Niger, la cacophonie diplomatique internationale

Derrière l'immédiate condamnation de façade de l'énième coup d'État au Sahel depuis 2020, les réactions des voisins du Niger, du continent africain tout entier et des puissances étrangères majeures - France, États-Unis et Russie en tête - témoignent d'une grande perplexité dans les chancelleries.

 

Les chefs d'état-major des armées ouest-africaines étaient réunis jeudi et vendredi au Ghana pour discuter d'une éventuelle intervention armée, évoquée depuis quelques jours par la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO).

 

Mais au sein de l'organisation, l'unanimité n'existe pas. L'un de ses membres, le Cap-Vert, s'y est ainsi ouvertement opposé. "Nous devons tous œuvrer pour le rétablissement de l'ordre constitutionnel au Niger, mais en aucun cas par une intervention militaire ou un conflit armé en ce moment", a déclaré la semaine passée, son président José Maria Neves.

 

Les régimes militaires du Mali et du Burkina, voisins du Niger et membres sous sanctions de la CEDEAO, ont de leur côté clairement affiché leur solidarité avec Niamey.

 

"Escalade"

 

Solomon Dersso, directeur du groupe de recherche panafricain Amani Africa, craint, comme d'autres, qu'une intervention armée n'ait des "conséquences calamiteuses". Pour lui, les militaires de Niamey et la CEDEAO "s'enferment dans un chemin dangereux vers l'escalade".

 

Les importantes sanctions économiques prises par le groupe régional et ses menaces militaires "ont donné à la junte le prétexte pour attiser la ferveur nationaliste des Nigériens et surfer sur les sentiments anticolonialistes", écrivait-il en début de semaine.

 

De fait, l'opération en question, dont les détails restent inconnus, semble improbable sans le soutien de l'Union africaine. Or, celle-ci s'est réunie lundi et n'a pas communiqué depuis, signe des divergences en son sein sur le sujet.

 

De leur côté, les deux grandes puissances occidentales impliquées dans le dossier adoptent des positions distinctes.

 

Les Américains, qui conservent quelque 1 100 soldats au Niger pour lutter contre les terroristes liés à Al-Qaïda et au groupe Daech, avec notamment une base de drones, ménagent l'avenir.

 

Sabrina Singh, une porte-parole du département d'État, a souligné que le Niger était un "partenaire" et devait le rester. "Nous y avons investi dans des bases et nous nous sommes entraînés avec les forces locales. Nous voulons voir une résolution pacifique pour cette démocratie durement conquise".

 

La position américaine "confuse"

 

Les États-Unis ont pour principe de ne pas maintenir de coopération militaire avec des régimes venus au pouvoir par un coup d'État.

 

"Mais la définition est flexible", souligne pour l'AFP Colin Clarke, directeur de recherche du Soufan Group, un institut de sécurité basé à New York, rappelant que Washington avait notamment continué de travailler en 2014 avec le régime contesté du général Abdel Fattah al-Sissi, en Égypte.

 

Pour l'analyste, "la position américaine est confuse". Les États-Unis "ne parviennent pas à adopter une politique claire avec les pays confrontés à un soulèvement ou à un coup d'État militaire".

 

Paris, pour sa part, n'accorde aucune légitimité au pouvoir en place. Elle compte aujourd'hui 1 500 soldats au Niger, avec lesquels elle continuait d'effectuer, jusqu'au coup d'État, des opérations antiterroristes avec l'armée locale.

 

La France avait exprimé il y a une semaine un soutien total à la CEDEAO après la validation initiale de l'option militaire. "On est dans une position d'appui, de soutien à la CEDEAO", a répété à l'AFP une source diplomatique française. La source ajoute:

 

C’est à elle de prendre ses décisions, que ce soit pour les sanctions civiles, ou pour la menace d'intervention militaire.

 

Certains souhaitent une action armée, d'autres privilégient la négociation, quelques-uns soutiennent les militaires au pouvoir : après le coup d'État du 26 juillet au Niger, les réactions de la communauté internationale tournent à la cacophonie.
Autant de divergences susceptibles de profiter à l'autre acteur majeur, la Russie. Le groupe paramilitaire Wagner, quoiqu'en froid avec le Kremlin depuis sa brève rébellion en juin dernier et son exil forcé au Bélarus, reste à l'affût.

 

Actif en Centrafrique, au Soudan ou encore au Mali, même si Bamako s'en défend, il lorgne sur le Burkina et ne saurait laisser passer une occasion comme le Niger, dont la richesse des sous-sols en fait une proie naturelle.

 

"Wagner est très transparent sur ses objectifs. Ils ne vont pas sermonner le régime sur les droits de l'Homme. Ils sont là pour avoir un accès aux ressources et, en retour, apportent une sécurité politique", résume Colin Clarke.

 

Jeudi, la diplomatie allemande a réclamé des "sanctions" de l'UE contre "les putschistes" au Niger.

 

Pendant ce temps, les terroristes poursuivent leur sombre dessein. Ils sont accusés d'avoir tué au moins 17 soldats nigériens et d'en avoir blessé 20 autres mardi, près de la frontière avec le Burkina.

جمعة, 18/08/2023 - 11:26