Trois questions à Youssef Ould Mohamed Issa, cadre exclu de l’UFP

Le Calame : Vous avez été exclu de votre parti, l’UFP. D’autres membres de votre groupe comme Kadiata Malick Diallo et Sidna ould Mohamed ont été suspendus. Comment en est-on arrivé à cette mesure extrême et pourquoi vous avez été exclu et pas les autres?

Youssef Ould Mohamed Issa : Merci au Calame, pour m’avoir invité, me donnant ainsi l’occasion de m’adresser à l’opinion. Pour mieux comprendre les raisons des sanctions, il est nécessaire et incontournable de comprendre la nature de la crise qui secoue l’UFP.
En effet, ce parti issu et prolongement du Mouvement national démocratique (MND),  fonctionnait sur la base  du respect de quatre armes essentielles :

1--L’intérêt national au dessus de toute considération.

2-- le respect de toute ligne  politique définie.
3--Le respect du centralisme démocratique.
4--La critique et l’autocritique.

Le piétinement et l’abandon de ces armes par une fraction de la direction du parti avec a sa tète son président sont à la source de  la crise créant ainsi au sein du parti  deux tendances ayant deux  visions  diamétralement opposées.  La tendance à laquelle j’appartiens s’oppose à l’enterrement de ces principes et réclame le retour aux idéaux de l’UFP et la ligne qui en découle. Celle de la liaison avec les populations, notamment ses franges opprimées pour prendre en main leurs préoccupations et revendications les plus essentielles et engager avec elles des luttes multiformes. Cette ligne a été réaffirmée par le congrès de 2012, visant à continuer la ligne d’accumulation des forces à travers les luttes autour des revendications des masses et pour la conquête du pouvoir par la voie pacifique, notamment les élections. L’autre tendance dirigée par le président du parti n’a cessé surtout à partir de 2013 de faire sombrer le parti en le conduisant consciemment dans une voie, une ligne politique dont les résultats catastrophiques sont aujourd’hui à la portée de toute la classe politique. Je n’invente rien. Suivons le processus et le bilan est là. Grâce à la ligne d’accumulation des forces, nous avons obtenu :
--2001 : Trois (03) députés, cinq (05) mairies et soixante (60) conseillers municipaux.
--2006 : Dix (10) parlementaires dont neuf (09) députés et un (01) sénateur dont seulement trois (03) députés obtenus par la proportionnelle et six (06) par la majorité,  onze (11) mairies et deux cent quatorze (214) conseillers municipaux.
--2007 : 4% sans coalition aux élections présidentielles face à 19 candidats.
 2013 sera donc l’année de l’inauguration d’une nouvelle conduite politique se matérialisant par l’abandon de la ligne juste suivie jusqu’ici. Cette nouvelle ligne politique que nous qualifions de déviationniste a été prônée , planifiée et exécutée par la tendance dirigée par le président du parti qui annonça unilatéralement le boycott des élections législatives et municipales de 2013 sans le consentement même de son propre comité permanent y compris son propre lobby et contrairement à la volonté de toutes les bases du parti qui réclamaient la participation auxdites élections.  Le boycott n’est que la négation de la ligne légale d’accumulation des forces  confirmée par le congrès de 2012 et son abandon ne tombe pas du ciel et ne surgit pas non plus de la terre. C’est le résultat d’un nouvel état d’esprit, d’une nouvelle conscience conforme à une nouvelle vision idéologique qui n’est rien d’autre que l’esprit déviationniste ou plus exactement révisionniste qui, au cours des luttes des peuples, frappe souvent sous l’influence de la culture et de la force de l’idéologie bourgeoise certains leaders des mouvements de gauche.
C’est pourquoi, nous avons qualifié les auteurs de cette nouvelle voie politique de déviationnistes et leur résultat politique n’est pas non plus une invention.
En 2018,  nous avons eu seulement trois (03) députés obtenus par la proportionnelle, aucune mairie, cinquante trois (53) conseillers municipaux dans le cadre de la coalition de l’opposition sauf àTikobra où on n’avait déposé une liste seul.
En 2019, et dans le cadre d’une coalition  politique, le  candidat du parti n’obtient que de 2,44 % aux élections présidentielles face seulement cette fois-ci à cinq(05) candidats. Toutes les analyses politiques depuis 2013 sont issues des considérations sectaires, particularistes et d’ambitions personnelles.
Alors la conclusion tombe d’elle-même. C’est par la pratique seulement que nous pouvons vérifier si une politique est juste ou erronée et déterminer dans quelle mesure elle est juste ou erronée. Est juste ce qui réussit dans la pratique ; est faux ce qui échoue dans la pratique. Un parti qui n’applique pas une politique juste, il applique inévitablement une politique erronée. Laquelle des deux lignes est erronée ? Celle avant 2013 qui a porté haut l’image du parti sur l’échiquier politique ou celle après 2013 qui n’a cessé de faire sombrer le parti avec à la clé la livraison de nos bases et de nos électeurs à d’autres forces politiques.
 Cette destruction programmée du Parti est symbolisée par la perte de pans importants de nos bases, de toutes nos mairies et nos défaites électorales récentes dont la plus emblématique est le score de 2,44% du  candidat du parti à l’élection présidentielle de 2019.
Pendant ces sept années de descente aux enfers, beaucoup de cadres et dirigeants du Parti n’ont cessé de sonner la sonnette d’alarme et appeler à la restauration de la ligne du Parti et la défense de nos idéaux. L’aile de la Direction du Parti, celle responsable de cette situation n’a jamais voulu reconnaître cette situation catastrophique et ses responsabilités. Elle cherche donc à étouffer toute voie qui appelle au redressement de la situation, à la liaison avec les masses. Voilà pourquoi elle s’engage tous azimuts dans une politique de sanctions contre ceux qui appellent à revenir à nos idéaux et à la ligne du Parti définie par le congrès de 2012.
Pourquoi ce n’est que moi qui suis exclu. Non, détrompez-vous. Je ne suis pas le seul exclu. L’exclusion a été généralisée depuis des années. Tous les camarades qui disent non  à la déviation du parti, non à l’autoritarisme et à la dictature au sein du parti, et non à la gestion non transparente des ressources et budgets du parti sont politiquement  exclus depuis très longtemps des centres de décisions. Aucune concertation de la direction du parti avec ces camarades, aucune tâche ne leur est confié et même dans le cadre des préparatifs du prochain congrès, les secrétaires généraux qui s’opposent à la déviation du parti ont été isolés et liquidés pour un congrès sur mesure que je qualifie de congrès de la fraude, de la honte et de la fuite en avant. Récemment, certains jeunes du parti ont également été  victimes de cette politique d'exclusion .Ils ont riposté par une lettre de protestation largement diffusée dans les médias à l'instar des déclarations signées par des fédéraux, des secrétaires généraux de sections et certains  membres du comité permanent.
Tout ce que je sais c’est que cette direction semble se réfugier derrière une première sanction de suspension qu’elle m’avait infligée après les élections de 2018, suite à un Bulletin de Renseignement (BR) mensonger d’un de nos cadres dirigeants de Nouadhibou, cadre qui a d’ailleurs dû faire son autocritique devant le Bureau de cette Fédération qui s’est par la suite démarquée de ce BR, par un écrit adressé à la Direction du Parti qui n’a accepté de lever  la sanction illégale que lorsqu’elle  avait besoin de nous pour la candidature du président du parti aux dernières élections présidentielles. Quelle attitude opportuniste !

