Covid 19 : De l’action du Gouvernement sous un angle mathématique

1. Préambule

 

En décembre 2019, se déclenche, dans la ville de Wuhan en Chine, une épidémie que la mobilité et les réseaux de contact des hommes vont vite se charger de propager à travers le monde. Quelques semaines plus tard, des dizaines de milliers de cas Covid-19 [1] sont enregistrés dans plusieurs pays.  Le 11 mars, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) la qualifie de pandémie.

Le 13 mars, un premier cas importé est décelé en Mauritanie, où les autorités, sur le qui-vive depuis un certain temps, se mobilisent et prennent toute une série de mesures visant à battre un ennemi dangereux et méconnu, malheureusement déjà parmi nous.

 

Face à la crise multiforme qui se profile, le Président de la République annonce le 26 mars 2020, dans une adresse à la nation, un dispositif proactif, solidaire et cohérent : tout mettre en œuvre pour empêcher la propagation du virus, garantir l’approvisionnement du marché intérieur, mobiliser les moyens financiers nécessaires aux besoins médicaux et à l’atténuement des effets de la crise sur les conditions de vie des moins résilients parmi nous.

 

Le travail mené par le Gouvernement pour mettre en œuvre ce dispositif ne peut laisser aucun patriote indifférent, et inspire, dans ce que nous en percevons, confiance et fierté. Le corps médical et les forces armées et de sécurité sont sur les premières lignes, et forcent respect et admiration. Sans oublier nos compatriotes, en grande partie nomades par nature, qui acceptent cette forme de sédentarité poussée que la situation sanitaire du Pays et du Monde leur a soudainement imposée. 

 

Mais la bataille engagée, à double front, est toute particulière : un front intérieur présent surl’ensemble du territoire défendu (les lieux de vie), chaque lieu de vie est une position que seul son occupant pourra défendre (ne pas se faire contaminé ou ne pas contaminer), et la perte d’une position quelconque peut conduire à la perte de plusieurs autres et ainsi de suite, comme dans une réaction en chaînes (contagion du parent qui contamine ses voisins…etc.).

 

Ainsi, quel que soit le degré d’efficacité du plan d’action du Gouvernement, nous ne pourrons gagner cette bataille de survie collective que si chacun de nous y joue pleinement son rôle, à savoir se protéger et protéger les autres, en respectant les mesures et recommandations relatives au regroupement, à la mobilité, et à l’hygiène, et en sensibilisant son entourage sur l’impérieuse nécessité du respect scrupuleux de telles mesures. C’est à ce prix que nous gagnerons la bataille, et nous la gagnerons incha Allah. 

 

Le présent billet tente de vous en convaincre. Il fait référence à la modélisation mathématique de la propagation des épidémies, mais n’en utilisent que des notions simples afin de le rendre accessible auplus grand nombre. Ce papier n’a aucune visée prédictive et s’inscrit plutôt dans une perspective pédagogique. Il ambitionne de mettre en exergue le bien-fondé mathématique des mesures de distanciation sociale et d’hygiène, pour que le lecteur les respecte non par obligation car imposées ou recommandées par l’Administration, mais par une totale adhésion que seule l’intime conviction peut générer. A son tour, celui-ci portera la bonne parole.

 

2-De l’efficacité des mesures de distanciation sociale et des gestes barrières

 

Lors de la propagation d’un agent infectieux dans une population donnée (P), vous avez à chaque instant (t) une partie de cette population qui est saine et susceptible d’être contaminée (S), une partie d’infectés (I), et une partie de rétablis ou morts qui ne peuvent plus être contaminés ni être contaminants (R) [2].

 

Cette propagation est un phénomène dynamique pouvant être modélisé, sans perdre de vue que la modélisation ne correspond pas à la réalité, dont elle permet cependant une certaine compréhension et parfois la prévision de l’évolution. L’effectif de chacun des groupes précités change au cours du temps en fonction des nouvelles contaminations, guérisons ou morts, et nous avons à tout instant t :

 

Equation 1:  S(t) + I(t) + R(t) = P ​  

 

Où P est constant [3]. Ce système se représente graphiquement par 3 compartiments reliés entre eux par des flux d’individus passant d’un compartiment à un autre.

Les flux peuvent être écrits sous forme d’équations dites différentielles, le système ainsi obtenu se résout aisément, mais nous n’avons pas besoin de sa solution pour le moment. C’est le modèle SIR, simple mais très utile, proposé en 1927 par Kermack et McKendrick, et toujours d’actualité.

