‏Expert dans les domaines pétrolier et énergétique : La politique énergétique est une arnaque à ciel ouvert

Titulaire d’un Master in Business Administration et un autre en comptabilité professionnelle de l’université of West Georgia (USA), Mohamed Salem Ould Boidaha a 17 ans d’expérience dans les secteurs pétrolier et énergétique en Afrique. Il a travaillé pendant 11 ans au ministère de l’Energie et des Mines en tant que directeur des Hydrocarbures, chargé de mission et conseiller technique du ministre. Il fut également membre de plusieurs conseils d’administration.

Mohamed Salem a travaillé sur plusieurs projets pétroliers et énergétiques en Mauritanie, au Tchad, en Guinée, au Mali et au Sénégal.
Médaille d’officier de l’Ordre National du Mérite en 2005, c’est lui qui est à l’origine de  la découverte des fameux avenants de Woodside.

Le Calame l’interroge cette semaine sur le champ gazier GTA qui va accuser un retard d’un an, l’insuffisance du local content, le problème de l’approvisionnement du pays en hydrocarbures liquides, la politique énergétique et les permis de recherche miniers.

 

 

Le Calame : BP vient d’annoncer le report du développement du gisement gazier GTA d’un an à cause de la pandémie du Coronavirus. Quel est l’impact de cette décision sur le secteur gazier mauritanien ?

 

M. Mohamed Salem Ould Boidaha : Le gisement Grand Tortue Ahmeyim, découvert le 27 avril 2015 dans le bloc 8 du bassin côtier, peut être qualifié, à plus d’un titre de cadeau divin. Il s’agit d’une des rares perles géologiques découvertes cette décade. Sa réserve potentielle est de  l’ordre de 100 TCF, ce qui est énorme.  Il sera développé de manière séquentielle en trois phases avec un budget de développement d’environ 24 milliards de dollars américains pour produire 10 millions de tonnes par an (mtpa). Le revenu estimé pendant la durée d’exploitation (20 ans) est de l’ordre de 90 milliards de dollars.

Son développeur, BP, est l’un des tous premiers opérateurs mondiaux dans les secteurs gaziers et pétroliers. La Décision Finale d’Investissement a été annoncé le 21 décembre 2018 et BP a programmé le développement de ce méga projet en 7 ans car elle recherche un retour rapide sur l’investissement grâce à un cycle d’investissement court de trois ans. La sortie du premier gaz était prévue pour août 2022.

Personnellement, ce calendrier m’a toujours semblé difficilement réalisable du fait de la complexité du projet. A titre comparatif, le méga gisement de 50 TCF découvert en 2010 dans les eaux profondes du Mozambique par la société américaine Anadarko produira son premier gaz en 2022.  La période de 12 ans entre la découverte et la production du premier gaz représente un cycle normal et suffisant pour permettre à Anadarko et ses partenaires de sécuriser les ventes du GNL à long-terme, ce qui a rendu leur projet robuste et moins exposé aux fluctuations des marchés du GNL.

La décision de report de développement de GTA est regrettable pour l’ensemble des parties prenantes (Mauritanie, Sénégal, BP, Kosmos Energy, SMH et Petrosen) mais elle pourrait être objectivement justifiée.

Certes, la pandémie a contribué à ralentir l’activité économique mondiale et le secteur pétrolier a été l'un des secteurs les plus touchés par le choc étant donné sa sensibilité à la demande et aux prix du brut.

L’avènement de la pandémie du Covid19 est pour l’essentiel la cause directe qui a poussé BP et Kosmos à retarder le développement de ce gisement. Toutefois les conditions objectives du marché gazier, marquées par une chute drastique du prix LNG, favorisaient inévitablement ce retard. En plus la confrontation entre les leaders du marché en l’occurrence l’Arabie Saoudite et la Russie, au point d’offrir du brut à moins zéro est venue au plus mauvais moment pour accentuer cette crise. Cette courte guerre entre le 2ième et 3ième producteurs mondiaux a créé un cycle de surproduction qui a rapidement saturé les capacités de stockage, à terre et en mer, à travers le monde. BP a perdu 4,4 milliards de dollars américains le premier trimestre de 2020. Je pense que sans la pandémie actuelle, la forte baisse des prix à elle seule aurait poussé BP à retarder  le développement de la première phase de GTA.

