs, prégnante dans la région, comme c’est le cas en ce moment au niveau la zone du Luptako-Gourma dite “zone des trois frontières”, un territoire de 370 000 km2, aux confins du Burkina Faso, du Mali et du Niger, véritable ventre mou sécuritaire du Sahel.
Parmi les causes de la crise au Sahel, l’on peut également citer les tensions politico-ethniques latentes, notamment au Nord du Mali remontant au début des années soixante, les répercussions des événements politiques survenus en Algérie au cours des années quatre-vingt-dix, et plus récemment la crise en Libye. L’effondrement de l’Etat central libyen, en 2011, a non seulement créé un vide géopolitique propice à toutes sortes d’exploitations préjudiciables à la sécurité régionale et mondiale, mais il a aussi été à l’origine de la dissémination des arsenaux libyens à travers le Sahel, des arsenaux réputés les plus colossaux d’Afrique. Des groupes, précédemment enrôlés dans l’armée régulière libyenne, ont pu rejoindre, avec armes et bagages, leur pays d’origine, notamment le Nord du Mali, bouleversant les rapports de force sur le terrain en faveur d’une rébellion historique ou d’un groupe terroriste préexistants, et fragilisant ainsi (davantage) la souveraineté territoriale de certains Etats de la région.
Le trafic de drogue en direction des marchés lucratifs du Nord, constitue, lui aussi, un élément causal de la présente crise au Sahel, car les (auto)routes traditionnelles qu’empruntait ce produit étant à présent hermétiquement closes, les réseaux de narcotrafiquants ont décidé d’en établir de nouvelles qui passent par des zones de « moindre résistance » sécuritaire, idéalement le Sahel, puis la Libye, ensuite l’Europe méditerranéenne et le Proche-Orient. Une forme de connivence s’est progressivement instaurée entre, d’une part, les réseaux de trafiquants et de nombreux groupes établis au Sahel. Les enjeux financiers sont désormais irrésistibles pour un chef local ou un simple éleveur nomade sahélien, car les droits perçus en contrepartie de la sécurisation du transit d’une tonne de résine de cannabis, peuvent égaler ou dépasser les fruits cumulés de toute une vie de labeur. D’éleveurs sobres et résilients, certains habitants du Sahel se sont transformés en une armée de redoutables passeurs de cargaisons de stupéfiants, de preneurs d’otages, de contrebandiers de cigarettes prohibées ou de trafiquants d’armes et d’immigrants illégaux.
Il convient de noter qu’à chaque payement de rançon pour libérer un otage au Sahel, les membres de ce véritable écosystème crapuleux acquièrent des moyens logistiques supplémentaires leur permettant d’accroître leur rayon d’action pour perpétrer de nouveaux kidnappings et autres actes violents, comme le prouvent les tragiques événements du 13 mars 2016, au Grand Bassam, en Côte d’Ivoire ; raison pour laquelle, la Mauritanie a constamment été contre le payement de rançons pour la libération d’otages au Sahel, et ce en dépit de la grande sensibilité de cette question d’un point de vue strictement humanitaire et sur le plan politique, particulièrement au sein des opinions publiques occidentales.
Contrairement à une thèse assez répandue, la dimension religieuse dans la crise au Sahel, n’a pas toute la prépondérance que d’aucuns veulent lui attribuer, pour une raison somme toute évidente: tous les habitants du foyer historique de la crise au Sahel, le Nord du Mali, sont musulmans sunnites, de rite malékite ; on peut ainsi considérer qu’un prosélytisme offensif pouvait se choisir meilleure location à travers la planète, autre qu’une région islamisée depuis une dizaine de siècles, car, selon le dicton local, nul besoin “d’apporter des pierres à la montagne”.
En Mauritanie, l’expression « activité mafieuse à but lucratif, menée sous un habillage islamique » servait de définition aux agissements d’AQMI au Sahel. Il est cependant vrai que des acteurs étrangers ont eu le temps et les moyens de prêcher des thèses religieuses radicales, sans rencontrer de résistance doctrinale à laquelle on pouvait s’attendre, sans doute en raison de la misère économique ambiante et du niveau de ressentiment de populations livrées à elles-mêmes ( pas d’école, ni de dispensaire ou poste de sécurité), à l’endroit de certains pouvoirs publics locaux.
Face aux redoutables tactiques de guérilla dans un espace géographique et social qui s’y prête idéalement, grâce notamment à l’usage de motocyclettes et de pickups armés, certains pouvoirs politiques et militaires désemparés, recourent à la mobilisation de « milices d’autodéfense » suivant les lignes de fracture tribales et ethniques ; une stratégie d’apprenti sorcier qui jette de l’huile sur le feu et donne parfois à la crise sécuritaire au Sahel, des allures de guerre civile larvée.
La Mauritanie, le premier pays du G5-Sahel, à subir les attaques meurtrières du terrorisme.