On sait que la crise au sein du parti couve depuis 2013 et le boycott des législatives. Pourquoi aucune solution n’a été trouvée entre-temps ?
Une solution n’a pu être trouvée avec la fraction de la Direction qui contrôle le Parti et qui jusqu’à ce jour n’a jamais accepté la moindre remise en cause. Elle ne reconnaît toujours pas l’erreur du boycott des élections de 2013 dont l’évidence saute aux yeux de tous les citoyens. Même certains partis politiques qui ont boycotté en 2013 ont fini par reconnaître leur erreur. C'est le cas du RFD. Cette Direction ne voit comme solution, à la place de la discussion et de l’exercice de la critique et l’autocritique  que la voie de la fuite en avant et de la sanction pour camoufler ses fautes graves  pour échapper à ses responsabilités qui ne peuvent plus être cachées. Dans ce cadre,  rappelons le sabotage fait à l’accord trouvé après la crise de 2018 et les règlements de compte qui s’en sont suivis. Au lieu que ce soit  les responsables des échecs du parti qui démissionnent pour payer leurs fautes, ce sont eux qui  sanctionnent  ceux qui ont consenti d’énormes sacrifices pour le parti.

Comment voyez-vous l’avenir du Parti?
La crise et les changements qui interviennent au sein du parti proviennent surtout du développement des contradictions entre deux forces politiques antagoniques à savoir l’aile  déviationniste, opportuniste et l’aile progressiste, de gauche.
L’avenir du parti  dépend de comment cette contradiction sera réglée.
Pour le moment, notre position consiste à dévisager au sein et à l’extérieur du parti la politique opportuniste de cette direction, à riposter du tac au tac et à nous battre contre toutes les formes de sanctions arbitraires et de destruction du parti. S’ils affûtent leurs épées, nous devons aussi affûter les nôtres et ne jamais relâcher notre vigilance.
L’avenir du Parti se trouve entre les mains des dirigeants, cadres et militants qui durant ses sept dernières années n’ont jamais fui leurs responsabilités et n’ont cessé de faire face à la déviation et à l’entreprise de destruction de l’UFP.
Ces camarades font du redressement de l’UFP et de la restauration de sa ligne, leur premier devoir et considèrent  que la fraction de la direction, responsable de cette situation, n’a aucune légitimité pour prendre une quelconque sanction ou organiser un congrès sous sa direction, après s’être arrogé la légitimité de suspendre ou exclure ceux qui s’opposent à son forfait.

Encore une fois merci.

Propos recueillis par AOC

جمعة, 25/10/2019 - 09:42