L’impact du retard de développement de GTA en terme financier pour l’Etat mauritanien en 2020 se chiffre à environ 26 millions de dollars ; montant estimatif de la retenue à la source sur les prestations de services qui devaient être réalisées au cours de cette année.

Toutefois, le vrai danger qui guette le secteur gazier mauritanien est la probabilité de l’intervention et de la convergence d’autres facteurs de retard qui causeraient une perturbation voire un cafouillage dans le planning d’exécution du projet créant un manque de visibilité dans les échéances. Il s’agit d’un projet complexe, dans les eaux ultra-profondes, où différents facteurs entre en jeu: volatilité des marchés, concurrence de projets similaires à travers le monde, bouclage financier pour les phases 2 et 3 qui dépend de la réussite de la première phase, les fenêtres météorologiques (la houle), le volet sécuritaire, etc.

Donc, il est tout à fait probable que la production du premier gaz n’aura pas lieu en 2023 comme récemment prévu par BP à cause de la complexité de ce projet et surtout de la décision de vente du GNL de la première phase à BP Marketing sur une base « spot ». Le GNL a deux prix : l’un, à court terme, dit « spot » et l’autre contractuel à long terme (20 à 25 ans). La différence entre les deux prix peut aller à 3 dollars par million de British Thermal Units.  Aujourd’hui, le prix du GNL à long terme est presque le double de celui vendu « spot ».  

 Il faut bien noter que dans les transactions du GNL, les acheteurs préfèrent le prix « spot », inférieur, tandis que les producteurs préfèrent le prix contractuel, plus élevé. A noter aussi que l’acheteur du GNL de la première phase de GTA n’est autre qu’une filiale de BP. Cette concession faite à BP avant la décision finale d’investissement est très risquée pour les deux pays. Imaginer un scénario où les prix du GNL sur les différents marchés seront, pendant 12 à 24 mois, inférieurs au coût de revient unitaire du GNL de GTA, le projet tombera à l’eau ou son développement sera différé jusqu’à l’augmentation des prix.  Par conséquent, le gouvernement mauritanien devrait être très attentif et prudent dans la gestion de ce dossier complexe car toute décision qui pourrait exposer le projet à une éventualité de non développement serait désastreuse pour le pays. Il ne faut pas douter que l’avenir de notre pays sera redessiné par l'exploitation de GTA, de Bir Allah et d’autres gisements qui seront découverts et développés, inchallah.

 

La production du champ gazier GTA était prévue pour 2022. Avec la crise mondiale provoquée par la Coronavirus et l’effondrement des cours de Kosmos qui devait décaisser 400 millions de dollars comme participation au projet, pensez-vous que c’est encore possible ?

 

Kosmos Energy est une société de taille moyenne, techniquement solide, qui a prouvé sa capacité à découvrir des gisements importants dans des zones frontalières inexplorées. Elle se spécialise plus dans l’exploration que le développement. Son modèle opératoire est fondé sur une exploration agressive combinée à la cession d’une part importante d’actifs avant la décision d’investissement pour un gisement donné.  Elle avait cédé une part importante à BP dans le bloc 8 en Mauritanie et celui frontalier du Sénégal.   

Aujourd’hui, Kosmos Energy recherche activement un acquéreur pour 20% de sa part dans le gisement « Grand Tortue Ahmeyim» pour faire face à ses difficultés financières actuelles. Sa notation vient d’être révisée à la baisse par l’agence Moody’s. Toutefois, elle dispose d’un potentiel de prêt qui peut être adossé à ses réserves pétrolières d’environ 1,6 milliard de dollars. Donc, si les prix du brut connaissent une amélioration dans les mois à venir, Kosmos Energy sera en mesure de s’acquitter des appels de fonds de GTA. Kosmos Energy doit faire des appels de fonds pour la première phase  de 30% soit 4 milliards de dollars, soit 1,2 milliard de dollars et non pas 400 millions de dollars. Mais compte tenu de la qualité du gisement GTA, le financement ne posera pas un grand problème si les conditions des marchés du brut connaissent une amélioration.

