Yahya Ahmed El Waghf : Il est souhaitable pour un nouveau pouvoir de faire un état des lieux

Le Calame : vous venez d’être élu vice-président de l’UPR, suite à son 2e congrès tenu, les 28 et 29 décembre dernier. Quel est votre sentiment ?

Yahya Ahmed El Waghf : Je suis reconnaissant aux délégués au deuxième congrès ordinaire de l’UPR pour la confiance qu’ils m’ont accordée. J’espère être à la hauteur de cette confiance.

Cette désignation intervient au lendemain  de la décision de votre ex-parti ADIL de se dissoudre au sein du principal parti de la majorité. S’agit-il, comme le pensent certains observateurs, d’une récompense pour le soutien que vous aviez apporté au candidat  Ghazwani lors de la dernière présidentielle ?

Au parti Adil, nous avons toujours pensé que le nombre important de partis politiques (plus de cent partis) n’est pas de nature à leur donner le poids et la force nécessaires pour jouer pleinement leur rôle en tant que forces politiques organisées capables de s’institutionnaliser. Sans partis politiques organisés et institutionnalisés, il n’y aura pas de démocratie. Nous avons, au sein de l’opposition, fourni beaucoup d’efforts pour regrouper un ensemble de partis. Nous avons élaborée une charte et un programme politique avec 11 partis politiques. Malgré l’échec de cette expérience, nous avons toujours continué à défendre cette idée de regroupement. En soutenant le président de la République, nous avons intégré la majorité. Notre intégration au niveau de l’UPR traduit cette conviction que nous avons toujours défendue. L’UPR constitue le principal parti de cette majorité. Les dirigeants de l’UPR ont exprimé leur intérêt à intégrer certaines forces politiques dont le parti Adil. Il s’agit de renforcer et d‘enrichir ce grand parti pour assurer tout le soutien nécessaire pour le succès du programme du président de la République.

Au sortir de ce congrès,  avez-vous eu le sentiment que l’UPR, un parti du pouvoir pour ne pas dire d’état que vous avez combattu dix ans durant, a entamé sa mutation pour accompagner, autrement,  le nouveau président ? Quel rôle entendez-vous jouer au sein de ce parti?

Nous n’avons pas combattu l’UPR en tant que parti, nous avons combattu une politique et une gouvernance défaillante qui excluait une grande partie des forces politiques et qui mettait en danger la stabilité, la sécurité et l’unité de notre pays. En soutenant le programme du président de la République, programme que nous soutenons, l’UPR s’engage donc à changer de politique. Nous avons donc désormais des objectifs communs. En se prononçant de manière sans équivoque lors de sa dernière crise interne, en faveur du programme du président de la République et de sa politique, l’UPR est devenu pour nous un véritable allié politique avec lequel nous n’avons plus aucun problème à travailler ensemble et même à s’y intégrer. Il y a eu donc une véritable mutation. Il constitue désormais le bras politique principal pour le Président et sa politique et ses méthodes vont donc changer pour accompagner ce programme.

Quels enseignements avez-vous tirés de ce conclave qui a suscité des mécontentements lors de la publication de la composition des instances dirigeantes du parti ?

Aucun grand parti ne peut satisfaire, surtout lors d’un congrès, les aspirations de tous ses militants, particulièrement dans notre contexte politique.  Les politiques populistes menées ces dix dernières années ont donné lieu à un émiettement sans précédent de la société qui rend impossible toute synthèse politique. Mais il me semble que le congrès a été un grand succès et les mécontentements exprimés sont restés dans les limites raisonnables pour un congrès aussi important que ce deuxième congrès de l’UPR.

 Le contrôle de l’UPR a constitué la première épreuve de force entre l’ancien et le nouveau président. Avez-vous le sentiment aujourd’hui que la « situation est sous contrôle » pour Ghazwani et que l’ancien président, suspecté d’avoir tenté une OPA sur l’UPR pour en faire un outil de reconquête du pouvoir est désormais mis hors-jeu du champ politique?

Je pense que cette alternance n’a pas été comprise de la même manière par les différents acteurs. Certains pensaient qu’il est possible de quitter le pouvoir de façon formelle tout en continuant à l’exercer à travers le parti. Cela n’est pas possible. J’ai été parmi les premiers à expliquer que l’expérience en Afrique a montré que de telles tentatives ne peuvent conduire qu’à la déstabilisation du pays et aux crises politiques. Les derniers évènements l’ont prouvé. Il y a lieu ici de féliciter l’ensemble des structures et des militants de l’UPR qui ont très tôt confirmé leur soutien au programme du Président et ont refusé toute division. Le succès du congrès met fin à toutes les spéculations. Il n y a eu aucune défection. 

Cinq mois après son arrivée aux commandes du pays, des mauritaniens, assoiffés de changements pensent que le nouveau président est en train de recycler les anciens du système Aziz, en faisant du neuf avec du vieux, que leur quotidien peine à changer. Comprenez-vous ce pessimisme ? Pensez-vous que les actes que le nouveau président a déjà posés sont de nature à susciter un autre espoir, après une décennie de « changement constructif »?