Une série d’attaques terroristes contre la Mauritanie fut perpétrée entre 2005 et 2011, citons-en:
* le 4 juin 2005, l’attaque de Lemgheyty, par le GSPC( Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat) près des frontières avec l’Algérie et le Mali, eut pour bilan la mort de 15 soldats mauritaniens et de neuf terroristes
* le 24 décembre 2007, quatre touristes français sont sauvagement assassinés par des terroristes d’AQMI ( Al-Qaeda au Maghreb Islamique, nouvelle dénomination du GSPC), près de la ville d’Aleg
* le 27 décembre 2007, l’attaque contre un objectif militaire à Elghallaouya fut à l’origine de la mort de quatre soldats mauritaniens
* le 14 septembre 2008, 12 soldats mauritaniens sont tués lors d’une embuscade tendue par AQMI à Tourine, près de la ville minière de Zouérate
* le 25 août 2010, un véhicule bourré d’explosif refusa d’obéir aux tirs de sommation de la caserne de Néma, à l’extrême sud-est mauritanien, et explosa à l’entrée de la caserne, sans faire de victimes, autre que ces occupants
* du 17 au 19 septembre 2010 et pour contrer une attaque imminente contre cette même garnison de Néma, l’armée mauritanienne engagea une opération terrestre à Hassi Sidi puis à Ras-el-maa, au Mali
* le 29 novembre 2010, trois travailleurs humanitaires espagnols furent victimes d’un rapt, « pour le compte » d’AQMI, sur la route Nouakchott-Nouadhibou
* les 29 janvier et 2 février 2011, un double attentat visant le Ministère de la défense nationale et l’ambassade de France à Nouakchott, fut déjoué in extremis, aux portes de Nouakchott, après que deux véhicules bourrés d’explosifs (1,5 tonne chacun) ont été neutralisés par les forces armées mauritaniennes
* en juin-juillet 2011, l’armée mauritanienne lança, avec succès, une opération militaire d’envergure ayant duré une quinzaine de jours, contre une importante base d’AQMI dans la forêt malienne de Wagadou, près de la frontière entre les deux pays
* Le 20 décembre 2011, le gendarme Ely Ould Mokhtar est enlevé par un commando d’AQMI à Adel Bagrou, environ 1400 km de Nouakchott, à quelques encablures de la frontière malienne
* Durant cette même période, une autre demi-dizaine d’incidents sécuritaires divers, impliquant AQMI ou ses « proxies », fut également enregistrée au niveau des axes routiers et dans certaines localités excentrées du pays (Cheggatt, Tamchekett …).
Au vu de ce qui précède, l’on peut relever que la Mauritanie fut le premier pays du G5-Sahel, à avoir subi de plein fouet les attaques meurtrières du terrorisme venu du Nord, et ce dès 2005, prenant au dépourvu des forces armées nationales sous-entraînées et sous-équipées pour affronter ce nouveau type de défi sécuritaire, spécialement entre 2005 et 2010. À titre d’illustration, des témoignages crédibles font état, à l’époque, de difficultés logistiques quasi insurmontables pour les forces armées mauritaniennes pour apprendre en temps réel les graves exactions dont étaient victimes de petites garnisons isolées dans l’extrême Nord-Est du pays, sous les coups de boutoir d’un GSPC et de ses complices, maîtres du terrain. Pour acheminer les premiers secours ou renforts, lors de certaines de ces agressions, l’armée mauritanienne a, parfois, recouru à de vulnérables moyens de transport de marchandises, empruntés à des hommes d’affaires du pays. Mais comme le prouvent les échecs des opérations de février 2011, contre le ministère de la Défense nationale et l’ambassade de France à Nouakchott, contre la garnison militaire de Néma en août 2011, et la réussite exemplaire de l’audacieuse frappe préventive contre la base de Wagadou au Mali, l’armée mauritanienne a non seulement réussi, à partir de 2010, à contrecarrer les menées terroristes sur son territoire, mais aussi à porter des coups décisifs à l’ennemi, y compris au niveau de ses bases réputées inexpugnables, en profondeur du territoire malien.
De la sécurité nationale à la sécurité régionale
Lorsque la Mauritanie a réussi le tour de force de sécuriser, dans la durée, son territoire, en boutant dehors les bandes terroristes et en dissuadant les auteurs d’incursions contrebandières hostiles venues du Nord et de l’Est de s’aventurer dans ses « zones militaires interdites », elle a acquis l’autorité et la légitimité de parler au sujet de la sécurité sous-régionale, sur les scènes africaine et internationale, en adoption de la sagesse ivoirienne : « quand la case de ton voisin brûle, hâtes-toi à l’aider à éteindre le feu de peur que celui-ci ne s’attaque à la tienne ».