 

De plus en plus d’opérateurs se plaignent que le local content (contenu local ou retombées économiques du projet sur le pays) n’est pas à la hauteur. Le Sénégal a mieux profité de la mise en place du projet GTA. Est-ce vrai ? Si oui, que faut-il faire pour redresser cette situation ?

Le contenu local dans le secteur pétrolier consiste à faire participer activement les entreprises locales dans les différents segments de l’activité (amont, médian et aval) tout en contribuant au renforcement des capacités par la formation continue de la main d’œuvre locale. Il est d’usage dans l’industrie pétrolière d’allouer, soit de manière volontaire soit par obligation légale, entre 10 à plus de 40% du budget d’exploration et de développement au contenu local. L’objectif escompté est de créer les conditions favorables pour le développement d’une industrie pétrolière locale diversifiée qui est en mesure de répondre aux exigences et standards des opérateurs pétroliers sur chaque segment de la chaine de valeur. Le contenu local est devenu une composante omniprésente du paysage pétrolier et gazier.

Dans notre pays, il y a malheureusement une mauvaise compréhension du contenu local. La majorité pense qu’il est limité à la logistique pétrolière, qui est dérisoire, alors qu’il porte sur l’ensemble des segments de l’activité amont, médiane et aval. A titre indicatif, dans l’activité aval ; le contenu local peut porter sur une centaine de spécialités.

En faisant, aujourd’hui, le bilan du contenu local, nous ne pouvons que constater, avec regret, que nous sommes en retard par rapport à la majorité des pays. En plus d’une absence d’un cadre légal spécifique au contenu local, nos contrats d’exploration/exploitation sont silencieux sur ce point. La préférence est donnée aux sociétés mauritaniennes uniquement si leurs prix et la qualité de leurs services sont les mêmes que celles des sociétés étrangères. Les sociétés mauritaniennes ont besoin d’une période transitoire car l’industrie pétrolière est naissante dans notre pays.  

De manière volontariste Woodside avait attribué en 2004 une enveloppe de 30 millions de dollars américains sur un budget de développement initial de 622 millions de dollars, soit un peu moins de 5%. Plusieurs entreprises mauritaniennes avaient bénéficié de manière transparente du contenu local sans ingérence  de l’administration publique.

Depuis quelques années, la situation du contenu local a malheureusement beaucoup régressé.  Au lieu d’accroitre le nombre d’entreprises mauritaniennes dans les services pétroliers, la plus haute autorité publique a fait exactement le contraire pour faire main basse sur les revenus du contenu local à travers un réseau restreint d’entreprises.

Peut-on vraiment parler de contenu local diversifié et compétitif si l’Exécutif n’en veut pas ? Quelle a été l’incidence du contenu local pendant les cinq dernières années ? Qui en a profité ? Sur quelle base certaines sociétés épaulées par l’ancien régime avaient obtenu des avances de quelques millions de dollars de certaines sociétés pétrolières ?  Pourquoi des exonérations fiscales ont été données à une seule entreprise ? Quel est le montant qui a été capté par les entreprises mauritaniennes dans le cadre du contenu local ? Quels sont les appels d’offres qui ont été vulgarisées à temps pour permettre à toutes les sociétés mauritaniennes de soumissionner ? Quel rôle a joué la société nationale des hydrocarbures dans le développement des fournisseurs locaux ? Quelle est la liste des services pour chaque composante du développement de GTA ?

Il y a depuis quelques années une opacité d’une vulgarité inimaginable. La seule explication à une telle situation est l’avidité de l’ancien président de la République et de ses « collecteurs » pour l’argent.

Dans le droit mauritanien, l’ensemble des ressources naturelles sont la propriété de l’Etat, donc du peuple. Le développement de toute ressource doit bénéficier au plus grand nombre possible de la population. Il est évident que nul ne souciait de l’intérêt général.

Pourquoi la Mauritanie n’a pas exigé, dans le cadre du contenu local, de faire transporter les roches de l’Inchiri à N’Diago par voie terrestre afin d’augmenter l’impact des effets induits sur l’économie nationale. L’axe routier Nouakchott/Rosso pouvait être réhabilité dans le cadre de cette opération par BP en tant que coût recouvrable étant donné que le coût de transport des roches par voie maritime n’est pas négligeable. Mais personne ne se souciait de l’intérêt public.