Il est incontestable qu’il y a une très forte demande de changement. Le discours de candidature du Président et son programme ont répondu aux principales attentes des mauritaniens en matière de changement. Le gouvernement qu’il a mis en place a traduit sa volonté de répondre aux aspirations des mauritaniens en favorisant les compétences aux équilibrages politiques. Il est vrai aussi que cette dernière décennie a exclu une grande partie des compétences de ce pays qui méritent d’être réhabilitées pour contribuer au développement du pays. Malgré le fait que le Président n’a pas encore fait six mois d’exercice de pouvoir, beaucoup de choses ont été réalisées dans cette courte période. L’ouverture politique, la dépersonnalisation du pouvoir, la réparation progressive des injustices commises, le renforcement de l’indépendance des pouvoirs législatif et judiciaire, l’ouverture médiatique, le respect de la chose publique, etc. constituent des avancées significatives dans la mise en œuvre du programme du Président et sont de nature à nous rassurer et à nous donner de l’espoir.

 En dépit de sa volonté de normaliser les rapports entre le pouvoir et l’opposition, le président Ghazwani  refuse tout de même  d’organiser un dialogue, sous le format des précédents, pour débattre des problèmes du pays. Qu'est-ce qui à votre avis justifie cette posture? 

 

Je pense personnellement que dans nos pays, avec une démocratie naissante, nous avons besoin d’un dialogue permanent entre les différents acteurs pour une plus grande compréhension, en particulier entre le pouvoir et l’opposition. Il est cependant compréhensible que nous ayons des perceptions différentes des formats que le dialogue doit prendre. La dernière décennie a été marquée par une rupture totale entre le pouvoir et l’opposition. Il n y a pas eu de dialogue inclusif. La période actuelle a été marquée par une ouverture totale qui permet une concertation permanente entre le Président et l’ensemble des forces politiques. Je considère que ces concertations doivent continuer et doivent se renforcer pour définir un format consensuel d'un dialogue continu en privilégiant les approches thématiques pour plus d’efficacité.

 

Que répondez-vous à ceux qui accusent certains leaders de l’opposition de ne pouvoir supporter une longue traversée du désert, qu’ils sont même prêts à saborder l’opposition?

 

Je considère personnellement que lorsqu’une femme ou un homme politique décide de s’opposer au pouvoir dans nos pays, il ne peut ignorer les conséquences de cette décision. L’expérience lui a montré, à travers toutes les périodes, que ce n’est pas chose facile. Il doit avoir le courage d’aller à contre-courant et d’accepter d’être exclu de sa société. C’est donc une femme ou un homme de conviction. Il accepte de payer le prix de cette conviction. Il se sacrifie donc pour des objectifs qu’il pense pouvoir réaliser à travers l’opposition. Il arrive malheureusement qu’il puisse se rendre compte que la voie et sans issue et qu’il doive se repositionner pour réaliser les mêmes objectifs.  Ce repositionnement est tout à fait normal et repose souvent sur des convictions.

 

Lors d’une récente conférence de presse, le président de la CVE, Dr. Kane Hamidou Baba a annoncé que cette coalition va organiser en février et en mars des assises nationales sur l’unité nationale et une marche contre l’exclusion. Qu’en pensez-vous ?

 

Je fais confiance à mon ami Kane et aux responsables de la CVE. Des assises pour l’unité nationales ne peuvent qu’enrichir le débat et rapprocher les points de vue des différents acteurs sur les voies et les moyens de renforcer notre unité et notre cohésion nationale. Pour ce qui est de l’exclusion, je pense qu’il y a lieu de s’exprimer fréquemment contre toutes les formes d’exclusion.

Les mauritaniens attendent des sanctions de la part du gouvernement suite au rapport de la Cour des Comptes accusant certaines institutions de gabegie. Jusqu’à quand ce silence va durer?

Je pense comme la plupart des mauritaniens que les rapports de la Cour des Comptes doivent être suivis d’effet pour mettre fin à l’impunité qui a caractérisé la gestion du pays depuis les années soixante-dix. Je pense que pour une plus grande efficacité de notre dispositif de contrôle, il est nécessaire de réformer son cadre juridique pour donner tous les pouvoirs nécessaires à la Cour des Comptes.

Etes-vous de ceux qui réclament l'audit de la gestion des dix années de règne de l'ex-président? Cela ne risque-t-il pas d'exacerber davantage les rapports entre les deux amis de 40 ans? 

 

Il est souhaitable pour un nouveau pouvoir de faire un état des lieux pour pouvoir mesurer les avancements par rapport à une situation de référence déterminée par l’état des lieux. Les audits ne doivent pas cibler des personnes ou des institutions particulières. L’approche doit être neutre mais soucieuse des intérêts du pays et de sa stabilité.

 

Quel commentaire vous inspire la décision du président de l'Assemblée nationale d'interdire l'usage du français dans l'hémicycle et la traduction des interventions dans les langues nationales, Pulaar, Soninké et Oulof? Que vaudrait-elle sans l'adoption d'une loi?

 

 Je ne pense pas que le Président de l’Assemblée a interdit l’usage du français dans l’hémicycle. Il a proposé une traduction dans les langues nationales conformément aux dispositions du règlement intérieur. Je pense personnellement que le français fait partie désormais de notre patrimoine culturel. C’est une chance d’avoir une langue d’ouverture comme le français qui est la langue dominante dans notre sous-région d’Afrique de l’Ouest mais aussi du Maghreb. Nous devons avoir un enseignement bilingue qui permet à tous les mauritaniens de parler les deux langues, l’arabe et le français, tout en favorisant le l’enseignement des autres langues nationales.

Propos recueillis par Dalay Lam

جمعة, 17/01/2020 - 08:37