 

Nous notons β la probabilité de transmission du virus à une personne saine lors d’un contact avec un malade, τ le taux de contact ou nombre de contacts quotidiens, et Δ la durée de contagiosité de la maladie. Nous pouvons considérer que plus β, τ et Δ sont grands plus il y a de nouveaux contaminés, qui contamineront à leur tour et ainsi de suite, avec le risque d’avoir plus de morts et de vagues de malades au nombre bien supérieur aux capacités du système national de santé [4]. Il faudra donc tout mettre en œuvre pour réduire ces trois paramètres.

 

Un paramètre particulier, condensé des trois premiers, retient l’attention des autorités sanitaires, et nous verrons dans ce qui suit pourquoi. Il s’agit du fameux produit des trois noté R0 (prononcé R zéro) :

 

Equation 2: R0 = β×τ× Δ ​

 

R0 désigne le taux de reproduction de base, ou le nombre de nouveaux cas d’infection engendré par un infecté en moyenne. On parle aussi de contagiosité de la maladie. On voit que s’il est bien fonction des caractéristiques biologiques de l’agent pathogène, caractéristiques dont on sait peu de choses, il l’est aussi du comportement humain sur lequel fort heureusement nous pouvons agir.

 

En effet, le lavage fréquent des mains avec de l’eau et du savon, ainsi que tous les autres gestes barrières recommandés par les autorités sanitaires permettent de réduire la probabilité de transmission β. La fermeture des écoles et d’autres lieux publics, l’interdiction de tout rassemblement, le confinement et la réduction de la mobilité font baisser le taux de contact τ. L’isolement des malades et des personnes à risque pour avoir potentiellement côtoyé un malade contribuent aussi.

 

Maintenant regardons de près R0 et voyons pourquoi est-il considéré comme un paramètre clef pour la santé publique lors de la propagation d’une maladie contagieuse. Déjà, outre le fait qu’il capte les trois paramètres déterminants de la diffusion de la maladie (probabilité de transmission, taux de contact et durée de contagiosité), il prête à l’action [5] et c’est là tout son intérêt. 

 

Comme nous venons de le voir ci-dessus, la stricte observation des mesures de distanciation sociale et celles dites barrières permet de réduire deux des trois termes dont R0 est le produit, réduit lui aussi en conséquence. Voir Equation 2.

Mieux encore, si nous arrivons par ces mesures à rendre R0 plus petit que 1, il n’y aurait tout simplement pas d’épidémie :

 

R0 < 1, pas d’épidémie 

 

Une preuve heuristique : Partons d’un petit nombre de malades que nous noterons n, ils contamineraient R0×n personnes initialement saines qui à leur tour pourraient contaminer R0× (R0×n). De telle sorte qu’à l’étape k, on aurait (R0 × R0 × R0 ×…× R0) ×n malades (R0 multiplié par lui-même k fois). Comme R0 est plus petit que 1, ce facteur est voisin de 0. Prenons par exemple R0=1/2, nous aurons la suite suivante : n ; n/2 ; n/4 ; n/16 ; n/256 ; n/65536…etc. La chaîne de contamination est vite brisée et les foyers de la maladie s’éteignent.

 

J’espère vous avoir convaincu qu’en réduisant au strict minimum nos contacts et déplacements tout en adoptant les gestes barrières nous contribuons à réduire R0 et à stopper l’épidémie Covid 19.

 

3-Illustration

 

Pour cerner encore de plus près l’efficacité de ces mesures, si bien sûr elles sont observées, faisons appel au modèle SIR précité, utilisé un peu partout dans le monde pour notamment prévoir l’apparition des fameux pics de la maladie. La version simplifiée, donc peu précise, que nous en utilisons est suffisante, car nous ne visons pas la prédiction mais simplement l’illustration de la différence entre la situation où rien n’aurait été entrepris et celle où les mesures idoines sont prises et respectées.

Voici les données du modèle, et nous distinguerons deux situations.

 

a) Situation sans action :

1. Population : 4100000 habitants

2. Situation de la maladie au 01/04/2020 : 6 malades, 2 guéris et 1 mort

3. Nombre de contacts quotidiens moyen β : 30 (entre la famille élargie, les collègues, les amis les visiteurs ou visités, le nombre ne nous semble pas exagéré dans une société comme la nôtre)

4. Probabilité de transmission τ : 1%

5. Durée de contagiosité Δ : 10 jours

6. Le R0 calculé, produit des paramètres 3, 4 et 5 : 3

La précision de la valeur propre à chacun des 3 paramètres (3,4 et 5) n’a pas d’importance parce que c’est leur produit R0 qui compte. Or de récentes études le situe entre 2 et 3, mais restons prudents, il se pourrait bien qu’il soit supérieur. 