Seule la composante du projet de GTA allouée à  Eiffage a fait appel, de manière transparente, à quelques prestataires mauritaniens malgré qu’il y’avait eu des tentatives de placer certaines entreprises proches du régime. Mais Eiffage a fait de son mieux pour que le processus de sélection soit équilibré et transparent. Cinq sociétés mauritaniennes ont été retenues.

Par contre au Sénégal, une loi spécifique au contenu local a été approuvée par voie législative et ses décrets d’application sont en cours d’élaboration. Un comité d’orientation stratégique du pétrole et du gaz dénommé « Cos-Petrogaz » a été créé et placé sous la présidence du chef de l’Etat. Plus de 400 sociétés ont été enregistrées dans le cadre du contenu local. Plusieurs séminaires de vulgarisation ont été organisés pour partager l’information avec le maximum d’entreprises.

Pour redresser la situation actuelle, il faudrait prendre un ensemble de décisions fermes fondées sur l’intérêt public et  l’équité entre toutes les entreprises mauritaniennes.

Sur le plan juridique, une loi du contenu local pourrait être rapidement élaborée et approuvée par voie législative. Le pourcentage du contenu local de chaque segment de l’activité devrait y être défini. C’est à partir de ce moment que le contenu local sera une obligation légale et les opérateurs pétroliers étrangers seront donc tenus d’attribuer le volume prédéfini dans la loi aux opérateurs mauritaniens.

En d’autres termes, les efforts du ministère en charge des hydrocarbures doivent être orientés vers la mise en place d’un environnement d’affaires transparent et équitable car il y a de la place pour tout le monde. Les appels d’offres devraient être publiés plusieurs mois à l’ avance par les opérateurs pétroliers dans les journaux locaux et ce pour rompre de manière effective et définitive avec la politique d’opacité qui est pratiquée depuis quelques années. Il est utile de rappeler qu’un gouvernement responsable œuvre à créer les conditions nécessaires au développement et à la réussite des entreprises détenues par ses citoyens, sans discrimination car au final les ressources naturelles sont la propriété de l’ensemble des mauritaniens.

Enfin, les efforts du gouvernement devraient être aussi orientés vers le secteur aval, à savoir la pétrochimie afin de créer un tissu industriel gazier dynamique, générateur d’emplois et de ressources financières. Avec une vision bien élaborée et une stratégie adaptée et équitable, le contenu local peut générer un nombre important d’emplois et suffisamment de ressources financières pour le pays tout en le protégeant de la volatilité des prix du GNL. 

 

L’attribution du marché de l’approvisionnement du pays en hydrocarbures liquides a défrayé la chronique pendant plusieurs semaines. Comment en est-on arrivé là ?

Depuis belle lurette, le pays s’approvisionne de manière biennale auprès des traders de renommée sans le moindre scandale. Mais depuis quelques années, la qualité des traders s’est dégradée considérablement et l’attribution de marché est devenue un mélodrame. Pour mettre fin à ce genre de bruit qui ne sert pas la réputation du pays, il faudra attaquer avec courage, une bonne fois pour toutes, les problèmes qui en sont la source.

Le premier problème est le stockage qui est dans un état déplorable. C’est une bombe à retardement qui peut, en cas d’accident, paralyser l’ensemble de l’économie nationale pendant plusieurs mois. Il fallait que l’autorité publique en charge du secteur assume ses responsabilités soit par la construction d’une nouvelle capacité de stockage aux normes, soit en étant flexible en permettant aux soumissionnaires à l’appel d’offres d’inclure une option de stockage flottant. 

Le deuxième problème est lié au dossier d’appel d’offres lui-même car il est conçu de manière qui ne tient pas compte de la situation du stockage du pays. Cette anomalie est de nature à décourager les traders les plus sérieux tout en encourageant ceux qui ne se soucient point de la manipulation du cahier de charges par le biais de la tricherie sur le système de facturation et la qualité des produits.