Une dimension diplomatique venait ainsi étoffer l’approche mauritanienne en matière de paix et de sécurité. Ce fut donc tout logiquement que la première conférence de la « Mission de l’UA pour le Mali et le Sahel » fut lancée à Nouakchott , le 17 mars 2013, avec la participation de onze pays sahélo-sahariens et de partenaires internationaux, marquant la naissance du Processus de Nouakchott, en déclinaison de l’« Architecture africaine de paix et de sécurité », au niveau du Sahel.
Cette conférence s’est tenue, deux mois après le lancement, le 11 janvier 2013, de l’opération militaire française Serval, sans laquelle les groupes armés au Mali, renforcés par les soutiens fraîchement arrivés de Libye, auraient « somalisé » non seulement ce pays frère, mais bien au-delà, en profondeur de l’Afrique occidentale…
En vertu de la Résolution 2100 du Conseil de sécurité de l’ONU, en date du 25 avril 2013, la Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation au Mali, plus connue sous l’acronyme MINUSMA, fut mise sur pied. Les règles d’engagement de cette mission de paix, fruits de tractations intenses, principalement entre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, n’ont pas paru répondre aux attentes des dirigeants de la région ; d’ailleurs un rapport ultérieur sur l’évaluation de l’efficacité de cette mission, la qualifierait de « la plus meurtrière » de toutes les missions similaires. C’est dans ce contexte, foisonnant d’initiatives et d’appréhensions, spécialement côté sahélien, qu’il convient d’inscrire la création, le 16 février 2014, du G5 Sahel, à la faveur d’un sommet des dirigeants du Burkina Faso, du Mali, de la Mauritanie, du Niger et du Tchad, à Nouakchott. En plus des réserves déjà évoquées au sujet de la mission de la MINUSMA, ces dirigeants mettaient en avant le nécessaire couplage de la dimension sécurité avec celle de développement, pour accroître les chances d’une résolution, à moyen terme, de la crise économico-environnementale, en grande partie à l’origine, à leurs yeux, de la crise que traverse le Sahel.
Doté d’un secrétariat permanent basé à Nouakchott, le G5 Sahel a désormais plusieurs initiatives politiques, militaires et économiques à son actif, la plus importante étant, sans doute, la création, le 2 juillet 2017, à Bamako, d’une Force conjointe (FC-G5 Sahel) des cinq États membres, à raison de 1000 soldats par pays, pour combattre, ensemble, le terrorisme, le crime organisé transnational et la traite des êtres humains, avec un droit de poursuite de 50 km à l’intérieur des frontières du pays voisin.
L’opérationnalisation de cette force régionale, en trois « fuseaux » (Est [Tchad-Niger], Centre [Burkina Faso-Niger-Mali] et Ouest [Mali-Mauritanie]), a connu bien des retards, pour des raisons politiques et logistiques, car certains membres permanents du Conseil de sécurité ne voyaient pas d’un bon œil l’inscription d’une telle force sous le Chapitre VII de la charte de l’ONU, une exigence fermement et unanimement défendue par les dirigeants des cinq pays membres du G5 Sahel. Le 20 juin 2017, à l’initiative de la France, le Conseil de sécurité « accueillit favorablement » la nouvelle force, sans apporter de solution définitive à son mode de financement.
En résumé, le Conseil a, en l’espèce, donné son « autorisation », sans donner de « mandat ». En dépit d’actions concluantes sur le terrain, cette force régionale tarde à monter en puissance en raison justement des deux considérations tantôt évoquées: l’ambiguïté de son statut du point de vue onusien et l’absence de visibilité quant à la question de son financement. Pourtant, une fois prise en compte dans le cadre de la nécessaire synergie opérationnelle entre les différentes forces présentes au Sahel, cette force régionale pourrait surprendre bien des détracteurs sur la scène internationale. Dans cette dynamique sous-régionale en faveur de la paix et de la sécurité, la Mauritanie, comme nous l’avons vu, a joué et joue encore pleinement son rôle de pays « pourvoyeur » de bonnes pratiques.
La région du Sahel souvent présentée par les médias internationaux sous l’angle quasi exclusif de la menace sécuritaire ou marginalement du pourcentage élevé ( environ 80%) de ses ressortissants dans la composition des migrants clandestins en direction de l’Europe méridionale, représente en réalité l’un des horizons énergétiques les plus prometteurs de la planète, renferme des ressources minières colossales, dispose d’un marché intégré conséquent et d’un dividende démographique enviable.
Dans sa nouvelle diplomatie globale post-Brexit, le Royaume Uni, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et puissance scientifique, industrielle et financière incontestée, dispose, en la Mauritanie, d’un allié stratégique sûr aux portes du Sahel, et bien au-delà au Maghreb et en Afrique subsaharienne. Le Président de la République, SEM Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani, a récemment rappelé cet extraordinaire potentiel de coopération mauritano-britannique, lors d’une intervention dans le cadre du « Sommet de l’Investissement R.U.-Afrique », tenu à Londres, le 20 janvier 2020.