Le jour où j'ai cogné le fils du président

Les résultats du baccalauréat 2021 ont confirmé ce que tout le monde pensait, à savoir le faible niveau des élèves. Les réactions ont été nombreuses sur le taux de réussite qui n'a pas dépassé 8 %. Objectivement, cette contre-performance résulte de ce que j’appellerai la dynamique de détérioration du système éducatif mauritanien. Contrairement à ceux qui ont montré du doigt l’équipe en place au ministère de l’Éducation Nationale, je serais tenté de féliciter le Ministre et son équipe, ne serait-ce que pour la surveillance rigoureuse et la correction stricte.

Certes, la qualité de l’enseignement a sensiblement baissé dans beaucoup de pays, y compris le nôtre. Cela étant, on peut considérer que la réussite de tout système éducatif est tributaire de trois facteurs principaux : une volonté politique affirmée, une bonne gouvernance et une approche inclusive.

Je voudrais d'abord commencer par l’horrible histoire du passage à tabac du fils du président. La scène s’est passée au début des années 1970 à l’école 8 à Nouakchott. Ce fut pendant la récréation lorsque j’ai terrassé un garçon qui se mit à pleurer. Un autre enfant me lança sur un ton menaçant : gare à toi ! C’est le fils du président. La nouvelle eut un effet de choc sur moi et j’ai déguerpi de la scène de crime. Mais rien de ce que je craignais n’est arrivé. Je n’ai été ni puni ni même inquiété et le fils du président n’avait pas de garde du corps pour le protéger.

Cette histoire, en plus d’être drôle, reflète les transformations profondes qu'a connu la société mauritanienne. Aujourd’hui, il est invraisemblable que le fils d’un chef d'État puisse fréquenter l’école publique, et ce, pour des raisons évidentes de sécurité..

J’ai publié sur Internet une série d’articles sous le titre : "L’enseignement en Mauritanie, un énorme potentiel dilapidé pour cause d’incompétence ou de négligence”. Ces articles se fondent sur les rapports diagnostics élaborés par des cadres du ministère de l’Éducation à partir de plusieurs réunions de groupes de travail, animés par des consultants locaux, qui ont également interrogé des enseignants et des éducateurs dans toute la chaîne de pilotage du système éducatif. Ils visent à fournir un panorama destiné à alimenter une réflexion stratégique conduisant à des pistes d’amélioration et de réforme de ce système.

La nouvelle réalité induite par l'évolution rapide de l'humanité et les bouleversements qui l’accompagne, nécessite que nous travaillions à un changement profond des systèmes éducatifs. Nous aurons besoin de nouvelles compétences et aptitudes dans le présent et l'avenir. Certains phénomènes tels que la violence, les guerres et les épidémies se sont intensifiés, de nouveaux types de crimes sont apparus et la pression et la concurrence sur les ressources naturelles se sont intensifiées. Tout cela nous incite à renouveler notre vision de l'éducation dans un monde en mutation. Cependant, chaque pays doit tenir compte de ses spécificités pour bien choisir le système éducatif qui lui convient et se doter des moyens nécessaires pour la mise œuvre de ce système. On ne peut pas s’attendre à réussir si nous appliquons une nouvelle méthode d’apprentissage avec une organisation obsolète. Or très souvent, c’est ce qui empêche les réformes d’atteindre les objectifs escomptés.

En 2015, le professeur John Hattie, l’un des plus grands spécialistes des questions d’éducation, a publié un document intitulé « What does not work in education ». C’est ce qu’il appelle les politiques de distraction (The politics of distraction). Il a identifié cinq domaines qui, à son avis, coûtent beaucoup d’argent et n’offrent pas grand-chose pour rehausser le niveau des élèves.

Une autre expérience originale menée par un citoyen néerlandais, Maurice de Hond, a démontré l’importance de découvrir et développer les compétences des enfants. Sa démarche a été simple ; il a ouvert une école pilote selon sa théorie d’enseignement pionnière. L’école Steve Jobs, comme l’a appelé Maurice de Hond, a radicalement changé la situation dans le quartier populaire des immigrés de la capitale Amsterdam. Le succès a été tel que le gouvernement néerlandais a adopté le nouveau modèle et l’a appliqué dans certaines de ses écoles. Mais cette méthode a fini par montrer ses limites et le coût du nouveau programme était l’obstacle le plus important.

Les expériences réussies dans le domaine de l’éducation ne se limitent pas aux pays riches. Parmi les pays pauvres en Afrique certains ont eu une expérience réussie. C’est le cas du Rwanda qui, malgré une guerre meurtrière et dévastatrice a réussi à mettre en place un système éducatif efficace. Dans le rapport de l’UNESCO sur la qualité de l’enseignement pour le monde en 2014, le Rwanda a été l’un des trois premiers pays qui ont réussi à promouvoir l’éducation.

En Mauritanie, notre système éducatif s’ouvre également aux expériences réussies. Le ministère de l’Éducation nationale en collaboration avec Counterpart International a entamé la mise en œuvre d’un programme pilote d’apprentissage de la lecture en arabe et français. Ce projet pilote d'alphabétisation est en cours de déploiement dans 51 écoles. La nouvelle méthode va aider les enseignants à développer la fluidité de la lecture et la compréhension de texte en arabe et en français chez les écoliers de la 1e à la 3ᵉ année du primaire. Parallèlement à cela, le Programme pilote prévoit de vulgariser un outil d’évaluation de la lecture selon la méthode EGRA. Cet outil va permettre de tester et d’identifier le niveau de lecture des enfants. Si la phase pilote s’avère concluante, il serait alors envisageable de généraliser le programme à toutes les écoles du pays.

Je voudrais conclure sur ce qu’a dit le professeur John Hattie lorsqu’on lui a demandé ce qu’il ferait s’il devenait ministre de l’Éducation. Il a souligné qu’il ne chercherait pas à entreprendre des réformes majeures dans le système éducatif, mais plutôt à appliquer les résultats de ses recherches sur les bonnes pratiques en classe, et qu’il s’appuierait sur la formation de groupe constitué des meilleurs enseignants dans chaque région, et en collaboration avec les directeurs d’écoles les plus performants, il tiendra le reste des enseignants informé sur la façon d’améliorer leur travail en classe, et éviter ainsi de dilapider le temps, les efforts et l’argent à faire des ajustements inutiles.

اثنين, 06/09/2021 - 16:49