Le troisième problème est dans le mécanisme de sélection du trader. Chaque trader qui souhaite frauder peut faire une offre très agressive. Une fois sélectionné, il met en place un système de fraude lui permettant de surfacturer certaines cargaisons et ce bien au-dessus des termes dans lesquels il a gagné le marché. Pour que tout marche, il faut une complaisance de plusieurs acteurs et à plusieurs niveaux de l’appareil de l’Etat. Au final, c’est le consommateur mauritanien qui paie le prix fort de ce système de fraude et plus généralement, l’économie nationale elle-même.  

         

Pourquoi, comme au Maroc et au Sénégal, les sociétés de distribution ne sont pas autorisées à s’approvisionner directement sur le marché international ?

Le législateur mauritanien avait prévu la libéralisation du secteur une fois que le volume de la consommation nationale atteindrait 500 mille tonnes métriques par an. Aujourd’hui, nous sommes à 1,2 million de tonnes métriques et ce sans le volume de l’avitaillement en haute mer qui avoisine 200 mille tonnes métriques. Le décret fut modifié pour porter le volume à 1 million de tonnes métriques. Malgré l’existence de ce texte, nous opérons toujours dans un cadre inadapté aux réalités de notre environnement.

Aujourd’hui, le fuel lourd à basse teneur en soufre (inférieur à 1%) se vend à Dakar et à Banjul à -189 dollars américains par rapport au fuel livré en Mauritanie. Comment peut-on expliquer un si grand différentiel de prix pour le même produit?

A mon avis, il est dans l’intérêt de notre pays de libéraliser le secteur pour éviter une telle disparité des prix de chaque produit raffiné par rapport à ceux appliqués dans les pays riverains. La libération est pratiquée un peu partout et il n’y a jamais eu de rupture de stock. En encourageant la concurrence entre les traders, notre pays bénéficiera des prix plus compétitifs et d’une meilleure qualité des différents produits pétroliers. La deuxième option pourrait être une concurrence entre les traders par produit raffiné pour obtenir le meilleur prix/qualité par produit. 

Je pense que c’est par méconnaissance des mécanismes de libéralisation du secteur des produits raffinés que l’Administration Publique n’a pas le courage d’entamer un tel processus même s’il est plus bénéfique pour le pays que le système actuel d’approvisionnement.

 

Certains traders ont refusé de soumissionner à cause du problème de stockage. Les installations de la SOMIR  à Nouadhibou sont dans un état déplorable et celles de Nouakchott, depuis qu’elles ne sont plus gérées par la MEPP, se détériorent à la vitesse grand V. Comment l’Etat peut-il ne pas réagir quand on sait qu’au-delà du danger que cela représente, c’est l’approvisionnement du pays qui est en jeu ?

Vous avez parfaitement raison. La majorité des traders de renommée ne veulent plus soumissionner au marché d’approvisionnement malgré l’importance de notre consommation annuelle (plus d’un milliard de dollars américains). Comme je vous ai déjà dit, les installations de stockage sont, à mon avis, une bombe à retardement. Chaque trader doit tenir une prévision de risque de quelques dollars par tonne métrique pour le stockage, ce qui réduit l’attractivité et la compétitivité de notre pays. A cela, il faut ajouter les possibles pénalités à cause de l’incompatibilité des dispositions du cahier de charges avec la réalité des capacités de stockage disponibles. 

Pourquoi l’Etat n’a pas réhabilité les capacités de stockage au moment où il empruntait auprès de nos partenaires au développement pour investir dans une surcapacité électrique qui ne peut pas être évacuée ? Plus d’un milliard et demi de dollars fut injectés dans l’électricité tandis que le besoin du pays ne dépasse pas les 500 millions de dollars. Un seul investissement marginal a été réalisé dans la réhabilitation d’un bac. Avec une enveloppe de 60 millions de dollars, la Mauritanie pouvait avoir un stockage aux normes et standards internationaux. Et avec un investissement de 100 millions de dollars, le pays pouvait avoir un hub de stockage pour la sous-région.

 

Quel est votre opinion de la politique énergétique de la Mauritanie pendant les dix dernières années ? Que pensez-vous du scandale de la ligne de transmission Nouakchott-Nouadhibou qui défraye la chronique ces jours-ci?