Le modèle peut être paramétré en modifiant les valeurs de β, τ et Δ.

Voici la courbe des contaminés en fonction du temps.

Elle montre que, sans aucune mesure de prévention, l’épidémie se déclencherait en moins de deux mois, avec un pic, survenant à la fin juin, de 30% de contaminés dans la population [6] !

 

b) Situation avec action

Supposons maintenant que nous divisions par 3 le nombre de nos contacts quotidiens pour arriver à 10, et que nous observions suffisament les gestes barrières afin de réduire de moitié la probabilté de transmission pour arriver à 0,5%. En faisant cela nous aurons divisé R0 par 6, il devient égal à 0,5.

Et voilà, dans ce cas, ce que devient la figure 1.

Il apparait, ici, qu’avec ces mesures, et en partant des mêmes conditions initiales (6 malades, 2 guéris et 1 mort), la contagion est stoppée en un peu plus de 2 mois à quelque chose de l’ordre de 14 cas !

Bien que le modèle soit peu précis, il permet néanmoins d’obtenir un ordre de grandeur de l’écart entre les deux situations, et dégage l’extraordinaire effet des mesures de prévention. 

 

Il revient donc à chacun parmi nous de considérer que la plus grande contribution qu’il pourraitapporter à la victoire collective contre le Covid 19, victoire à notre portée comme nous venons de le voir, consiste à respecter sans relâche les mesures de distanciation sociale, les gestes barrières, et toute recommandation émanant des autorités en charge de notre santé.

 

4-Détection

 

Nous ne pouvons clore cette discussion sans dire un mot sur le rôle, dans cette bataille, d’une autre arme, celle en l’occurrence du dépistage et de l’isolement des personnes contaminées. Une arme qui non seulement diminue le nombre de nouveaux contaminés par la neutralisation d’une partie des contaminants mais hâte la fin de l’épidémie. Nos services de santé y font recours depuis un certain temps en la pratiquant sur les personnes à risque, et nos capacités en la matière se renforceraient de jour en jour.  

 

Pour voir l’efficacité du dépistage, imaginons un scénario relativement catastrophique, où on aurait en réalité 60 contaminés dont on n’aurait détecté que 6. C’est-à-dire qu’on ait un taux de détection de 10% que nous supposons constant. Voici alors la courbe des contaminés en couplant actions de prévention, détection et isolement.

 

On voit que l’épidémie est totalement éteinte en moins d’un mois, au moment où il fallait plus de deux en situation b. Empiriquement, l’efficacité de cette technique s’observe notamment en Corée du Sud où elle a été pratiquée de façon massive, un pays aujourd’hui cité en exemple.

 

Enfin, nous laissons au lecteur le soin de juger par lui-même du bien-fondé des mesures prises par les autorités publiques, et, au-delà de la crise du Covid 19, de l’intérêt pour une nation, de la rencontre entre une vision politique claire et une capacité effective de sa mise en œuvre. Laquelle vision fut clairement énoncée par le Chef de l’Etat M. Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani dans son discours du 26 mars dernier, en disant que notre première bouée de sauvetage réside dans les actions de nature à éviter la propagation du virus et l’élargissement de son spectre de contamination.

 

Cheikh Baye Ould Cheikh Abdallahi

cheikhbaye.cheikh@gmail.com

 

 

Notes de bas de page

 

1-Coronavirus disease 2019 

2-L’hypothèse selon laquelle un infecté guéri n’est plus contaminant est à la base du modèle que nous allons utiliser, d’autres modèles intègrent le cas contraire. Covid 19 semble s’inscrire dans le premier cas.

3-Les légères fluctuations de la population, dues aux naissances et aux morts pour d’autres raisons que le Covid 19, durant la période de la maladie, sont négligées, et les frontières supposées hermétiques.

4-Comme ce que l’on voit aujourd’hui dans des pays aux infrastructures sanitaires pourtant développées.

5-En plus de l’action sur la propagation de la maladie, sujet qui nous intéresse ici, Il permet par ailleurs de déterminer la portion (p) de la population qu’il faut vacciner pour immuniser la population entière.

6-Un calcul simple montre qu’au bout de 4 mois on aurait une population contaminée à plus de 80%.

7-Et de se rappeler justement que quiconque sauve une vie humaine, il a sauvé l’humanité toute entière.

 

جمعة, 17/04/2020 - 11:16