Ghazwani a-t-il remporté la manche

Le retour au pays  de l’ex-président Ould Abdel Aziz fait du bruit. À peine reposé le pied sur le sol national, le tombeur de son prédécesseur Sidi ould Cheikh Abdallahi et, plus récemment, désignateur de Ghazwani en dauphin de son trône, s’est en effet permis de convoquer une réunion du comité  provisoire de gestion de l’UPR, comme s’il en était le patron et sans en informer, semble-t-il, son successeur. Une attitude qui a fort déplu au sommet de l’État et suscité une désapprobation générale au sein de l’opinion nationale.  Ghazwani peut-il contrôler Ould Abdel Aziz ? Certains en doutent. Le second semble en tout cas avoir mis une grosse pierre dans le jardin du premier.

L’ex-président semble donc déterminé à jouer un rôle de premier plan sur la scène politique du pays, comme il l’avait du reste promis en cédant son fauteuil à son successeur. Nombre de mauritaniens ne s’attendaient cependant plus à son retour. Et de s’interroger : pourquoi en ce moment précis ?  La prochaine célébration de la Fête de l’Indépendance ? Un gros coup de pub – ou d’éclat… – à cette occasion ? Certains analystes penchent plutôt pour une  tentative de sauver l’UPR de son délitement. Le parti souffre de la distance affichée entre les deux généraux retraités depuis qu’Ould Ghazwani s’est engagé dans la présidentielle, avec, semble-t-il, le soutien de l’armée ; timidement, de son alter ego Ould Abdel Aziz  et du gouvernement de l’époque.

Une séparation marquée, en pleine campagne, par la déclaration du Président en exercice que son ami n’était pas « son » candidat mais agissait de son propre chef.  Et Ghazwani  d’enfoncer le clou en affirmant tout d’abord qu’il s’était engagé parce qu’Ould Abdel Aziz ne voulait pas de troisième mandat ; puis de se présenter en candidat quasiment indépendant, comme pour prendre ses distances avec son prédécesseur et ne pas en assumer le gros passif. Ce faisant, les deux compères plaçaient l’UPR en position très inconfortable, comme entre deux chaises...

Ould Abdel Aziz a certes battu campagne et passé le pouvoir sans accrocs à son « ami de quarante ans » mais nombre d’observateurs n’ont pas manqué de signaler la persistance de son ombre  sur le pouvoir de son successeur, son retour annoncé au pays pour continuer à y faire de la politique et, si l’opportunité lui en était offerte, briguer à nouveau le fauteuil présidentiel en 2024. Une hypothèse, remarquaient-ils, nécessitant un contrôle de certains leviers du pouvoir, comme un appareil politique… ou l’armée, ce qui ne semble pas être le cas pour le moment.

On ignore tout de l’attitude  officielle de la Grande Muette. Quant à l’UPR, la majorité de ses cadres – probablement aussi de ses militants – en tout cas et surtout, son bataillon parlementaire ont en revanche opté pour le nouveau Président, si l’on en croit le communiqué dudit groupe, publié le samedi 23 Novembre. Pour ces parlementaires, Ghazwani  est  désormais l’unique référence de l’UPR. De quoi clore le débat au sein de ce parti dont quelques ténors continuent cependant à  soutenir qu’Ould Abdel Aziz  demeure le patron et que l’actuel gouvernement n’est qu’une continuité du précédent ?

 

Épées de Damoclès…

Mais ce qui semble avoir précipité le retour d’Ould  Abdel Aziz, c’est la manière dont son successeur  conduit les affaires du pays. Il n’en serait pas satisfait… comme si un deal  unissait les deux hommes.

Ould Abdel Aziz ne serait pas content des  limogeages  de certains de ses hommes de confiance, notamment les directeurs de la Sûreté, de la société des hydrocarbures et de la SOMELEC ; il s’y ajoute que des rumeurs persistantes n’excluent pas l’organisation d’audits en divers établissements publics, comme ceux de l’énergie et des mines. Des structures longtemps gérées par ses proches... Rappelons, à cet égard, que l’un d’eux, ancien ADG de la SNIM,  a déjà jeté, il y a quelques semaines,  un  pavé dans la mare, en pondant un rapport très critique sur la gestion de ladite société. Et l’opposition n’a  pas raté l’occasion de réclamer un audit sur les dix années de gestion d’Ould Abdel Aziz. Des requêtes auxquelles le pouvoir en place n’a pas répondu. Pas encore ? La question semble bel et bien une épée de Damoclès…

Les observateurs relèvent aussi que l’ex-Président n’a pas bien apprécié que son ami ait omis de souligner, dans son  discours au Forum de la paix à Dakar, le rôle de son prédécesseur dans la croisade contre le terrorisme au Sahel. Une faute de lèse-majesté aux yeux du faiseur de Ghazwani.  Autre faute dans la même veine, le nouveau gouvernement ne mettrait pas en valeur les réalisations de celui qui se considère en seul  bâtisseur de ce pays. Enfin, Ould Abdel Aziz ne supporterait pas l’ouverture enclenchée par Ghazwani vers l’opposition radicale avec laquelle il s’est, lui, acharné à entretenir, dix ans durant, des relations tendues. Si l’opposition n’a pas manqué de saluer l’esprit d’ouverture du successeur d’Ould Abdel Aziz, y aurait-il, en cette salutaire innovation, comme une rupture de contrat entre les deux hommes, autorisant l’ex-Président à sortir de ses gongs  pour rappeler à son ami les limites du pouvoir qu’il lui a concédé ?

Quoiqu’il en soit, Ould Abdel Aziz ne l’a plus, ce pouvoir, et semble bien avoir aujourd’hui perdu la face. Après la réunion organisée  au siège de l’UPR, en présence d’un ministre du gouvernement  Ghazwani et les propos aigres  que certains media lui ont prêtés, le groupe parlementaire de l’UPR s’est vite et clairement démarqué de son ancien patron, lui signifiant que la seule référence  du parti était et resterait désormais le nouveau président, montrant ainsi la porte à son prédécesseur. Les présidents des Conseils régionaux et nombre de maires ont suivi. Ould Abdel Aziz s’avouera-t-il  vaincu ? S’il peut reconnaître que la conjoncture ne lui est guère favorable, il sait profiter des  moindres  opportunités et disposerait de nombreux atouts  dans l’administration et l’armée. Encore ? Une autre épée de Damoclès… à manifestement double tranchant, celle-là.

D’autres voix se sont élevées pour dénoncer l’attitude inamicale d’Ould Abdel Aziz à l’endroit de son successeur ; certaines parlent même de « tentative de déstabiliser le pouvoir ». Signe d’une sérénité certaine, Ghazwani préfère, lui, qualifier d’erreur la réunion au siège de l’UPR sous la présidence d’Ould Abdel Aziz. Mais les épées n’en planent pas moins, non seulement au-dessus des deux amis de quarante ans mais aussi de nombre de leurs proches. De quoi mettre en péril cette amitié et, pire, leur pays ? Fasse le Seigneur de l’intelligence leur faire à tous comprendre que la Mauritanie n’en a pas besoin.

DL

خميس, 28/11/2019 - 11:11