La politique énergétique de la dernière décennie est un échec cuisant et surtout une arnaque à ciel ouvert. Une analyse de l’investissement réalisé (1.5 milliard de dollars) par rapport à la demande nationale, hors SNIM/Tasiast/MCM, montre clairement que le coût du mégawatt en Mauritanie est sans doute l’un des plus élevés au monde, s’il n’est pas le plus élevé. Malgré un tel investissement, la qualité du service ne s’est pas améliorée, le prix du kWh n’a pas baissé et la Somelec est loin d’être, aujourd’hui, un exemple de réussite. En d’autres termes, le pays s’est endetté d’un milliard de dollars pour rien. Le pays avait besoin uniquement de 500 millions de dollars et je défie quiconque de prouver le contraire.

Pour camoufler cette dette injustifiée, des réformes portant sur la séparation de la production, distribution et commercialisation allaient être engagées pour faire disparaitre « magiquement » ce montant. 

Quant au marché de la ligne Nouakchott-Nouadhibou attribuée à « Kalpataru Power Transmission Limited », il est un précédent dans les annales de l’histoire énergétique de notre pays : 110 millions de dollars en entente directe. Cette transaction met en lumière les faiblesses structurelles d’une Administration volontairement négligente vis-à-vis des lois, des procédures administratives et des principes de bonne gouvernance. Le tracé initial de cette ligne n’a pas été respecté. La ligne de transmission a traversé sans autorisation une mine de gypse appartenant à l’Etat.

Personnellement, je n’ai pas le moindre doute que ce n’est pas l’unique scandale du secteur. Le temps nous réservera certainement d’autres surprises d’un autre genre dans l’appel d’offres de la ligne Nouakchott/Toubéne, à l’instar de la suppression des accessoires pendant la dernière phase d’évaluation.  

 

Venons-en maintenant aux mines. On dit que les permis de recherche n’ont profité qu’à une minorité bien placée. Comment, à votre avis, l’Etat pouvait mieux profiter d’un potentiel minier qu’on dit important ?

Tout d’abord, je tiens à préciser que je ne suis pas minier mais j’ai des notions de base grâce à  mon expérience au Ministère. La Mauritanie n’est pas un pays minier, mais nous avons un potentiel pour l’être un jour inchallah.

Les attributions des permis miniers ont toujours été faites sur le principe du premier arrivé, premier servi. Malheureusement, au cours des dernières années, cette règle fut abandonnée. Plusieurs permis de recherche sensibles, à l’instar des métaux précieux et du sable rare, furent attribués à des groupes d’individus qui n’ont aucune expérience dans le secteur minier, tandis que d’autres concessions minières furent retirées à des sociétés ayant réalisé des études géophysiques et des campagnes de carottage. Nous pouvons constater que cette politique de main basse clanique sur les titres miniers n’a pas donné les résultats recherchés par ses initiateurs car elle n’a pas apporté des capitaux frais ni permis de développer le moindre gisement. Toutefois, les détenteurs des permis se sont sucrés grâce à des farm out (cession d’actifs) dans le cadre des contrats d’amodiation. La Direction Générale des Impôts devrait y voir de près car les gains sur les cessions d’actifs sont imposables.

Nul doute que le pire de la politique minière de l’histoire du pays fut l’autorisation de l’orpaillage sans encadrement, ni procédures d’extraction et de traitement. Des produits toxiques sont manipulés par des citoyens qui n’ont pas connaissance de leurs impacts néfastes sur leur santé et sur l’environnement. L’actuel gouvernement devrait prendre les mesures appropriées pour que cette activité soit bénéfique pour les orpailleurs dans le respect de l’environnement et des normes sanitaires.

Enfin, pour que l’Etat mauritanien puisse profiter pleinement de son potentiel minier, l’Etat devrait œuvrer pour attirer les géants du secteur minier pour développer les gisements prouvés au nord du pays. Il est fort regrettable de constater que nous n’en avons pas actuellement.

Dans le cadre du BOT ou du Partenariat Public/Privé, l’Etat peut centrer ses efforts vers la transformation du minerai de la SNIM et la création d’une raffinerie d’or dédiée à la Mauritanie et aux pays riverains. Une raffinerie d’or contribuera à contrôler les flux de ce métal précieux tout en augmentant sa valeur ajoutée aussi bien pour les producteurs que pour l’Etat.  

 

Propos recueillis par Ahmed Ould Cheikh

خميس, 28/05/2020 - 20:03